Les Verts ou la politique de la peur edit
Les succès électoraux des candidats d’Europe Ecologie les Verts (EELV) dans les grandes villes posent des questions inédites dans le débat public en France. Elles doivent être observées avec l’esprit d’examen, en dépassant les déclarations d’élus Verts, comme celle récente d’Eric Piolle, le maire réélu de Grenoble sur la 5G (La 5G sert à visionner du porno dans les ascenseurs). Nul ne peut faire l’économie des éléments de contexte qui ont favorisé les victoires écologistes : tout d’abord les manifestations de plus en plus nombreuses du réchauffement climatique, la pandémie et ses causes (la violation d’espaces vierges dits premiers de notre terre où dorment des virus séquestrés par la faune locale) enfin, les frustrations associées à la vie dans de très grandes agglomérations trop minérales, trop bruyantes, trop polluées.
A Paris, Bordeaux, Lyon, Lille, les habitants des centres ville appartenant aux classes les plus favorisées ont voté pour les candidats d’EELV. Leur vote traduit un certain désenchantement urbain, dans certain cas, minoritaires à ce stade, un doute sur la société de croissance, notre modèle partagé depuis le passage d’une société de subsistance à une société de consommation au début des années 1960. La bourgeoisie des centres ville ne vote plus pour les candidats de la droite modérée ou de la gauche sociale démocrate. Elle donne sa voix non plus aux représentants du monde géré mais à ceux d’un monde rêvé, voire fantasmé.
Prenons le cas de Paris et des grandes villes. Dans son Histoire sociale du XIXe siècle, l’historien Christophe Charles décrit les conséquences de l’haussmannisation de la capitale : augmentation des prix du mètre carré dans le centre, expulsion des plus modestes vers la périphérie. Ainsi naît l’étalement urbain, la dilatation horizontale de la ville. De nos jours, comme au XIXe siècle, la Premiumisation des centres villes est marquée par le même double phénomène : l’embourgeoisement des cœurs de ville où le logement est réservé à une élite économique et simultanément, dans ces mêmes espaces, le maintien d’activités quotidiennes peu qualifiées, réservées à des travailleurs qui viennent des deuxième et troisième couronnes.
Le débat ville dense/ville aérée n’a pas été tranché, y compris – et c’est plus étonnant – dans la majorité municipale parisienne actuelle. Ainsi, les alliés de Mme Hidalgo proposent des projets différents voire inconciliables : les communistes voudraient une ville populaire où la place de l’homme l’emporterait sur celle de la nature, le groupe écologiste, plus influent, propose pour sa part une ville avec de vastes espaces verts, une ville-nature dans laquelle la place des logements serait en concurrence avec les parcs et jardins, voire une forêt urbaine.
Le vote écologiste des urbains traduit en première intention une volonté claire d’améliorer la ville, de la débarrasser de ses externalités négatives (bruit, pollution de l’air associée aux déplacements incessants, dégradation de l’espace public, incivilités des comportements). Il porte aussi, parfois de façon confuse, une représentation idéalisée de la nature. La thèse de la naturalité fondée sur une exaltation constante de la nature comme l’organisme suprême présente pour un géographe un caractère naïf. La nature est cruelle. Comme l’écrit Sylvie Brunel, si la terre est belle c’est qu’elle a été aménagée par les hommes.
Y a-t-il une croissance vertueuse ?
Le succès des Verts français est aussi le succès, quoi qu’on en pense, de leur programme de changement. Il convient de l’examiner sans préjugés, pour ce qu’il est et pour ce qu’il implique. Il y a autant de courants chez les écologistes d’aujourd’hui qu’il y en eu à la fondation du PS au congrès d’Epinay (1971) mais les dominants, ceux qui impriment la ligne, sont aujourd’hui ceux qui défendent une écologie de combat, très à gauche, violemment anticapitaliste.
Le courant majoritaire incarné par les Verts chez EELV estime que le capitalisme est incompatible avec la défense de l’environnement, pire qu’il est à l’origine des maux de la planète. Ce courant condamne l’écologie molle pour son programme « capitalo-compatible ». Le mouvement écologiste est en effet tiraillé entre deux pôles ; un pôle écolo-réformiste convaincu que seule la croissance et l’innovation sauveront la planète et un pôle révolutionnaire, partisan de la décroissance économique, hostile à la mondialisation. C’est ce dernier qui à ce jour gouverne la modeste galaxie verte même si l’électorat écologiste est loin de partager toutes les positions du mouvement politique.
Quelle que soit leur paroisse, les Verts ont raison sur deux ou trois points : la croissance que nous avons connue, fondée sur l’exploitation des ressources géologiques, ne peut pas être éternelle. Elle est indexée sur une ressource, épuisable. Notre croissance comporte des externalités négatives qui renchérissent son vrai prix (coût complet). Il faudrait intégrer tous les coûts indirects et induits de notre mode de vie pour déterminer notre empreinte éconologique (la formule est du sociologue Gérard Mermet). Enfin, les citoyens n’ont pas un accès égal aux services de base, l’égalité des chances et l’égalité d’accès ne sont plus garanties et ces anomalies plombent la foi collective dans notre modèle. Les libéraux qui défendent l’économie de marché, la concurrence comme facteur de progrès doivent apporter des réponses à ces remarques.
