Angela Merkel au défi de l’extrême droite edit
Elle n’était pas sur le bulletin de vote mais sa politique était au centre de la campagne. Et le résultat est un revers sans précédent pour Angela Merkel. Aux élections régionales du Mecklembourg-Poméranie occidentale, dans ce Land de l’ancienne Allemagne de l’Est coincé entre la mer Baltique et la Pologne, le parti populiste de droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) est arrivé devant la démocratie-chrétienne le parti de la chancelière. Le Parti social-démocrate (SPD) reste en tête avec 30% des voix (il perd cinq points) mais la CDU, son alliée dans le gouvernement régional de Schwering, passe de 23 à 19% des suffrages. L’AfD obtient, elle, 22%.
Pour la première fois, dans l’histoire politique de l’Allemagne d’après la réunification, un parti de droite supplante la démocratie chrétienne, ce parti « du peuple tout entier » (Volkspartei). Il avait l’ambition de s’adresser à toutes les couches de la population et avec l’appui de la CSU bavaroise sur son aile conservatrice, il prétendait ne laisser aucune place à une formation qui aurait à la fois un programme plus à droite et une légitimité démocratique issue des urnes. Le vote de dimanche dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale a montré que cette époque était révolue. C’est un sérieux avertissement pour Angela Merkel. En temps normal, ce scrutin n’aurait intéressé que les passionnés de science politique. Ce petit Land, le plus pauvre d’Allemagne, ne compte que 1,6 million d’habitants. Un quart de la population vit au niveau ou en-dessous du seuil de pauvreté. Il est gouverné depuis dix ans par une grande coalition entre le SPD et la CDU (comme à Berlin). Elle a plutôt bien réussi et malgré un taux de chômage qui est le plus élevé d’Allemagne chez les jeunes, l’emploi s’est développé. C’est une région sans histoire à telle point qu’on prête à Bismarck la remarque suivante : « Si le monde s’écroulait, j’irai dans le Mecklembourg parce que là-bas tout arrive avec cinquante ans de retard. »
Les questions régionales n’ont joué qu’un rôle secondaire dans la campagne électorale. L’AfD a réussi à mettre la politique d’Angela Merkel vis-à-vis des réfugiés, la sécurité et le terrorisme, l’islam et l’identité, au centre des débats. Elle a dénoncé ce qu’elle appelle « l’Asylchaos » provoqué par la chancelière avec sa culture de la bienvenue. Elle a obligé les partis établis à prendre sur ces sujets des positions plus à droite que leurs programmes traditionnels. Le chef social-démocrate du gouvernement régional a critiqué la politique d’ouverture de la chancelière qui a amené un million de réfugiés en Allemagne depuis 2015 – mais quelques centaines seulement dans son Land. Quant au chef de la CDU locale, il s’est prononcé contre l’avis des instances nationales de son parti pour une interdiction totale de la burqa, dans un Land où il n’y a d’immigrés.
L’échec est d’autant plus significatif que c’est ici qu’Angela Merkel a son fief politique d’adoption depuis 1990. Et elle a participé à la campagne électorale pour tenter de sauver son parti du désastre. En vain. L’AfD s’implante partout en Allemagne. Davantage à l’est qu’à l’ouest, certes. Dans les nouveaux Länder issus de la RDA elle tend à supplanter la gauche radicale héritière du Parti communiste en tant que formation « tribunicienne ». Elle n’aspire pas (pas encore) à participer au pouvoir, d’ailleurs personne ne songe à s’allier avec elle. C’est un parti protestataire qui profite de toutes les frustrations et tous les ressentiments… Elle prend des voix à tous les autres partis tout en profitant de la quasi-disparition du NPD, le parti néonazi, représenté depuis dix ans au Landtag de Schwering, éliminé lors de ce dernier scrutin. Elle est particulièrement représentée chez les ouvriers et les chômeurs, et dans la tranche d’âge de 30 à 65 ans. Une des caractéristiques de tous les partis populistes de droite en Europe.
Angela Merkel se trouve à des milliers de kilomètres du Mecklembourg, au sommet du G20 à Hangzhou. Nul ne sait comment elle réagira. Tout laisse à penser qu’elle prendra son temps mais qu’elle ne pourra ignorer la gifle reçue par son parti dans sa région d’adoption. Le voudrait-elle que ses « amis » au sein de la CDU et ses alliés de la CSU bavaroise à l’affût du moindre faux pas ne lui en laisseraient pas le loisir. D’autant plus que l’avertissement arrive à un moment où sa popularité est en baisse (45% de personnes satisfaites) alors qu’elle atteignait des sommets il y a encore un an. Seule une minorité d’Allemands (42%) souhaitent qu’elle se présente en 2017 pour un quatrième mandat. Elle entraîne son parti dans la spirale descendante. Selon les derniers sondages, la CDU-CSU n’atteint que 34% dans les intentions de vote alors qu’elle avait obtenu 41% aux élections générales de 2013. Le SPD perd deux points (23 contre 25), les Verts en gagnent trois (11 contre 8). Le vrai bénéficiaire est encore l’AfD. Avec 10% des intentions de vote au niveau national, le parti populiste s’implante dans le paysage politique allemand. La chance d’Angela Merkel est que personne n’est aujourd’hui en mesure de lui disputer le leadership sur la démocratie chrétienne alors que la social-démocratie, l’autre grande force politique allemande, ne parvient pas à sortir d’une crise qui ronge toute la gauche européenne.
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