Pourquoi pas deux EPR à Fos-sur-mer? edit
En France, la relance de la construction nucléaire a souvent fait la « une » des médias ; en revanche, le choix des sites pour l’implantation des trois premières paires d’EPR de deuxième génération (EPR2), n’a guère eu d’échos. Des protestations, mais peu nombreuses, des rassemblements in situ, mais faméliques, et même quelques déceptions affichées ; décidément, les temps ont bien changé.
Toutefois, pour nos décideurs, le retour en grâce du nucléaire n’étant pas complétement assuré, (l’opinion restant volatile en la matière, et le sujet demeurant politiquement clivant) il a été jugé sage de choisir les lieux d’implantation des nouveaux réacteurs sur des terrains jouxtant des installations nucléaires en exploitation[1]. Cette clause était spécifiquement mentionnée dans la loi et les décrets afférents, soumis à consultations publiques, comme si on voulait d’emblée restreindre la portée de ce qui, pourtant, est un virage politique, pour ne pas parler de demi-tour.
On donne ainsi l’impression d’une extension à la marge, plus que d’un renouveau. Décidément ce nucléaire, enfin reconnu utile, n’en resterait pas moins honteux !
Un mot sur les EPR2, présentés comme des EPR optimisés pour être plus facilement (donc plus rapidement) constructibles, en conservant le très haut niveau de sûreté du concept, comme son niveau de puissance élevé.
L’implantation se fera par paire de réacteurs, comme à Taishan (en Chine) et à Hinkley Point (au Royaume-Uni), même si chaque installation est la stricte copie de l’autre, sans mise en commun d’auxiliaires, les gains au niveau de la construction et de l’exploitation étant escomptés d’une logistique optimisée et partagée. Une telle configuration avait, à l’époque, contribué au succès de l’ambitieux programme nucléaire.
Les trois premières paires d’EPR2 ont été attribuées à Penly, Gravelines et Bugey, parmi d’autres possibilités sur des sites nucléaires en exploitation, lesquels restent en course pour l’attribution des quatre paires envisagées dans un second temps, en particulier celui du Tricastin (sur le Rhône) et celui du Blayais (sur l’estuaire de la Gironde). Pour ces derniers sites, il est notable que les élus des communautés avoisinantes (du local au régional), les agents économiques et même les citoyens, se soient constitués en « comité d’attraction » des nouveaux réacteurs, dans une démarche originale et convaincante[2].
Ce processus d’implantation des EPR2 sur des sites où EDF exploite actuellement des réacteurs est logique, terrains déjà acquis, connexion facilitée au réseau THT et environnement socio-économique accoutumé au nucléaire. Cela ne garantit pas pour autant un long fleuve tranquille pour les projets concernés, mais diminue les risques d’opposition locale frontale et violente, craints pour des lieux de première implantation, comme désormais pour tout nouvel ouvrage qu’on veut construire en France, même quand il franchi toutes les étapes administratives (Notre Dame des Landes, Sainte Soline, Sivens, Bure, A 69, TGV Bordeaux-Toulouse, tunnel Lyon-Turin…). Et ici, il s’agit de nucléaire !
Pourtant, en procédant ainsi, on s’est sans doute privé de localisations plus judicieuses, si tous les paramètres déterminant un choix étaient libres (source froide fiable, importants besoins locaux ou régionaux, proximité des autoroutes électriques, rééquilibrage géographique production-consommation…).
Ainsi, d’autres lieux remplissent-ils ces conditions, aussi bien, voire mieux, que ceux choisis. Certes, les sites déjà équipés avaient jadis été retenus sur des critères semblables, mais les nouvelles implantations vont augmenter notablement leur puissance électrique locale, sans doute au-delà de l’optimum requis ; ainsi le site de Gravelines avait déjà accueilli, en sus, deux réacteurs initialement destinés à l’Iran.
