Macron, les sondages et les réformes edit
C’est la débandade. La cote de popularité de Macron ne cesse de chuter. Certains y voient l’effet de l’affaire Benalla, de la démission de Hulot, de la piscine de Brégançon, mais ce ne sont pas vraiment des affaires d’État. D’autres font état de déception : le candidat Macron avait promis de chambouler la France mais le président Macron est aux abonnés absents. Mais, en même temps, les députés se plaignent du rythme de travail effréné que l’accumulation des réformes leur impose.
Demandez autour de vous quelles réformes ont été réalisées depuis le début du quinquennat. On vous citera sans doute la Loi Travail, la SNCF, peut-être Parcoursup (héritage en fait de la mandature précédente), et c’est à peu près tout. Allez sur le site web de l’Élysée, vous ne trouverez rien. Sur celui de Matignon, une liste rébarbative avec plein de liens vers des discours ou des textes de présentations rédigées par des spécialistes de la langue de bois, de plomb plutôt. Vous ne trouverez aucun récapitulatif de l’action présidentielle si vous tapez « réformes Macron » sur Google, juste quelques critiques partisanes.
Et pourtant, ce sont les députés épuisés qui ont raison, une fois n’est pas coutume. En un peu plus d’un an, la liste des réformes adoptées est fascinante. Si vous ajoutez celles qui sont en cours, la France vit une transformation profonde. Tous les dysfonctionnements de la France, ceux qui étaient réputés inamovibles, sont abordés. Il y a bien sûr le marché du travail, dont la fossilisation a produit un chômage de masse apparemment incompressible. Il y a l’Éducation nationale qui commence à émerger de décennies de maltraitance. Il y a la fiscalité qui bascule la pression exercée par les rentiers de toutes sortes (y compris les députés sous-imposés) sur la France active : basculement des charge salariales vers la CSG, basculement de l’imposition des entreprises, des revenus du capital et de l’ISF sur la fortune immobilière. Il y a la formation professionnelle qui absorbe des ressources importantes pour des résultats faméliques. Il y a l’apprentissage qui ne permet pas, comme ailleurs, de contenir le chômage des jeunes en favorisant l’entrée dans la vie professionnelle. Il y a la politique du logement qui a échoué depuis des lustres, surtout le logement social accaparé par une multitude d’offices HLM souvent plus préoccupés par leurs intérêts propres que par ceux de leurs clients, et de ceux qui voudraient l’être, tout ceci accompagné d’une remise en cause de l’APL dont on sait depuis longtemps qu’elle profite d’abord aux propriétaires qui relèvent les loyers pour capturer l’aide versée aux locataires. Et puis, il y aura bientôt une loi santé, une réforme des retraites, un virage complet sur la pauvreté et une modification de la manière dont la justice fonctionne. Cette liste est loin d’être exhaustive.
On peut ne pas être d’accord avec ces réformes, mais affirmer que Macron n’en fait pas beaucoup relève d’une étrange amnésie. Étrange mais compréhensible. Un peu comme avec le président Trump dont chaque tweet scandaleux chasse le précédent, chaque réforme fait oublier celle qui vient d’être adoptée. Ce n’est pas de l’amnésie, c’est le tournis.
Bien sûr, ce qui importe en fin de compte, c’est que la vie des Français s’améliore. Si une amélioration généralisée se produisait, cela se retrouverait dans les sondages. Ici Macron fait face à deux profondes difficultés.
La première, c’est que les réformes de structure prennent du temps, beaucoup de temps, à produire leurs effets. Le chômage a commencé à chuter en Allemagne plus de cinq ans après les réformes mises en place par le Chancelier Schroeder. Alors que le taux de chômage était aux débuts des années 2000 égal ou supérieur à celui de la France, le taux de chômage allemand est aujourd’hui moins de la moitié (3,6% contre 8,9%). Entretemps, Schroeder a été chassé du pouvoir, largement parce que ses réformes du marché du travail déplaisaient à beaucoup de monde sans produire de résultats.
La seconde difficulté est intrinsèque à la stratégie de Macron. Il s’attaque simultanément à toutes les vaches sacrées héritées de l’accord passé après-guerre entre De Gaulle et le Parti communiste. Le colbertisme de l’un et le marxisme des autres se sont tout naturellement accordés pour mettre en place des institutions qui bafouent la notion d’efficacité économique, cette notion qui reste souvent encore aujourd’hui un gros mot. On peut mentionner les aides d’État aux particuliers et aux entreprises, la gestion paritaire des retraites, le quasi-monopole de l’Éducation nationale, la Sécurité sociale – qui jusqu’à une date récente a été une grande contributrice à la dette publique – ou l’application obligatoire des accords centralisés entre syndicats et patronat. Tout ceci fait de la France un cas unique d’inefficacité institutionnalisée sans que les Français ne s’en rendent compte. En s’attaquant à ces vaches sacrées, Macron navigue à contre-courant. Il le savait bien avant de s’y attaquer. C’est sans doute pour cela qu’il a choisi de s’en prendre aux principes mais à petite dose, pour ne pas trop heurter notre vieux pays. Quand il aura achevé son programme de transformation, il aura liquidé les principes mais laissé en place une partie importante de leurs implications. Son pari est sans doute qu’il sera facile ensuite de continuer les réformes pour finir d’accorder les institutions au principe d’efficacité qui aura remplacé la si prégnante vision gaullo-communiste. Mais, en attendant, petite dose signifie petits résultats.
Parce qu’elles sont nombreuses et tout azimut, les réformes affectent de plus en plus de Français. Chacun y perd un grand ou un petit avantage, dit acquis. Plus les réformes avancent et plus de personnes se sentent lésées. À terme, lorsqu’enfin les résultats se produiront, l’écrasante majorité des Français découvriront qu’ils y ont gagné, mais en attendant Macron chute dans les sondages. Benalla ou Hulot sont des épiphénomènes mais ils cristallisent les frustrations, ce dont cherchent naturellement à profiter tous ceux qui sont attachés à « l’ancien monde ».
Rien de ce qui se passe n’est vraiment surprenant, hormis l’absence de pédagogie de la part de l’Élysée. Emmanuel Macron ne pouvait pas ignorer la vague de fond qu’il allait déclencher. Il lui faut accompagner son grand œuvre de transformation par des explications mille fois répétées. Il ne suffit pas d’expliquer chaque réforme et sa logique, et puis de passer à la suivante comme si tout recommençait. Est-il politiquement dangereux de décrire la cohérence de la libéralisation ? Macron s’est piégé tout seul avec son annonce de communication jupitérienne et il s’est laissé piéger par le titre de président des riches. Certes, ce n’est pas facile d’expliquer que ceux qui créent de la richesse pour eux-mêmes en créent aussi pour la collectivité. Les encourager revient inévitablement à les favoriser. Mais on peut l’expliquer, ne serait-ce qu’en comparant avec ce qui se fait à l’étranger. Le vide des sites web de l’Élysée et de Matignon est le symbole de la non-communication sur les réformes.
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