Une partie significative des écologistes entretiennent une méfiance quasi pathologique à l’égard du progrès. Ils proposent le rationnement de la croissance par le recul de la consommation. Encore faut-il s’entendre sur le terme croissance et rappeler qu’il comprend plusieurs facettes. Des économistes comme Daniel Cohen dans La Mondialisation et ses ennemis (Hachette, 2005) rappellent qu’il existe deux types de croissance : une croissance smithienne du nom de philosophe-économiste Adam Smith, fondée sur la rationalisation et la spécialisation. Cette croissance atteint son optimum quand les process d’amélioration de la division du travail ont été obtenus ; une croissance schumpétérienne (Schumpeter) adossée à l’innovation.
La première comporte des limites, pas la seconde. C’est cette croissance basée sur le dépassement par l’innovation qui nous permettra de faire face aux défis du réchauffement, nous aidera à rafraichir nos villes, à limiter nos déplacements, à mieux soigner, à mieux communiquer, en un mot à en revenir aux fondamentaux de la science économique, c’est-à-dire à utiliser efficacement des ressources rares (Samuelson, Nordhaus, 2005).
L’association de la peur et de la haine
Les écologistes français pensent majoritairement que la croissance est responsable de tous les maux économiques du monde. Ils font litière des progrès accomplis par les entreprises : réduction de la consommation des véhicules automobiles, des moteurs d’avions, efficacité énergétique du nucléaire. Ceux qui s’appuient sur une formation scientifique robuste, comme Jean-Marc Jancovici, expliquent que le nucléaire permet d’acheter du temps dans la transition vers des modèles de production dits renouvelables mais cette voix est bien seule dans la communauté écologiste. La ligne officielle du parti porte le combat contre le nucléaire alors qu’il s’agit à ce jour de l’énergie la plus concentrée (et donc la plus efficace) !
La pensée écologiste s’est souvent bâtie sur la critique puis sur la contestation du progrès et de la science (Ellul et Charbonneau). Pire encore, des voix écologistes se mêlent au mouvement des anti-vaccins pour alimenter la thèse du complot et nier l’évidence scientifique selon laquelle la vaccination a sauvé des centaines de millions de vies humaines. L’Organisation mondiale de la santé fait savoir fin août 2020 que la poliomyélite a totalement disparu d’Afrique grâce aux campagnes de vaccination.
Le courant dominant chez les Verts – et c’est là la principale critique qu’on peut lui adresser – propose une vision binaire de la vie en société, un système ON/OFF ne laissant pas de place aux nuances, quelque chose proche du hallal et du haram, autrement dit, ce qui est licite et ce qui est illicite. L’islam comme « l’écologisme » agrègent la dimension du supérieur ou du sacré aux codes sociaux de comportement. C’est d’ailleurs ce qui distingue les Verts des autres partis politiques.
Dans une société républicaine, chacun administre sa vie sur la base de ses choix personnels dans les limites définies par la loi. Le programme des Verts est un programme de coercition. Les dirigeants eux-mêmes ont désormais du mal à cacher leurs intentions autoritaires. Pour preuve cet échange entre Manon Aubry (LFI) et David Cormant (EELV) aux journées d’été d’EELV à la cité fertile de Pantin fin août 2020 : « Est-ce que sortir de cette société de consommation, c’est poser des contraintes à nos libertés individuelles ? Il faut accepter de dire oui dans une certaine mesure », dit Manon Aubry. David Cormant lui répond : « Il faut simplement légiférer et là on revient dans le débat d’interdire et je crois que oui, il y a des choses qu’il faut interdire. »
Le rouge et le vert, l’alliance au moins temporaire des deux mouvements, EELV et FLI renvoie à l’association de la peur et de la haine. Peur du progrès, faible confiance dans la nature humaine, relativisme biologique, les Verts ont renoncé à l’idéal de la gauche réformiste qui proposait un monde meilleur. Les Verts français privilégient la glaciation du progrès, voire le retour en arrière. Leur projet de société est totalisant voire totalitaire et souvent incohérent. On trouve chez eux des militants indigénistes, prêts à accepter les femmes voilées dans l’espace public au nom du respect des opprimés mais en première ligne pour dénoncer la présence d’hôtesses sur les podiums du Tour de France ! Les Verts sont de ce point de vue l’anti-Parti socialiste qui se distinguait, au niveau des intentions, par sa dimension humaniste.
Dans les grandes villes où ils ont été élus, les écologistes doivent faire la preuve de leur capacité à gérer. Les maires verts entendent créer une association des villes écologistes pour partager les bonnes pratiques et mener des politiques locales favorables aux mobilités douces et aux pratiques sociales avancées. Les historiens se rappellent des pionniers de Rochdale en Grande-Bretagne au XIXe siècle. Ils voulaient fonder une nouvelle cité sur les valeurs du partage et de la coopération. Les intentions des maires écologistes prennent la forme d’un séparatisme municipal (les premiers frottements entre le local et le national sont apparus à Marseille fin août 2020). Quel peut être l’avenir de cette gauche radicale ? Les Verts peuvent encore jouer sur la dissimulation de leurs véritables intentions. Leur programme est inconciliable avec celui du Parti socialiste. Différent de celui de LFI. D’un côté, une culture productiviste, de l’autre celle de la décroissance. Deux mondes que tout ou presque oppose !
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