Emblématique de ces « non-choix », le site industriel de Fos sur mer, en plus de cocher toutes les cases précédentes, dispose d’espaces aménageables.
Pourquoi pas Fos sur mer, ou d’autres sites non encore nucléaires ?
Le site avait déjà été mentionné pour l’implantation de petits réacteurs modulables (SMR), certes une bonne idée pour satisfaire les besoins industriels locaux, mais qui pourrait retarder, voire fermer la porte à l’implantation de réacteurs de puissance, autrement valorisables, régionalement et nationalement, comme le serait une paire d’EPR2 (2 x 1650 MWe).
En effet, les deux régions géographiques situées de part et d’autre du delta du Rhône (PACA et Est de l’Occitanie) ne possèdent pas ou peu d’installations de production électrique (hormis l’ensemble hydraulique Durance-Verdon, les cycles combinés gaz de Martigues et les nouveaux champs renouvelables) ; elles sont ainsi structurellement déficitaires, sans parler de leur vulnérabilité en matière de réseaux électriques, essentiellement des d’antennes, sans possibilités aisées de sécurisation par bouclages. Pour ces régions, l’important hub de production que constituerait une paire d’EPR2 à Fos-sur-Mer permettrait de réorienter positivement les problématiques précédentes.
Suivant cette même logique, d’autres localisations pour les nouveaux réacteurs apparaîtraient judicieuses, en particulier pour mieux alimenter la zone Nantes-Saint-Nazaire, fortement consommatrice, et fiabiliser l’alimentation de la Bretagne, laquelle région reste une péninsule électrique, sans moyens de production, hors la centrale charbon de Cordemais (sur l’estuaire de la Loire, juste en aval de Nantes), dont on reporte régulièrement la fermeture pour les raisons évoquées supra, et le site centrale à cycle combiné gaz de Landivisiau, récemment mis en service.
Dans le passé, un projet (au long cours…) de centrale nucléaire sur le site du Carnet, toujours en aval de Nantes, mais sur la rive gauche de l’estuaire, avait fini par être abandonné par le gouvernement Jospin, suite à des protestations mobilisatrices[3].
Stratégie à la Pyrrhus ?
Il est clair que chercher à minimiser les oppositions locales à l’implantation des six nouveaux réacteurs, en choisissant de les accoler à des installations nucléaires en fonctionnement, est une forme de recherche de la validation par le retour d’expérience local, certainement très efficace pour argumenter contre les oppositions locales.
Mais cette stratégie ne répond certainement pas à une optimisation plus globale de la répartition des sources de production électriques et à la correction de certaines anomalies, déjà évoquées.
Pour les quatre paires d’EPR2 qui pourraient suivre le premier train actuel, on a vu que des sites nucléaires existants (Tricastin, Blayais), se sont déjà portés candidats et d’autres le feront, mais il est souhaitable que des implantations hors sites nucléaires soient aussi envisagées.
A contrario de l’exercice qui démarre sous les auspices de la nouvelle loi d’accélération du nucléaire et de ses clauses spécifiques (comme l’obligation de proximité…), de prochaines localisations pourraient ne plus bénéficier de ce bouclier physico-réglementaire, une épreuve de vérité pour le retour en grâce du nucléaire, mais les décideurs d’alors auront-ils le courage de faire le test grandeur nature ?
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[1] Projet de décret d’application de la loi du 23 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, définissant la notion de proximité immédiate et portant diverses adaptations procédurales.
[2] Manifeste pour l’implantation de réacteurs EPR2 sur le site du Blayais, signé par un collectif d’élus du territoire et d’anciens cadres de la centrale du Blayais.
[3] Pour mémoire, ce même gouvernement avait d’emblée arrêté le RNR de Creys-Malville (1997), sans rappeler l’emblématique épisode de la centrale de Plogoff, projet stoppé dès l’élection de François Mitterrand (1981), une promesse de campagne tenue, a contrario de celle concernant le moratoire sur le programme nucléaire.