Partenariat oriental, acte II edit
Le Partenariat oriental (PO) est le versant Est de la Politique européenne de voisinage. À court terme, il s’agit pour Bruxelles de mieux encadrer les flux commerciaux, énergétiques et migratoires à destination et en provenance des États de la région ; à long terme, l’objectif est de contribuer à les transformer. Ce programme a été lancé il y a deux ans. On peut en tenter un premier bilan, forcément partiel et provisoire.
Un des principaux accomplissements du PO aura été de contribuer à faire exister, dans la « carte mentale » de l’UE, l’Europe orientale et le Caucase en tant que région. Il s’est imposé comme label et permet à ces anciennes républiques soviétiques de s’extirper du seul statut « d’étranger proche » de la Russie. C’était là un des objectifs primordiaux des promoteurs de ce projet, en premier lieu desquels la Pologne. Au regard des enjeux stratégiques économiques et politiques liés à cette zone, il est crucial qu’elle se maintienne sur l’agenda de politique extérieure de l’UE. Les réactions européennes clairsemées à la répression biélorusse de l’hiver dernier soulignent toutefois que cet objectif n’est pas tout à fait rempli.
Quant à ses objectifs propres, le PO a vu quelques avancées en matière d’intégration économique : l’accord de libre échange UE-Ukraine serait en passe d’être conclu alors que la Moldavie et la Géorgie devraient bientôt débuter les négociations. La Moldavie et l’Ukraine se sont par ailleurs vu délivrer une feuille de route vers un régime d’exemption de visa. Il est à noter néanmoins que ces progrès participent essentiellement de dynamiques bilatérales.
Si à ce jour les réalisations s’avèrent modestes dans le domaine économique, elles relèvent du quasi-échec en ce qui concerne l’incitation aux réformes politiques. Tous les pays concernés par le PO, à l’exception notable de la Moldavie, ont connu une régression démocratique sur les deux dernières années. De fait, l’aporie originelle n’a pu être surmontée. Lorsque l’UE fait mine de proposer ce qu’elle ne peut offrir, l’adhésion, les dirigeants des pays du voisinage feignent d’acquiescer à ce qu’ils ne peuvent consentir, le pluralisme démocratique, qui les écarterait du pouvoir. Par ailleurs, plusieurs analystes avaient déploré l’insuffisante intransigeance de Bruxelles dans le conditionnement démocratique de ses aides financières.
Mais l’UE affiche une posture sensiblement différente depuis les révoltes arabes. L’onde de choc des mouvements populaires en Méditerranée a ébranlé l’édifice de la Politique européenne de voisinage et replacé en son centre la thématique de la démocratie. C’est ce qui ressort du rapport de la Commission sur la PEV de mai dernier mais également du sommet de Varsovie.
L’UE a durci le ton à l'égard des dérives autoritaires des États du voisinage oriental. La dictature biélorusse est la première visée. En annexe de la déclaration commune du sommet, l’UE condamne la détérioration de la situation des Droits de l’homme dans le pays et appelle à une libération des prisonniers politiques. Les dirigeants des cinq autres pays partenaires ont refusé de signer cette annexe, ce qui prouve qu’elle s’écarte du modus operandi traditionnel du PO. Le président ukrainien Loukachenko avait, pour sa part, décidé de bouder un sommet auquel il aurait eu par ailleurs du mal à se rendre… étant sous le coup d’une interdiction de séjour dans l’UE. Plus inhabituel, l’Ukraine s’est également attirée les critiques des dirigeants européens au sujet du procès de la chef de file de l’opposition, Ioulia Timochenko. La signature de l’accord de libre-échange pourrait être conditionnée à cette procédure judiciaire.
Au-delà de la tonalité du discours, l’UE parait s’orienter vers une nouvelle approche et un nouveau récit. De plus en plus, face à la corruption endémique et la sclérose politique régionale, Bruxelles semble chercher à contourner les élites dirigeantes. L’accent est mis d’avantage sur la société civile et les populations. Ainsi du Forum de la société civile, un des programmes phare du PO, du Forum des entreprises ou de la volonté de faciliter les échanges universitaires. Ainsi, surtout, de l’emblématique European Endowment for Democracy, annoncé mais non encore mis en place.
Faut-il y voir un changement de référentiel ? Le modèle semble être non plus l’Europe centrale des années 1990 mais celle des 1980, c'est-à-dire moins celui d’une transition par le haut que d’une démocratisation par le bas. Plus encore que le nom du nouveau fond, qui rappelle celui de l’organisation américaine créée en 1983 (National Endowment for Democracy), la rencontre de Donald Tusk et Herman Van Rompuy avec des dissidents biélorusses en amont du sommet est particulièrement symbolique. De même, dans une tribune publiée en parallèle du sommet, Radosław Sikorski, Carl Bildt and Štefan Füle (Commissaire en charge de la PEV) font explicitement référence à la Chartre 77 et à Solidarité. En somme, la période de référence est déplacée mais le sujet de l’analogie reste le même ; or l’Europe orientale n’est pas ce qu’était l’Europe centrale.
Difficile d’augurer des fruits de cette nouvelle approche ou même de présager de sa concrétisation en actes par l’UE. Toujours est-il qu’en lieu de la « querelle des voisinages » (Sud vs. Est) un temps annoncée, les 27 se sont réunis autour de la réaffirmation des valeurs démocratiques de l’UE. Lors du sommet, les blâmes au Belarus et à l’Ukraine auront été dispensés par Donald Tusk et Herman Van Rompuy, mais également, respectivement, par Angela Merkel et François Fillon. Reste à savoir si les modalités de cet agenda de promotion de la démocratie feront l’objet d’un consensus durable et comment Moscou, qui avait été prompt à fustiger les « forces extrarégionales » ayant « attisé » la révolution orange, accueillera ce nouveau discours.
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