Grèce: et maintenant? edit
Le peuple grec a tranché clairement en donnant au non une forte majorité mais il l’a fait dans les pires conditions. Un délai trop court pour une campagne dont l’enjeu était décisif pour le pays, une absence de leaders crédibles pour défendre le oui et une question très ambiguë (voter oui c’était voter non à Tsipras et voter non c’était voter oui à Tsipras) et trompeuse. En effet, les propositions que le gouvernement grec appelait à rejeter n’étaient plus sur la table depuis la confirmation de sa décision d’organiser le référendum et, surtout, Tsipras avait affirmé qu’un vote non n’entraînerait pas une sortie de la Grèce de la zone euro. Selon lui, il était possible de disjoindre les deux questions. Une telle position a pu encourager les Grecs, qui dans leur grande majorité demeurent attachés à l’euro, à voter non. Néanmoins, compte tenu des déclarations de nombreux dirigeants européens appelant à la veille du vote l’attention des Grecs sur le risque que la victoire du non conduise au Grexit, il faut considérer qu’en votant, ils n’ont pu ignorer ce risque. Ils ont voulu d’abord exprimer leur soutien à la position du gouvernement qui faisait de ce vote un acte de résistance du peuple grec aux « terroristes » européens, à un Schäuble présenté comme un vampire et à une agression de l’Europe assimilée à celle de Mussolini en 1940. La passion nationale et l’émotion l’ont ainsi emporté sur une analyse rationnelle de la situation. Ce vote ouvre donc une période nouvelle dans l’histoire de la construction européenne dans la mesure où pour la première fois la sortie d’un pays de la zone euro apparaît comme une issue possible sinon probable.
Pour éviter une telle issue, trois solutions sont envisageables.
La première est celle présentée par le gouvernement grec. Il s’agit de revenir à la situation d’avant le référendum, de reprendre les négociations et de parvenir à un compromis en finalisant l’accord du 25 juin, les partenaires de la Grèce acceptant certaines amodiations dans le sens des demandes grecques. Le gouvernement grec aurait ainsi montré sa capacité à imposer sa volonté et sauvé à la fois l’euro et la souveraineté et la démocratie grecques contre les attaques des technocrates européens. Une telle issue paraît cependant fort improbable. D’abord parce que du côté de ces partenaires, les propositions faites avant le référendum ne sont plus sur la table. Le plan est forclos. Ensuite parce que les concessions éventuelles qu’ils pourraient faire ne changeraient pas fondamentalement les exigences contenues dans ce plan qui vient d’être clairement rejeté par les grecs au nom du refus de l’austérité. Enfin parce que le FMI estime à présent que tout nouvel accord passe par un gel du service de la dette jusqu’à 2018 et un haircut de 30% de celle-ci. Or une telle décision est non seulement difficile à accepter par les Allemands mais elle sera perçue par tous les pays qui se sont ajustés dans la douleur comme intolérable et plus encore elle sera reçue comme un encouragement donné aux Podemos et aux FN des différents pays européens.
La seconde solution est celle qui est préférée par François Hollande au nom des intérêts de l’Europe et des enjeux géopolitiques : remettre sur la table le plan du 25 juin, mettre en œuvre un plan d’investissements pour la Grèce et accepter le haircut de 30% de la dette grecque. Cette seconde solution apparaît aussi improbable que la première. En effet, les élites politiques et l’opinion allemandes ont évolué rapidement dans la dernière période et la Chancelière n’est probablement plus en état de faire des concessions supplémentaires alors que le plan du 25 juin lui-même serait aujourd’hui très difficile à faire accepter au Bundestag. En outre, l’Allemagne est loin d’être isolée au sein de la zone euro. Nombre de pays refuseront de nouvelles concessions et l’option du Grexit est désormais ouvertement envisagée par plusieurs d’entre eux. À partir du moment où ces concessions seraient faites, plusieurs pays qui sont eux-aussi dans une situation difficile mais qui ont accepté des efforts importants réclameraient pour eux-mêmes les avantages concédés à la Grèce. Tout le processus des négociations intra-européennes serait alors gravement remis en cause avec le risque d’un détricotage de la zone euro. À cela, il faut ajouter que la France est relativement isolée au sein de la zone euro et qu’elle n’a plus le poids nécessaire pour imposer ses propres solutions.
