2017 année exceptionnelle edit
C’est un fait acquis : 2017 sera pour l’histoire électorale une date majeure. Nul besoin de proposer une compilation des analyses qui soulignent l’ampleur, sinon de la recomposition, au moins de la décomposition que Le Vote disruptif[1] a mise en lumière. L’année 2017 sera-t-elle également un millésime important en termes d’histoire politique ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. La réponse est intimement associée à la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron – ou à son échec. Reste à déterminer l’aune de la mesure…
Deux ouvrages récents offrent une passerelle pour passer de l’histoire électorale à l’histoire politique. Le premier est le récit de la campagne de François Fillon que l’on doit à Patrick Stefanini[2]. Le second est L’Evénement Macron[3] de l’historien Jean-Pierre Rioux.
La défaite de Fillon est la défaite de la droite
Patrick Stefanini est un professionnel des campagnes électorales. Directeur de campagne de Jacques Chirac en 1995 et 2002, de Valérie Pécresse pour la région Île de France en 2015 et de François Fillon jusqu’au 3 mars 2017, Stefanini connaît les partis, les stratégies, les tactiques, les techniques… et les hommes. Son témoignage, qui procède de la profonde tristesse que lui a causé le gâchis de la candidature de François Fillon, conjugue curieusement une lucidité assez évidente sur son candidat et sur l’état de la droite et, pour qui n’observe le système que de l’extérieur, une forme d’aveuglement sur les dérives des pratiques politiques de la Ve République. J’en soulignerai juste une qui concerne Patrick Stefanini lui-même : le monde de la haute fonction publique qu’il décrit, c’est-à-dire celle qui milite, n’est pas au service de l’État mais d’un parti dans l’État. C’est un héritage dramatique du chiraquisme, et sans doute aussi, du mitterrandisme.
Pour analyser l’échec de François Fillon, le récit part de « l’affaire Fillon ». Ce n’est finalement pas là l’essentiel. Refaire le film ne présente guère d’intérêt : on y voit la petitesse des ambitions humaines, la fragilité d’êtres qui se pensent supérieurs et qui sont les fossoyeurs de l’hygiène démocratique, les logiques de la presse et les rapidités de certaines procédures judiciaires. Que l’affaire Pénélope puis l’affaire des costumes aient coûté cher à la candidature de François Fillon, cela va de soi. Mais en lisant Stefanini, on se rend bien compte que l’échec était presque inscrit depuis la victoire aux primaires de l’outsider Fillon.
Fillon a gagné contre le parti. Les primaires ont donné aux électeurs de droite la parole face aux militants ; militants qui ne sont eux-mêmes que les jouets de grands barons. Même si Patrick Stefanini déplore n’avoir pu mieux faire analyser les résultats de la primaire – 4,5 millions d’électeurs mais trop représentatifs du cœur de la droite [retraités, artisans, cadres supérieurs…] –, l’ampleur du succès politique de Fillon le 29 novembre 2016 le plaçait en orbite.
Pourtant, et cela est parfaitement décrit dans le livre, Les Républicains, alors dirigés par Sarkozy, ont eu du mal à admettre le résultat. Entre décembre et janvier, François Fillon a tardé à rassembler sa famille politique (« On pourrait égrener à loisir la liste des départements où les rivalités de personnes, les procès en légitimité, les aigreurs des uns, les déceptions des autres et les conflits latents ont empêché que s’enclenche une véritable dynamique de campagne », p. 247). Son obstination, qui se manifeste presque avec panache le 5 mars au Trocadéro, ne tient pas qu’à son caractère : François Fillon est soutenu par « un peuple de droite » qui entend que les primaires ne soient pas un coup pour rien. Même s’il regrette qu’un plan B n’ait pas fonctionné, Patrick Stefanini mesure sans doute mal le tort qu’un plan B aurait porté à la sincérité du parti Les Républicains.
C’est là que la lecture de l’ouvrage provoque presque un haut le cœur. Le rappel de l’histoire de l’UMP devrait indigner tout citoyen normalement attaché au respect des règles. La campagne de 2012, objet d’une gestion financière suspecte et sans doute délictueuse ; une élection à la présidence (le duel Copé-Fillon) qui se termine par un résultat inverse à celui du vote ; des querelles anciennes entre chiraquiens, balladuriens, séguinistes, libéraux, eurosceptiques, pro-européens, l’UMP n’est même plus une auberge espagnole mais un bateau ivre où chacun, biberonné qu’il a été à la pratique chiraquienne de la politique, veut croire en son destin, en le forçant à n’importe quel prix. « Au final, en politique comme dans la vie, on n’est jamais fidèle qu’à soi-même. N’en déplaise aux militants auxquels ce constat s’applique tout autant » (p. 289).
