Congrès socialiste: les dangers de dévitalisation du parti edit
La victoire de la motion conduite par le Premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, est claire et démontre l’indéniable savoir-faire de celui-ci. Les conséquences de cette victoire sont nombreuses et importantes à la fois pour lui et pour le président de la République. Le premier est assuré d’obtenir une large majorité lors du vote de désignation du premier secrétaire et le second tire deux avantages majeurs de ce résultat : l’opposition interne contre son gouvernement et sa politique devra changer de nature. La « fronde » s’est auto-dissoute, Christian Paul, premier signataire de la motion des frondeurs, ayant déclaré au lendemain du vote : « Il faut tourner la page de la fronde parlementaire ». Quant à la candidature présidentielle de François Hollande en 2017, elle apparaît d’ores et déjà comme un fait acquis pour le parti, Jean-Christophe Cambadélis ayant déclaré qu’il souhaitait cette candidature et que « la contestation sur François Hollande dans le Parti socialiste s’est éteinte. Elle est résiduelle ». Il a même implicitement exclu une primaire, estimant que si François Hollande souhaite être le candidat socialiste à la prochaine élection présidentielle, « il sera en situation de force ».
Si les deux acteurs principaux peuvent donc se féliciter de cette incontestable victoire politique qui leur assure, à l’un comme à l’autre, une relative tranquillité pour les temps à venir, il convient néanmoins de s’interroger sur les conditions dans lesquelles elle a été obtenue du point de vue du risque de dévitalisation démocratique du parti socialiste qu’elle comporte.
D’abord à propos de la transformation profonde du rôle du congrès national dans la vie du parti. Jusqu’ici, chacun présentait sa motion au vote des militants puis ensuite, lors du congrès, après interventions et débats, pouvait intervenir éventuellement le vote d’une motion de synthèse entre différentes motions pour constituer la nouvelle majorité. Ce fut le cas notamment lors du fameux congrès de Metz en 1979 qui opposa Mitterrand à Rocard. Le premier, pour battre le second, allié à Mauroy, fit une synthèse avec Chevènement qui lui permit de l’emporter. Ce congrès fut un moment politique très fort, plein de passion, de tensions, d’incertitudes et de déclarations décisives pour l’avenir du parti. Et que dire du congrès de Rennes de 1990 où s’affrontèrent pendant deux jours eu une nuit les grands dirigeants du parti?
Cette dramaturgie des congrès en faisait des événements non seulement importants politiquement mais psychologiquement forts, véritable communion des délégués qui y participaient. Le congrès de Poitiers ne ressemblera en rien à ces grands moments de passé. Les nouveaux statuts ayant supprimé la possibilité des synthèses lors des congrès, Jean-Christophe Cambadélis a estimé nécessaire pour l’emporter sur les frondeurs de réaliser une synthèse politique avant le congrès en réunissant sur sa motion le spectre partisan le plus large possible, de Manuel Valls à Martine Aubry, ennemis déclarés dont les désaccords politiques sont connus et profonds. De son point de vue, il a eu parfaitement raison d’agir ainsi, ne pouvant prendre le risque de voir les frondeurs l’emporter. Mais du coup, les adhérents n’ont pas eu la possibilité de choisir la ligne du parti puisque cette motion avait déjà réalisé auparavant une synthèse entre des lignes divergentes. En votant pour la motion du Premier secrétaire, ils n’ont pu que sanctionner une décision prise sans eux. Certes, ils pouvaient voter pour l’une des trois autres motions, mais, en votant pour celle de Cambadélis/Aubry/Hollande/ Valls, ils ne pouvaient savoir pour quelle politique ils votaient, cette motion étant à la fois floue et contradictoire. Ainsi, la démocratie partisane s’est trouvée fortement affaiblie.
