Aux urnes, Italiens ! edit
Les élections des 13 et 14 avril 2008 en Italie ne ressembleront pas aux précédentes. Les Italiens sont las de ces jeux parlementaires incompréhensibles qui les amènent, de nouveau, à retrouver le chemin des urnes avec un mode de scrutin que tout le monde s'accorde à qualifier d'exécrable mais que les responsables politiques ont été incapables de modifier.
Les petits partis ont empêché toute tentative d'accord entre les grands, en particulier le Parti démocratique de Walter Veltroni et Forza Italia de Silvio Berlusconi, qui semblait se dessiner. Et lorsque la crise de la majorité parlementaire s'est ouverte à la suite de la démission du ministre de la justice, le centriste Clemente Mastella, l'opposition a aussitôt demandé des élections immédiates tant elle est persuadée, à la vue des sondages, de gagner quel que soit le mode de scrutin.
Dans ces conditions, les Italiens seront vraisemblablement tentés de sanctionner la majorité sortante qui a déçu ses sympathisants et exaspéré ses nombreux adversaires. Mais ils auront du mal à placer leur confiance dans un centre droit dont les dirigeants se déchiraient il y a encore quelques semaines et qui se sont soudainement réconciliés tant l'odeur du pouvoir a des effets euphorisants. Bref, l'abstention ou le vote de protestation pourraient progresser, aggravant le malaise démocratique. Tout dépendra désormais de la campagne électorale. Celle-ci serait décevante si elle se déroulait selon les schémas habituels. Par exemple, si le centre gauche axait sa communication sur le thème " au secours, la droite revient " en stigmatisant Berlusconi, considéré comme le diable personnifié, le fossoyeur de la démocratie à cause de son conflit d'intérêts (qu'une fois encore le gouvernement Prodi n'a pas résolu), de son pouvoir médiatique, de son style populiste. Ou si le centre droit, fidèle à ses habitudes, se contentait de dénigrer son adversaire, de pointer ses échecs, de jouer sur ses divisions et d'expliquer une fois de plus que les " communistes " menacent la démocratie.
Pourtant, la compétition de 2008 s'engage dans des conditions radicalement différentes. Le cycle du centre gauche initié après la défaite de la gauche en 1994 s'est achevé plus d'une décennie plus tard avec la chute du gouvernement Prodi. La stratégie du centre gauche consistait à rassembler des forces hétérogènes allant de la gauche radicale aux centristes très modérés autour de la figure d'un homme sans parti, Romano Prodi. Un Prodi décidé cependant à agir sur les partis qui le soutenaient voire contre eux, en jetant toutes ses forces pour faire naître un nouveau sujet politique qui unirait dans un seul organisme les forces du centre et de la gauche.
Le centre gauche était conçu pour s'opposer à Berlusconi, neutraliser le centre et gagner les élections. Cette construction s'est révélée efficace en 1996 et en 2006. Elle a suscité un fort intérêt hors d'Italie car elle survenait à un moment où en Europe la gauche s'interrogeait sur son identité, son projet et ses potentialités. Mais cette coalition ingénieuse a montré ses limites, aussi bien entre 1996 et 2001 que de 2006 à aujourd'hui, le centre gauche a été quasiment paralysé au gouvernement. Prodi s'est épuisé dans des médiations incessantes entre les diverses composantes de sa majorité et c'est un exploit qu'il ait réussi à réaliser quelques petites réformes. Le centre gauche est donc mort. Mais un élément inédit est apparu : le Parti démocratique, qui rassemble d'anciens communistes et des ex-centristes.
Le PD est, d'un côté, innovant et original car il déplace les frontières habituelles de la gauche ; mais, de l'autre, il est encore fragile, divisé et sans une identité affirmée. Il s'est néanmoins doté d'un leader, désigné en octobre dernier par plus de trois millions et demi d'électeurs, et qui, pour le moment, fait preuve d'une cohérence certaine. Walter Veltroni tire les leçons de l'échec du centre gauche. Il annonce qu'il se présentera seul aux élections et que ses éventuels alliés devront se prononcer par rapport à son propre programme. Le calcul est extrêmement risqué du fait de la loi électorale qui accorde une prime majoritaire de sièges au parti ou à la coalition arrivée en tête. Mais il obéit à une logique politique majoritaire. Et il est moralement irréprochable : mieux vaut perdre la tête haute que gagner dans la confusion suggère l'actuel maire de Rome. En ce sens, Veltroni fait une rupture claire avec les pratiques antérieures du centre gauche qui peut s'avérer payante. Il tranche avec le style Prodi et incarne de la sorte une nouveauté politique indéniable. Il joue aussi de son âge (53 ans) afin de ringardiser un Berlusconi qui a vingt ans de plus. Sera-ce suffisant pour combler le retard enregistré par les sondages sur son rival du centre-droit ? La question est ouverte.
Car Silvio Berlusconi est en pole position. Mais est-il vraiment le même homme? Il y eut Berlusconi premier en 1994, le révolutionnaire et l'improvisateur. Il avait alors bouleversé la communication et la donne politiques, fabriqué de toutes pièces un parti lié à son entreprise, rassemblé des alliés que tout opposait, fustigé ses concurrents et emporté une guerre éclair en se faisant passer pour un homme neuf. Mais il avait vite échoué à gouverner. Il y eut Berlusconi 2, l'imprécateur, l'antipolitique devenu un vrai leader politique, capable de bâtir une alliance plus solide et de triompher en 2001 : pendant cinq ans, Berlusconi 2 n'a pas tenu toutes ses promesses (c'est un euphémisme), a dû arbitrer entre les requêtes divergentes de ses alliés, navigué à vue et démonétisé la crédibilité internationale de l'Italie.
Assisterons-nous à la naissance de Berlusconi 3 ? Certes le Cavaliere continue de provoquer et de fustiger la " gauche " qu'il oppose au centre droit, espérant créer une dissymétrie qui lui serait favorable entre les " sectaires ", issus, c'est implicite ou explicite, du communisme, et les modérés qu'il représenterait occultant la présence d'extrémistes de droite dans son propre camp. Il n'a pas hésité le 27 janvier dernier à menacer de faire défiler des millions d'Italiens à Rome en cas de non dissolution des Chambres. Mais Berlusconi se déclara le même jour prêt, après le vote, à en appeler aux personnes de bonne volonté, y compris à gauche, pour réaliser d'importantes réformes, parfois peu populaires. Déclarations qu'il ne cesse de reprendre. Berlusconi cherche ainsi à se construire la réputation d'un homme ayant ses propres idées mais aussi le sens des responsabilités. D'un homme qui au lieu de diviser les Italiens rassemblerait autour de lui des personnalités de qualité. Un peu comme Sarkozy qui, honni et diabolisé par la gauche française, prit celle-ci à contre-pied après son élection en pratiquant l'ouverture à des personnalités de gauche.
Les déclarations de Berlusconi sont-elles crédibles ? Les honorera-t-il en cas de succès ? Ou relèvent-elles d'une simple manœuvre tactique ? Tout a priori laisse entendre qu'il est incapable de réussir cette métamorphose. Son parcours, sa façon de faire de la politique, ses expériences passées de président du Conseil, sa volonté de faire passer ses intérêts privés avant ceux du bien public, mais aussi la composition d'une partie de son bloc social qui aspire à la revanche et déteste le centre gauche. Toutefois, il est indéniable qu'un climat différent s'installe en Italie. A gauche comme à droite. C'est peut-être un motif d'espérance dans une situation politique assez détestable. Un motif fragile. Mais réel.
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