Espagne et Grèce: élections sous haute tension edit
En Espagne et en Grèce, les élections européennes ne sont que l’un des quatre rendez-vous électoraux de 2019. En effet, dans ces deux pays se tiendront également des élections générales, régionales et municipales. En Espagne les élections parlementaires sont convoquées pour le 28 avril, alors qu’en Grèce on n’en connaît pas encore la date, bien que le calendrier électoral prévoie celles-ci début octobre. C’est pourquoi ces deux cas s’inscrivent dans un cadre complexe de vote multi-niveaux, les élections européennes étant éclipsées par la politique nationale.
Dans ces deux pays les élections auront lieu dans un climat polarisé et surchauffé par les délicates controverses nationales. En Espagne, la situation catalane divise profondément la société. Les responsables politiques qui ont promu la déclaration d’indépendance de 2017, et qui ont été arrêtés par la suite, sont jugés en ce moment même par le Tribunal Suprême. Les auditions du procès, transmises en direct à la télévision quatre jours par semaine, focalisent l’attention du public sur la question territoriale. Pendant ce temps-là l’ex-président du gouvernement catalan fait activement campagne depuis son exil belge. Puigdemont est devenu tête de liste de son parti pour les élections européennes, liste qu’il a purgée de tous les militants les plus « pragmatiques », en espérant porter la question de l’indépendance au cœur de l’UE.
En Grèce, la fibre nationaliste a été ravivée par la dispute sur le nom de son voisin du Nord. Cette question, perçue comme une menace pour l’intégrité territoriale grecque et un vol de l’histoire et des symboles de son identité nationale, s’est enkysté pendant plus de 30 ans. Malgré cela, la solution récente du problème par l’adoption du nom de Macédoine du Nord est profondément impopulaire dans l’électorat grec. La ratification en janvier dernier des Accords de Prespa entre les gouvernements grec et macédonien a provoqué des manifestations massives et a poussé les Grecs indépendants, parti nationaliste de droite, à quitter le gouvernement de coalition avec Syriza.
D’autre part l’instabilité est un trait commun entre les deux pays. En février, le gouvernement socialiste minoritaire de Pedro Sanchez a dû jeter l’éponge lorsqu’il a perdu le soutien des députés indépendantistes catalans pour l’approbation de son budget. En Grèce, après la rupture de la coalition de gouvernement, Syriza a pu construire une nouvelle majorité avec l’appui de six députés indépendants, ce qui lui permettra de survivre jusqu’à la fin de son mandat en automne.
Dans les deux pays les élections se feront dans une situation de double fracture politique. En Espagne, la droite, formée par le Partido Popular, les radicaux de Vox et Ciudadanos (qui à ses origines se positionnait comme une force centriste), cherche maintenant à structurer le clivage politique selon un axe centre-périphérie. Pour cela, elle propose une plate-forme nationaliste de défense de l’unité espagnole contre la menace des séparatistes qu’elle présente comme des alliés des socialistes puisqu’ils ont soutenu la motion de censure constructive qui a porté Sanchez au gouvernement en juin 2018.
La gauche en revanche construit sa campagne électorale autour de la division gauche-droite et insiste sur la nécessite d’une victoire progressiste pour vaincre le néo-libéralisme et empêcher le scénario d’un exécutif dont Vox ferait partie. Pour cette raison Sanchez défend l’agenda social approuvé par son gouvernement, qui comprend des mesures telles que l’augmentation du salaire minimum, la revalorisation des retraites, la réglementation des loyers et l’extension à quatre mois de l’arrêt de travail pour maternité ou paternité. La campagne d’Unidas Podemos se centre sur les mêmes thèmes sociaux.
En Grèce la majorité des partis d’opposition dénoncent l’Accord de Prespa au nom de l’intérêt national. Ils l’utilisent aussi pour mobiliser leurs appuis et pour attaquer Syriza. Nous ne savons pas comment cet incendie nationaliste affectera le résultat des élections, mais il est probable qu’il aura une influence significative dans le nord du pays. Ces dernières semaines le premier parti de l’opposition, Nea Demokratia, a essayé de changer l’orientation du débat en critiquant la compétence économique de Tsipras et sa capacité à gouverner.
De son côté, Syriza propose une alliance des forces progressistes capable de contrecarrer le néo-libéralisme, le nationalisme et l’extrême-droite. Pendant la crise de l’euro, beaucoup d’analystes ont estimé que la division gauche-droite était dépassée par la nouvelle fracture entre ceux qui étaient favorables et ceux qui étaient opposés au sauvetage de la Grèce par l’UE et le FMI. De fait, cette nouvelle fracture a constitué précisément la base qui a rendu possible l’accord de 2015 entre Syriza et les Grecs Indépendants, deux partis opposés au sauvetage mais favorables au maintien de la Grèce dans l’Eurozone. Mais après la sortie de la tutelle de l’UE et du FMI en août dernier et le départ des Grecs Indépendants du gouvernement, Syriza a pu repositionner son discours sur l’axe gauche-droite. De même que Sanchez, Tsipras a également poursuivi son agenda social : il a augmenté le salaire minimum et a convaincu l’Eurogroupe de ne pas imposer à la Grèce les nouvelles baisses des retraites qui auraient dû s’appliquer en janvier.
Deux mois avant les élections européennes, nous ne savons pas qui gagnera la compétition entre les différents sujets choisis par la gauche et la droite dans les deux pays. En particulier, le résultat qui sortira des élections générales du 28 avril en Espagne, quel qu’il soit, pourrait bien avoir un effet miroir au niveau européen.
Cet article publié en espagnol dans Agenda Publica a été traduit par Isabel Serrano. Il est également paru en italien dans La Repubblica.
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