L’État brancardier, made in USA edit
Le sauvetage de General Motors au terme de longues négociations menées par l’Administration Obama avec les syndicats, les élus locaux, les créanciers et le management de l’entreprise fait irrésistiblement penser aux pratiques naguère décriées de l’État brancardier à la française. Pour comprendre la logique de l’intervention de l’Administration Obama, il faut répondre à trois questions. Pouvait-on faire autrement, la faillite était-elle une option ? Pourquoi n’a-t-on pas introduit des incitations au renouvellement du parc du type prime à la casse pour ranimer la demande ? Le montage retenu est-il viable ou ne s’agit-il que d’un compromis politique accompagnant le déclin industriel de l’automobile ?
Les traits de l’État brancardier à la française sont connus : projet de développement ambitieux sur fond de déclin industriel, intervention publique massive au nom de la préservation de l’autonomie de la firme, faux-nez public en guise d’actionnaire privé, conversion obligatoire de créances en capital, plans sociaux sous-dimensionnés mais qui ont vocation à être renouvelés et, au total, gestion en marches d’escalier du déclin industriel. Reprenons un à un ces différents traits.
Au moment où l’industrie automobile s’écroule, le gouvernement américain fait croire à un avenir radieux pour l’automobile en invoquant le développement de véhicules hybrides ou électriques et en édictant des normes basses d’émission de GES. La feuille de route donnée à GM est simple : renaître comme producteur de voitures propres et sobres en énergie, comme si la conversion à un nouveau modèle économique et énergétique pouvait se faire en trois mois.
Le gouvernement invente dans la hâte un Comité de restructuration industrielle (CIRI), à l’américaine, présidé par un banquier d’affaires, Steve Rattner, mais il s’engage à respecter une parfaite autonomie de stratégie et de gestion et à éviter tout micromanagement. Steve Rattner a en particulier déclaré que l’actionnaire public n’interviendrait ni sur les décisions de localisation (aux Etats Unis et à l’étranger), ni sur la politique de marques, ni sur la politique de produits. L’intention est louable, mais GM n’évitera pas en pratique les interférences politiques du Congrès, ne serait-ce qu’au nom de la protection de l’argent du contribuable américain.
Le nouveau GM qui sortira de la faillite aura pour actionnaires l’État et les syndicats et pour une part très minoritaire les créanciers ; autant dire que l’actionnaire réel est l’État Américain. Le Trésor américain après avoir fabriqué une entreprise sans actionnaires se met en quête d’administrateurs sans mandat au nom de l’autonomie de gestion.
Enfin le gouvernement obtient en échange de la survie de l’entreprise, l’acceptation par les syndicats de fermetures d’usines, d’abandons de marques, de licenciements et de baisse d’avantages sociaux. Mais convertir des avantages sociaux en actions ne supprime pas le différentiel de compétitivité des usines de Detroit avec celles de l’Alabama.
Au total l’État brancardier ne vise qu’en apparence la relance industrielle d’un secteur en difficulté, son véritable projet étant en fait la gestion sur la durée de la reconversion industrielle, humaine et urbaine.
Pouvait-on faire autrement et la faillite était-elle une option ? Le gouvernement Obama, sitôt installé, aurait pu jouer la carte de la faillite en précipitant le passage sous chapitre 11 de GM et en consentant un crédit (debt in possession) permettant une restructuration à chaud qui aurait permis d’abolir les engagements anciens de GM à l’égard de ses salariés, de ses créanciers et de ses distributeurs. Un nouveau GM aurait pu naître alors, qui aurait trouvé des actionnaires privés prêts à en prendre le contrôle. En parallèle, l’État aurait pu accélérer ses programmes de R&D pour hâter l’avènement de véhicules électriques et donner un ballon d’oxygène au secteur en instituant comme en Allemagne ou en France des primes à la casse pour renouvellement de véhicule. En somme, on aurait eu une faillite facteur de destruction créatrice, de redéploiement du capital et des salariés, une stimulation du secteur avec renouvellement du parc et un investissement dans des projets innovants. Ce n’est pas la voie qui a été choisie, car elle aurait abouti à une disparition de cols bleus bien payés proches du Parti démocrate, elle aurait sinistré des États comme le Michigan ou l’Indiana, elle aurait accéléré la pénétration de firmes et de produits automobiles étrangers. La voie qui a été choisie a au contraire privilégié la préservation d’emplois, de sites et de produits américains traditionnels au prix d’une injection massive d’argent public (50 milliards de dollars) et d’un engagement irréversible de l’État américain dans le secteur.