Aujourd’hui, chez les Républicains, la première urgence de la réflexion devrait porter sur ce fonctionnement. Le dernier chapitre du livre de Patrick Stefanini – « Quel avenir pour la droite ? » –, plein de suggestions intéressantes, est presque disqualifié par ce qui précède. Les idées, depuis que la droite a été cannibalisée par le chiraquisme – une pratique de la politique uniquement tournée vers la conquête du pouvoir à des fins de confiscation partisane –, n’ont pas la part belle. Et c’est un paradoxe que de constater que le candidat Fillon, dont le succès aux primaires a reposé sur la solidité de son projet et la clarté de ses idées, n’a pu résister à ce qui apparaît presque comme l’ADN de sa famille politique, lui-même ayant participé d’un système bien opaque.
Le macronisme existe
La droite est un champ de ruines et la gauche tout autant. Emmanuel Macron n’aurait-il gagné que par défaut ? Une trop rapide lecture des résultats du premier tour – E. Macron 24,01% ; M. Le Pen 21,30% ; F. Fillon 20,01% ; J.-L. Mélenchon 19,58% – pourrait faire croire que tout s’est joué à moins d’un million de voix sur 31,4 millions de suffrages exprimés. Il est vrai qu’une telle configuration n’a pas de précédent : en 1981, l’écart maximum entre les quatre premiers candidats étaient de 13 points (VGE 28,3% ; Marchais 15,3% avec Mitterrand 25,8% et Chirac 18%). Il était de 20 points en 1988 (Mitterrand 34% ; Le Pen 14,4% avec Chirac 19,9% et Barre 16,5%). Là 4,5 points seulement séparent le premier du quatrième. La dynamique de la campagne ayant été si profondément perturbée par l’affaire Fillon, il est raisonnable de penser que d’autres scénarii auraient pu s’écrire. Une victoire de Manuel Valls aux primaires de la gauche aurait tout changé.
Jean-Pierre Rioux refuse une telle analyse. Spécialiste d’histoire politique et culturelle de la France contemporaine et bon connaisseur du centrisme dont il est aussi un sympathisant, Jean-Pierre Rioux entend montrer qu’Emmanuel Macron n’est pas un accident de l’histoire. L’ouvrage est un abécédaire qui mêle des thèmes (les affaires, le clivage gauche-droite, l’Europe, la moralisation, le progressisme, le travail…) et des noms propres (Bayrou, Hollande, Jeanne d’Arc, Mendès-France, Ricœur, Rocard, Saint-Simon et Machiavel…). La lecture est en plaisante et plus profonde que le dispositif de chapitres courts pourrait laisser croire.
De l’ouvrage sort renforcée la dimension intellectuelle d’Emmanuel Macron. À coup de citations de ses discours de campagne, plus riches à la lecture qu’à l’audition, se dessine un portrait politique assez ferme. Emmanuel Macron n’est pas un accident de l’histoire parce qu’il sait pourquoi il s’est lancé dans la campagne de 2017. Il ne s’agit pas simplement d’un audacieux qui saisit son « Kairos » (pp. 97-100). L’homme, avec ses équipes, a posé un diagnostic cruel sur la situation de la classe politique et sur les urgences pour la France.
Candidat pro-européen et « ouvert », Macron est sensible « à deux accélérations récentes de la mondialisation, ce qui l’a distingué de ses compétiteurs (…) : tout est poreux, tout se déplace et l’ombre de la guerre se profile ». « Sur ces deux points, estime Jean-Pierre Rioux, le lieu commun n’est pas loin. Mais c’est l’acuité particulière avec laquelle il les a signalés qui a fait la différence et permis aux Français de commencer à en prendre la mesure » (p. 173). Selon notre observateur, Macron a bien montré lors de la campagne que « toute transformation est une anamorphose ». La France peut vivre cette « grande transformation », « car pour peu qu’on les cherche librement, que l’Europe soit de la partie et que la paix soit maintenue, il y a toujours des possibilités de meilleur gouvernement de l’économie de marché, il existe des marges de manœuvres dans une société et un monde complexes et menacés. Et le défi aujourd’hui, c’est de vouloir le reconnaître » (p. 176).
Rioux réussit son exercice qui est de réinscrire la volonté politique d’Emmanuel Macron dans les logiques de l’histoire française. On sort de son petit essai plutôt convaincu. Bien qu’il ait été écrit à la chaleur de l’événement, pendant l’été 2017, il constitue une boussole pour suivre le déploiement du « macronisme gouvernemental ».
Il y a donc bien toutes les chances pour que 2017 ne soit pas seulement étudiée sous son seul profil électoral, mais que l’année devienne une des lignes de fuite de l’histoire contemporaine de la France, au même titre que 1958. Et à ceux qui n’en seraient pas convaincus, on pourrait demander d’en faire au moins le vœu, tant la « renaissance française » devient urgente !
[1] Pascal Perrineau (dir.), Le Vote disruptif, Presses de Sciences Po, Paris, 2017
[2] Patrick Stéfanini, Déflagration. Dans le secret d’une élection impossible, Robert Laffont, Paris 2017
[3] Jean-Pierre Rioux, L’Evénement Macron. Un abécédaire historique, Odile Jacob, Paris 2017
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