On comprend dans ces conditions que le parti, qui avait déjà perdu 40000 adhérents en trois ans, ait vu à peine plus de la moitié des adhérents restants voter, soit 65432 sur 131000. Certes, cette perte de substance militante a d’autres raisons et frappe presque tous les grands partis de gouvernement, notamment les partis sociaux-démocrates européens. Certes, également, la courbe des adhérents du Parti socialiste français est sinusoïdale historiquement et elle atteint des niveaux les plus élevés lors des campagnes présidentielles. Néanmoins, il est clair que cette nouvelle pratique ne peut que contribuer à ce désinvestissement militant. Cela pose un problème grave à un parti, qui, aux dires de son Premier secrétaire, doit devenir un parti de masse.
En juin, à Poitiers, il ne restera aux délégués qu’à sanctionner une décision prise en amont par les oligarques du parti. En outre, les similitudes existantes entre la motion majoritaire et celle des frondeurs, qui a obtenu 29%, rendront fort peu clairs les contours de la majorité et de la minorité. Christian Paul, premier signataire de cette motion, rappelant le positionnement de Martine Aubry qui a voté la motion A alors qu’elle critique la politique du gouvernement, estime du coup que « ce qui est flagrant, c'est qu'il y a une majorité d'idée pour demander des réorientations ». Laurent Baumel, autre supporter de la motion des frondeurs, affirme dans le même sens : « Dans la motion A, Martine Aubry et ses amis sont d’accord avec nous. Au bureau national, j’espère que ses proches, dont Jean-Marc Germain, continueront de défendre leurs positions, qui ne sont pas éloignées des nôtres. » Où donc s’établira la ligne de démarcation politique réelle entre majorité et minorité ?
Cette perte de vitalité démocratique est tout aussi évidente s’agissant de la prochaine élection présidentielle et de la question de la désignation du candidat du parti. Alors que le parti a adopté en 2009 le principe d’une primaire ouverte pour désigner son candidat, Jean-Christophe Cambadélis a fermé le jeu d’entrée estimant que la victoire de sa motion avec 60% des votes exprimés ouvrait la voie à une candidature du président sortant, comme si, comme au bon vieux temps des débuts du parti d’Epinay, une victoire au congrès valait candidature présidentielle pour son leader, reconnaissant du même coup que c’est François Hollande lui-même qui était le véritable leader de cette motion. Exit donc la primaire si ce dernier veut être candidat. Il est vrai que l’organisation d’une primaire dont l’un des candidats serait le président sortant est peu souhaitable. Les statuts ne disent rien sur cette question mais on peut admettre qu’une telle primaire poserait des problèmes redoutables.
Néanmoins, une chose est de contester la pertinence de l’organiser et une autre de déclarer tout de go, à peine connu le vote des adhérents, que le meilleur candidat possible pour le parti est le président sortant. Ici encore un véritable déni de démocratie est exprimé. Non plus cette fois à l’égard des adhérents mais à celui des sympathisants. Aujourd’hui, selon les sondages, 77% des sondés ne souhaitent pas une candidature de François Hollande dont 54% des sympathisants socialistes. Les intentions de vote des plus récentes placent François Hollande à 16-17% des intentions de vote, loin derrière les candidats de l’UMP et du FN, ce qui l’élimine du second tour. Certes, les intentions de vote peuvent bouger et il n’est pas certain qu’un autre candidat socialiste pourrait bouleverser cette donne. Mais ces indications ne plaident pas pour déclarer dès maintenant que François Hollande est une sorte de candidat naturel du parti. Les sondages permettront dans l’année qui vient d’exprimer les préférences des sympathisants. Laissons-les le faire sans leur imposer un choix dès aujourd’hui.
Bien sûr, la décision finale appartiendra au président sortant mais n’anticipons pas ! Laissons la volonté de démocratiser ce choix qui a été à la base de la décision de 2009 animer demain comme hier l’action du Parti socialiste. Le repli sur les manœuvres d’appareils a tué jadis la SFIO. Le parti d’Epinay a su progressivement, en prenant une autre voie, se renouveler et gagner. La voie de la démocratisation a montré son efficacité avec la réussite exemplaire de la primaire de 2011. Le Parti socialiste, qu’il organise ou non une primaire en 2016, a tout intérêt à continuer à la suivre.
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