Le plan de sauvetage adopté, s’il est compréhensible politiquement peut-il réussir économiquement ? Si l’on considère que la crise que subit l’automobile est essentiellement une crise financière, due à la fin du crédit facile, à la crise des organismes de financement par montée des taux de défaut, alors la normalisation du secteur financier facilitera la reprise du crédit et donc le retour des consommateurs. La résolution de la crise automobile serait indexée sur celle du secteur financier.
Si l’on considère à l’inverse que la crise actuelle est ancienne et qu’elle trouve son origine dans l’inadaptation de l’offre (pour résumer, des 4X4 au lieu de compacts et d’hybrides) du fait d’un changement de l’attitude des ménages occidentaux (fin de la voiture-statut, souci d’économies d’énergie, prise de conscience des problèmes environnementaux etc.), alors GM ne peut s’en tirer car son offre automobile face à la mutation de la demande est structurellement inadaptée. Dès lors, les restructurations majeures sont encore devant nous.
Si l’on considère enfin que Detroit n’est déjà plus compétitif aujourd’hui face aux usines nouvelles implantées dans les sud des États-Unis, non syndiqué, par des compagnies coréennes, japonaises ou allemandes, et demain face aux véhicules à bas prix chinois et indiens, alors les demi-mesures prises avec le plan Obama ne feront illusion qu’un temps et la crise rejaillira inévitablement, justifiant de nouvelles injections de fonds et de nouvelles restructurations.
Comme avec l’État brancardier à la française, la logique du plan de sauvetage n’est pas dans son contenu économique mais dans la gestion politique et sociale de l’attrition des effectifs et des sites industriels par une succession de plans de restructuration. À la décharge des Américains on peut faire pire en matière d’interventionnisme et les Allemands l’ont fait. Les conditions de la reprise d’Opel mériteront de figurer à l’avenir dans les manuels de l’interventionnisme industriel. Alors que les experts du secteur s’accordent à dire que l’Europe souffre de surcapacités de production (de près de 20%), que la disparition d’un groupe en difficulté permettrait aux autres groupes de mieux résister à la crise actuelle, le gouvernement allemand organise la reprise d’Opel par un consortium improbable de repreneurs (un équipementier canadien + une banque russe + GM…) sans passer par la case faillite et sans toucher aux privilèges des créanciers. Il conditionne ses aides au maintien de tous les sites de production allemands au mépris des intérêts des travailleurs anglais et belges appelés à accepter avec silence leur disparition. Des critères nationalistes sont avancés pour la défense de sites en violation ouverte des règles du marché unique et du régime des aides publiques.
La crise automobile mondiale que nous traversons est emblématique. Elle illustre la fin d’un monde : celui de la seconde industrialisation, de la grande firme industrielle et de la ville-usine, du fordisme. Nulle part ailleurs qu’à Detroit ce modèle n’a autant prospéré. Le long déclin des firmes de Detroit (chute des parts de marché US de GM de 55% il y a 30 ans à 20% aujourd’hui) aurait pu les conduire à une disparition pure et simple à la faveur de cette crise. Le choix du gouvernement Obama a été d’accompagner socialement le déclin en le gérant dans le temps avec de l’argent public.
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