Brexit: les forces en présence edit
A l’heure où l’Union européenne doit gérer, avec la plus grande des difficultés, la crise des réfugiés, la menace terroriste, sans oublier les suites de la crise grecque, il peut paraître paradoxal, voire surréaliste, qu’à Londres on s’interroge sur l’utilité ou non de demeurer dans l’Union européenne. C’est pourtant ce qui se passe depuis que David Cameron, vainqueur des récentes élections législatives, a confirmé sa promesse d’organiser un référendum sur le sujet d’ici la fin 2017, après une renégociation des conditions de la participation britannique au projet européen.
Cette négociation a commencé à Bruxelles depuis début novembre sur la base d’une liste de quatre revendications, finalement plus limitées que ce que le Premier ministre laissait entendre en 2013. Il n’est plus question de rapatrier des politiques communautaires au niveau national ou de remettre en cause la suprématie du droit européen. Quatre points sont désormais évoqués : la sauvegarde des intérêts des non-membres de la zone euro dans le cadre du marché unique ; la réalisation du marché unique des services et de l’énergie ; l’accroissement du rôle des parlements nationaux, qui devraient pouvoir bloquer des projets de directives européennes ; enfin la possibilité pour le gouvernement britannique de limiter l’accès des immigrants européens à certains droits sociaux pendant quatre ans.
Ces revendications sont bien en-deçà de ce qu’espéraient les eurosceptiques les plus radicaux, y compris au sein du parti conservateur de David Cameron, qui ont fait part de leur mécontentement. On voit donc se dessiner dès maintenant les lignes du débat politique avec la mise en place des campagnes pour rester dans l’Union et pour en sortir.
Du côté du maintien dans l’UE, David Cameron sera en première ligne. La question qui se pose pour lui est de savoir combien de ses députés et même de ses ministres le suivront – probablement une majorité, mais l’étalage de divisions internes pourrait affaiblir sa campagne. Dans l’opposition, la grande majorité des travaillistes voteront pour le statu quo, mais il est difficile de prévoir le degré d’engagement du nouveau leader, Jeremy Corbyn, qui appartient à la “vieille gauche” du parti, traditionnellement assez anti-européenne, même s’il s’est déjà prononcé pour le maintien. Il se trouve tout de même en porte-à-faux avec la grande majorité de son groupe parlementaire, plus modéré et européen que lui. La campagne travailliste pour le référendum, Labour In for Britain, est menée par Alan Johnson, ancien ministre de Tony Blair resté très populaire dans l’opinion.
De leur côté, les indépendantistes écossais du Scottish National Party (SNP) et les Libéraux-démocrates voteront aussi pour le maintien dans l’UE, mais leur poids politique sera moindre dans la campagne. Pour autant, la dimension écossaise sera très présente, en filigrane du moins. Nicola Sturgeon, Premier Ministre écossaise et chef de fil du SNP, a déjà menacé d’exiger un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en cas de victoire du ‘Brexit’. En effet les Ecossais, comme d’ailleurs les Irlandais du Nord et les Gallois, sont nettement plus favorables, d’après les enquêtes d’opinion, au maintien dans l’Europe que les Anglais. Une crise constitutionnelle serait donc à prévoir dans un tel cas de figure.
Hors parti, la campagne pour rester dans l’UE est menée par une organisation tout juste mise en place, Britain Stronger in Europe, dirigée par l’ancien PDG de Marks & Spencer, Stuart Rose, au charisme limité. Le patronat britannique, Confederation of British Industry, a pris position pour rester dans l’UE. Les représentants des PME sont plus partagés et certains dirigeants de hedge funds financent au contraire la campagne pour sortir de l’Union européenne.
De l’autre côté, la campagne contre l’Europe est pour l’instant divisée entre deux organisations. La première, Vote Leave, attire plutôt les Conservateurs eurosceptiques qui se méfient de la seconde, Leave.eu, qui est une émanation de UKIP, le parti populiste et europhobe dirigé par Nigel Farage, ce qui lui donne une image plus sulfureuse. On ne sait pas encore combien de députés conservateurs feront campagne contre leur leader, probablement entre 50 et 100 (sur un total de 331). Seule une poignée (on parle d’une quinzaine) de députés travaillistes, en revanche, voteront pour le retrait.
La position de la presse est encore inconnue, mais il est probable que la plupart des journaux appelleront à voter pour le maintien, à l’exception probable d’un ou deux tabloids comme le Daily Mail, le premier d’entre eux en nombre d’exemplaires vendus, et le Daily Express. Mais à l’heure des réseaux sociaux et surtout d’une montée du sentiment anti-establishment chez les électeurs britanniques, il n’est pas sûr que ces médias traditionnels jouissent encore d’une grande influence sur le résultat.
L’issue du scrutin reste, on le voit, très incertaine. Les sondages montrent à la fois des scores très serrés et une grande méconnaissance de l’Union européenne par les électeurs britanniques. Quand on y ajoute les incertitudes liées à ce type de scrutin, où les électeurs ne répondent pas toujours à la question posée et expriment leur opinion sur le gouvernement sortant, on comprend que le déroulement de la campagne qui s’annonce sera crucial pour le résultat.
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