Crise grecque: un double analyseur edit
Reprise de la croissance, excédent primaire significatif, exécution du plan d’économies avec une nouvelle baisse des pensions, retour sur les marchés… La thérapie infligée à la Grèce serait-elle en passe de réussir ?. L’intransigeance allemande et l’obéissance du Premier ministre Alexis Tsipras aux desiderata des créanciers auraient-ils permis de débloquer la question de la dette… jusqu’en 2033, et de constituer une réserve pour parer aux mauvaises surprises des marchés ?
Certes les débats sur le Grexit, sur l’échec annoncé par Stiglitz des mesures d’austérité, les constructions de Varoufakis sur la purge perpétuelle ne se sont pas envolées. Mais l’arrivée à bon port du troisième plan d’aide, alors même que le FMI descendait du train en cours de route, que Tsipras ne renonçait pas en paroles à des amodiations des plans et que la crise italienne menaçait de troubler le retour aux marchés, témoigne du franchissement d’une étape majeure dans la crise décennale grecque.
Comment trancher la question ? La crise grecque livre en fait un double enseignement sur la Grèce et sa capacité à rebondir, sur les institutions de l’Union et leur capacité à traiter la crise interne.
Fautes lourdes
Quoiqu’on puisse penser du passé, erreurs grecques des années 1990-2000, volonté punitive des autorités européennes après le déclenchement de la crise et prix payé par les grecs pour amorcer leur sortie de crise, la Grèce, qui reste sous surveillance rapprochée de ses créanciers, ne retrouvera son autonomie politique que si elle poursuit avec constance une stratégie de croissance et de maîtrise de ses finances publiques, ce qui passe par le respect des engagements pris.
Revenons plus en détail sur ces différents éléments.
Avec le recul, nul ne peut échapper au constat des erreurs grecques des années 1990/2000 lorsque la Grèce à marche forcée s’adonnait à la consommation à crédit, accroissait la dépense publique plus que l’investissement et finançait au total sa croissance par la dette. Ce faisant, non seulement elle gaspillait les atouts que lui conférait l’entrée dans l’eurozone (chute des taux, attractivité renforcée, disparition du risque de change) mais de plus compromettait les chances d’une croissance vertueuse fondée sur l’investissement et la valorisation de ses atouts. L’intégration européenne a permis à l’oligarchie grecque la poursuite de ses politiques clientélistes sur fond de décomposition de l’État et de paralysie administrative. Le cauchemar allemand s’est trouvé réalisé : une entrée de la Grèce dans la zone euro décidée pour des raisons politiques, une autonomie budgétaire qui favorise tous les excès, des taux d’intérêt au plancher qui favorisent, non l’investissement et l’allocation efficiente des capitaux, mais toutes les dérives, des comptes publics insincères… bref un comportement de passager clandestin.
En retour, nul ne peut contester non plus la volonté punitive des autorités européennes une fois la crise déclarée, en imposant une aide financière à base de prêts à taux majorés, en refusant d’alléger la dette et en imposant une purge de l’État social qui fit faire à la Grèce un grand bond en arrière. Ce comportement visait autant les opinions publiques domestiques des pays créanciers, saisies par un haut-le-cœur devant la révélation des turpitudes grecques, que l’imposition d’une culture de la stabilité par une thérapie de choc. L’UE dut certes reculer et reconnaître ce qu’il y avait d’absurde à punir un pays en difficulté qui maltraitait ses anciens, privait de soins de base ses citoyens et qui permettait aux Européens d’engranger des bénéfices sur le dos des débiteurs grecs !
Le résultat bien connu fut un recul d’un quart du PIB, un brain drain massif, un système de santé en ruines et un chômage explosif, le tout, dans un premier temps, sans que ceux qui avaient financé les excès grecs aient eu à souffrir si peu que ce soit de leur comportement irresponsable.
Sortir du cycle infernal
Pourtant la Grèce ne sortira du cycle infernal dette-austérité-solvabilité que si trois conditions sont réunies.
