Lutte contre le réchauffement climatique: les leçons de Nordhaus edit
L’actualité se télescope. Une fronde contre les hausses du prix de l’essence se développe juste après que le Prix Nobel d’économie ait été attribué à William Nordhaus pour ses travaux sur le réchauffement climatique. Soit Nordhaus a tout faux, soit la fronde qui monte revient à refuser de lutter contre le réchauffement climatique.
Pour réduire les émissions qui font grimper les températures (et provoquent des ouragans de plus en plus fréquents et violents), c’est une évidence, il faut réduire l’utilisation des ressources fossiles. Pour cela, il existe deux méthodes. Soit on interdit ou on rationne certains usages, soit on décourage l’utilisation des ressources fossiles en les rendant plus chères. Outre ses relents autoritaristes, l’interdiction ou le rationnement est infaisable. Quelles utilisations ? Quel niveau de rationnement ? Quels contrôles ? Chacun a sa petite liste préférée, mais aucun accord rationnel n’est possible sur ces questions. Par contre, décourager par le prix est facile à mettre en œuvre, souple à ajuster en fonction des résultats, et efficace. C’est précisément ce qu’a proposé Nordhaus il y a 45 ans, bien avant que la plupart des gens aient réalisé qu’il y avait un problème de réchauffement climatique.
Cette approche a le mérite d’être économiquement logique. Pour ceux qui instantanément y détectent une vision libérale (ou néo-libérale), l’idée de Nordhaus est que les marchés ne peuvent pas spontanément intégrer le besoin de lutter contre réchauffement climatique. Même si tout le monde est convaincu de cette nécessité, chacun considère que c’est aux autres de faire des efforts, tout comme les États-Unis s’en remettent aujourd’hui – et la Chine hier – aux autres pays pour limiter la casse. C’est le sens des accords de Paris, même si ces accords sont plus une déclaration d’intentions qu’une stratégie claire et précise. Quoi qu’il en soit, le constat est que l’économie de marché doit être amendée pour faire face à la menace qui monte.
La solution prônée par Nordhaus est d’utiliser la taxation pour décourager la consommation de ressources fossiles. C’est une vieille recette, parfaitement éprouvée. Ceux qui se plaignent de la hausse du prix des carburants ont parfaitement compris le sens de la mesure, mais ils en refusent les conséquences. Mais on ne peut pas accepter de lutter contre le réchauffement climatique et refuser de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est aussi la preuve que la mesure est logique puisqu’il s’agit de pallier à la tendance naturelle de chacun de refuser de faire un effort pour le bien collectif.
Ceci dit, la bonne solution ne consiste pas à seulement taxer l’essence à la pompe. Tous les usages qui produisent des gaz nocifs doivent être taxés, sans exception. La fronde est donc en partie justifiée. Les automobilistes se sentent un peu seuls à produire un effort, et ils ont de bonnes raisons de se sentir floués. Les gouvernements n’ont pas attendu la menace du réchauffement climatique pour taxer l’essence à la pompe. Parce que beaucoup de gens sont ‘addicts’ à la voiture et que le transport routier se nourrit de la modestie du frêt fluvial ou par le rail, les taxes sur les carburants sont une vache à lait pour les finances publiques. Il serait donc infiniment plus efficace et plus juste d’adopter une taxe carbone qui concerne tous les usages qui produisent des gaz à effet de serre, et ce à un niveau plus sérieux que ce qui existe aujourd’hui. Évidemment, la liste des opposants, dont les entreprises émettrices et leurs employés, s’allongerait et rendrait l’opposition plus formidable encore.
La parade, pour le gouvernement, est de ne pas utiliser cette taxe pour remplir ses caisses, ce qui n’est pas, ou ne devrait pas être l’objectif. Tous les revenus de la taxe devraient ainsi être redistribués. Deux utilisations s’imposent. D’abord, la lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas passer uniquement par une baisse de la consommation des ressources fossiles. Il est tout aussi essentiel de produire beaucoup plus d’énergie de manière propre. Le bon équilibre est celui où des nouvelles technologies permettent de produire de l’énergie à partir de ressources propres à un coût égal ou inférieur à celui des ressources fossiles. Cela demande des investissements massifs en recherche et développement. Subventionner ces investissements fait partie intégrale de la lutte contre le réchauffement climatique. On peut mentionner au passage que la recherche pour augmenter l’efficacité des techniques qui utilisent des ressources fossiles est contreproductive. Non seulement cela prolonge l’utilisation de ces ressources mais cela rend plus difficile, et donc moins rentable, la recherche pour l’utilisation d’énergie propre. Ainsi, baisser la consommation de carburant par les voitures, comme tous les gouvernements européens s’y sont engagés, n’est pas une bonne idée. Les voitures à essence (ou diesel) disparaîtront d’autant plus vite qu’elles seront moins performantes par rapport à la concurrence.
L’autre utilisation des revenus de la taxation est une question de justice sociale. Tous les utilisateurs d’énergie de source fossiles doivent faire face à des prix plus élevés pour être encouragés à réduire leur consommation. Mais les augmentations de prix qui s’ensuivent réduisent leur pouvoir d’achat, ce qui pénalise plus fortement les personnes à bas revenus. Il est donc normal de leur offrir une compensation, et c’est d’ailleurs ce que propose Nordhaus. Cette compensation ne doit surtout pas être liée à l’usage de la voiture, comme semble l’envisager le gouvernement, car cela revient à détruire l’effet incitatif qui est la raison d’être de la taxation. Ce doit être un transfert net, sous seule condition de ressources, dont l’objectif est de complètement maintenir le pouvoir d’achat tout en rendant le carburant plus cher. Doivent être proscrits des mesures telles que le chèque énergie, les indemnités kilométriques ou les subventions à l’achat de voitures moins polluantes. Certains doivent faire beaucoup de chemin pour aller travailler, mais faut-il les y encourager ? Idéalement, la solution serait qu’il n’y ait pas chômage, ce qui est utopique, mais la lutte contre le chômage fait aussi partie de la lutte contre le réchauffement climatique. Tout comme de bien meilleurs transports en commun ou des encouragements à déménager près des bassins d’emploi. Rester dans une zone à fort taux de chômage, en attente d’hypothétiques implantations d’entreprises, n’est pas seulement déprimant, c’est aussi un non-sens économique.
Enfin, à quoi bon mettre en place une solide politique de lutte contre le réchauffement climatique si les autres pays continuent à polluer l’atmosphère ? Là aussi Nordhaus a une proposition, qui a d’ailleurs été avancée par Emmanuel Macron. Il s’agit d’imposer des droits de douane sur les produits qui ne sont pas soumis à la même taxation. En Europe, marché unique oblige, ce ne peut être fait que collectivement. Quelle bonne manière de démontrer que l’Europe protège ses citoyens !
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