La troisième solution est que les Institutions décident de « donner du temps au temps ».
Pour cela il faut d’abord reprendre les négociations avec une perspective crédible d’aboutir. Tsipras après avoir démis Varoufakis peut constituer une délégation de négociateurs représentative de toutes les forces politiques grecques. La BCE peut alors légitimement considérer qu’un accord étant à portée de la main elle peut rétablir le financement exceptionnel des banques grecques et éviter ainsi leur effondrement. La BCE pourrait par ailleurs trouver un arrangement pour l’échéance du 20 juillet. Même si le temps venait à manquer et que le gouvernement grec venait à émettre des IOU, c’est-à-dire une monnaie parallèle gagée sur les rentrées fiscales, les autorités européennes pourraient accepter de fermer les yeux. Ce scénario est malgré tout improbable car il est fondé sur la volonté de la Grèce de renoncer à ses demandes, sur l’infinie bienveillance de la BCE et sur un revirement de l’Allemagne.
Que faire alors ?
En réalité, le gouvernement grec s’est enfoncé dans une spirale que le référendum et son résultat ont accélérée et qui mène presque inéluctablement à la sortie de la Grèce de la zone euro. En effet, alors que le FMI a annoncé le défaut de la Grèce, le victoire du non au référendum est pour Tsipras une victoire à la Pyrrhus – autre dirigeant grec ! Il n’avait probablement pas d’autre choix politique à partir du moment où il avait gagné les élections sur la promesse de rompre avec l’austérité bruxelloise. Mais il a perdu ainsi, en rompant les négociations, la confiance des dirigeants européens, notamment allemands, les poussant à envisager sérieusement le Grexit, et accéléré le processus qui mène son pays à la faillite. Avec le contrôle des capitaux et la fermeture des banques il a été forcé de s’éloigner de l’Eurozone et il lui faudra rapidement créer une monnaie parallèle même si la BCE continue – mais sans les augmenter – à lui fournir des liquidités. Le blocage est ainsi presque total et, du coup, l’option du Grexit apparaît de plus en plus comme la seule option possible. En opposant la souveraineté démocratique de la Grèce à l’ensemble des autres pays de l’Eurozone, le gouvernement grec a rompu le processus habituel des négociations intergouvernementales en se défaussant sur la population grecque de sa propre responsabilité et, du coup, en se liant les mains. Dans ces conditions, faire comme si de rien n’était et reprendre les négociations là où elles étaient avant la décision d’organiser le référendum paraît hautement irréaliste.
L’enjeu est dès lors pour les gouvernements de l’Eurozone d’organiser le Grexit le mieux possible en tentant d’éviter à la fois une paupérisation rapide et dramatique de la population grecque et le blâme d’une partie de l’opinion européenne qui accusera ces gouvernements d’affamer les Grecs pour se venger de Tsipras. Ici, la position de François Hollande devient à la fois délicate et cruciale. D’un côté, la nécessité de sauvegarder l’unité du couple franco-allemand dans cette crise et d’organiser au mieux des intérêts de la population grecque et à terme du pays lui-même le Grexit devrait le pousser à présenter une position commune avec l’Allemagne et assumer ce Grexit. De l’autre, les raisons de politique intérieure qui le poussent à éviter une cassure plus nette encore de la gauche et de son propre parti sur l’affaire grecque et à se poser en champion du compromis entre l’Allemagne et la Grèce peuvent l’amener à se mettre en retrait par rapport à Angela Merkel si celle-ci se prononce clairement en faveur de cette option. Mais alors, la détérioration des relations franco-allemandes et le pourrissement de la situation en Grèce feraient courir le risque d’une crise plus profonde encore de la zone euro et créeraient des incertitudes sur l’avenir de l’euro lui-même. On le voit, le président français est au pied du mur et la crise grecque pourrait avoir sur la politique française des effets redoutables.
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