La première est le retour à une croissance durable assise sur une spécialisation reconstruite et des réformes structurelles continues. La Grèce soit s’appuyer sur ses atouts (agro-alimentaire, tourisme, services maritimes, énergies renouvelables…) pour reconquérir son autonomie. Réaliser les objectifs de croissance est important à trois titres. C’est la condition de la réorientation productive du recul du chômage et des rentrées fiscales. Mais c’est aussi la condition essentielle du retour aux équilibres financiers de moyen terme. Une croissance nominale supérieure au taux d’intérêt de la dette fait reculer celle-ci (aujourd’hui 178% du PIB) et assure la solvabilité.
Si, comme par le passé, les prévisions de croissance ne se réalisaient pas, alors l’excédent primaire ne serait pas au rendez-vous et la méfiance des investisseurs empêcherait le financement sur les marchés. Rappelons qu’à partir de 2033 c’est un cinquième du PIB qu’il faudra consacrer au service de la dette.
Troisième condition. La baisse drastique et régulière des créances douteuses, aujourd’hui à 45%, et qui ne sont pas soutenables dans une perspective de reprise durable du crédit et donc de l’activité. Malgré les trois recapitalisations et un ratio de solvabilité de plus de 15%, largement au-dessus des normes requises, l’activité de crédit reste atone.
On le voit, sans une confiance maintenue dans la relation avec les institutions européennes, fondée sur le respect des engagement pris, sans le retour à la croissance et sans une gestion rigoureuse du système bancaire, l’accès au marché sera perdu et la question de la restructuration de la dette sera posée dans les pires conditions. À ce stade déjà les prévisions d’un excédent primaire de 2,2% jusqu’en 2060 et de 3,5% jusqu’en 2022 sont irréalistes, comme le rappelle le FMI. Qu’en sera-t-il si les prévisions de croissance n’étaient pas tenues et pire encore si des déficits nouveaux apparaissaient par la volonté de pouvoirs publics gagnés par la fatigue des politiques d’austérité ?
Leçons sur l’UE
Cette longue crise et sa gestion par l’UE nous livrent aussi quelques enseignements peu flatteurs sur le fonctionnement des institutions communautaires.
L’Union n’a été capable ni de prévenir la crise par les mécanismes pré -existants de surveillance macro-économique, ni de traiter la crise rapidement et équitablement en évitant d’infliger des souffrances inutiles au peuple grec, ni de se réformer pour éviter à l’avenir de tels dérapages.
Les insuffisances bien connues d’une union incomplète et basculant en mode inter-gouvernemental ont été confirmées, les lenteurs dans la résolution des problèmes ont confirmé le poids des considérations de politique domestique dans le traitement des affaires européennes. Plus grave encore, le traitement de la crise n’a pas permis une sortie par le haut, par une intégration plus poussée et un renforcement des autorités communautaires.
L’Union s’est de plus infligée une longue cure d’austérité, dont les effets se sont particulièrement fait sentir dans les pays sous assistance, aggravant ainsi les effets d’une crise déjà à l’œuvre. Cette politique de relance par l’austérité, justification officielle, s’est révélée fausse et elle a tiré vers le bas l’ensemble de l’Union. Elle a constitué de fait le prix à payer pour que l’Allemagne et les pays du Nord consentent au sauvetage des pays du Sud et éviter le démantèlement de la zone euro.
Une union monétaire sans union budgétaire ni union bancaire ni mécanisme de solidarité ni mécanisme de sortie pour un pays en difficulté a produit les effets attendus : une hésitation entre sauvetage et sortie, entre solidarité et assurance, entre régressions nationales et exigences fédérales. L’Union a donc produit un minimum syndical fait de prêts non soutenables, de supervision bancaire sans fonds de résolution, ni fonds de garantie des dépôts et de renvoi à plus tard de solutions plus durables.
L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir et la confirmation de Merkel comme chancelière avaient laissé espérer une nouvelle dynamique réformatrice, mais l’émergence d’un club veto au nord de l’Europe, la dynamique de l’extrême droite en Allemagne suite à la crise des réfugiés et la consolidation des démocraties illibérales à l’Est ont eu raison des projets de transformation de l’eurozone et de relance de l’union.
La Grèce peut célébrer son retour sur les marchés, essayer d’oublier l’interminable cure d’austérité à laquelle elle est contrainte. Elle ne peut trouver de consolation dans une Europe globalement affaiblie, guettée par de nouvelles crises et qui voit s’éloigner les perspectives de réforme.
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