L’Europe centrale, premier violon du concert européen edit
L’Union européenne vient de lancer sans fanfare ni trompette son partenariat oriental avec l’Europe orientale (Biélorussie, Ukraine, Moldavie) et les pays du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie). Ce partenariat a un objectif clair : rapprocher ces pays de l’UE sans les intégrer pleinement tout en les soustrayant à l’influence russe sans provoquer l’hostilité ouverte de Moscou.
Le contenu même de cette nouvelle politique peut se résumer à trois orientations principales. La première est l’intégration graduelle à l’économie européenne à travers la négociation d’un accord de libre-échange approfondi : sa rationalité repose sur l’échange entre une harmonisation législative et un accès plus grand au marché intérieur. Cela suppose un énorme (et coûteux) effort d’adaptation des pays voisins, allant des normes phyto-sanitaires et sociales jusqu’aux questions de certification des produits industriels. Des accords approfondis sont notamment en préparation avec l’Ukraine et la Moldavie.
La deuxième orientation fondamentale concerne la sécurité énergétique : depuis la crise russo-ukrainienne de janvier 2006, ce thème a gagné en importance dans la réflexion stratégique de l’Europe. La nouvelle crise de janvier dernier a accéléré ce rapprochement avec les voisins orientaux, puisque la Géorgie et surtout l’Azerbaïdjan constituent des pays clés dans la réalisation du « corridor sud », c’est-à-dire de Nabucco.
La troisième orientation concerne un dossier également très important pour les partenaires orientaux, les pactes de mobilité – qui répondent toutefois davantage à un souci européen de contrôler les flux que du désir d’étendre la liberté de circulation pour les partenaires. Il n’est pas sûr que le partenariat oriental obtienne des résultats extraordinaires dans tous ces domaines, puisque ces voisins ont leurs propres agendas, contraintes et intérêts. Tout en attendant beaucoup de l’UE, ils se trouvent à des degrés divers en crise politique et économique – d’une perspective de faillite économique généralisée (l’Ukraine) ou en proie à des troubles après un conflit sérieux (la Géorgie).
De fait, le Partenariat Oriental apparaît pour l’heure moins intéressant pour ce qu’il révèle sur le voisinage que sur l’UE elle-même. Indéniablement, ce projet témoigne d’une appropriation des instruments de la PESC par les Etats-membres d’Europe Centrale. Si l’approche régionalisée n’est pas nouvelle - les projets de « Synergie pour la Mer Noire » et d’ « Union pour la Méditerranée » en témoignent – la nature et la concrétisation de ce Partenariat Oriental reflète dans une certaine mesure l’inscription réussie de leurs préférences au niveau européen.
Avec les relations transatlantiques et la sécurité énergétique, le voisinage oriental représente les thématiques de prédilections des nouveaux Etats-membres en matière de politique extérieure. La première n’est que peu adressée dans le cadre de la PESC, les centre-européens considérant que l’OTAN constitue un forum plus approprié, ou favorisant directement les liens bilatéraux avec Washington (voir le projet de bouclier anti-missile). Ils affichent par ailleurs des préférences divergentes quand à la politique énergétique commune, tant sur la libéralisation du marché (la Pologne étant par exemple favorable à l’ « unbundling », au contraire de la Slovaquie) que sur le projet « corridor sud » (la Bulgarie favorisant par exemple clairement l’alternative South Stream). En revanche, sur la question des rapports avec le voisinage oriental, ils ont fait preuve de cohésion et d’un activisme conséquent.
Etant partisans de l’adhésion des pays concernés à l’UE, l’implication centre-européenne dans la PEV fut marquée dans un premier temps par une certaine ambivalence. Mais, la perspective d’un élargissement à court terme s’éloignant, ils ont peu à peu investis dans son volet oriental. En effet, tant pour des raisons géographiques évidentes, géopolitiques, historiques (l’empire polono-lituanien recouvrait jusqu’au 18e siècle une partie non-négligeable de l’Ukraine et la Biélorussie) ou économiques, l’Europe orientale représente une zone stratégique primordiale pour les PECO. Par ailleurs, la PEV s’inspirant des instruments développés dans le cadre du processus d’élargissement, les nouveaux Etats-membres, ont pu capitaliser sur leur propre expérience. Pour autant, si la volonté était commune, les degrés d’implication ont été variables.
La Pologne a été la plus active, dénonçant dès avant sa propre adhésion l’absence de « dimension orientale » dans la politique extérieure de l’UE. Les efforts entrepris depuis 2003 pour y remédier se concrétisèrent par l’initiative polono-suédoise de mai 2008. Les pays baltes s’attachèrent pour leur part à renforcer les relations avec le sud Caucase, notamment à travers le format 3+3. La République tchèque avait quant à elle formulé dans le cadre du Groupe de Visegrad une proposition visant à développer le volet oriental de la PEV. Surtout, elle développa ce thème potentiellement mobilisateur dans la perspective de sa Présidence de l’UE, au cours de laquelle le projet de Partenariat Oriental est inauguré.
La concrétisation du Partenariat Oriental s’explique également par une volonté explicite d’équilibrer la PEV après le lancement du projet d’Union Pour la Méditerranée. Le ministre tchèque délégué aux Affaires Européennes, Alexandr Vondra, déclarait d’ailleurs : « en 2008 nous avions eu un printemps Méditerranéen, en 2009 il pourrait être oriental ». La logique de marchandage répartissant les rôles de la sorte avait d’ailleurs transparu dans une conversation officieuse entre Topolanek et Sarkozy révélées à la presse. Dans un contexte de tension avec la Russie, le Partenariat Oriental est aussi une réponse au retour de Moscou aux canons de la politique d’influence dans la région.
Il serait dangereusement simpliste de comprendre le Partenariat Oriental comme un détournement de la PESC par des Etats membres animés de ressentiment à l’égard la Russie. Leurs réactions respectives à l’invasion de la Géorgie ont non seulement été mesurées, mais également contrastées. Plus généralement, leur intérêt stratégique pour l’Europe orientale revêt de multiples aspects qui ne sont pas toujours liés à la Russie. Par ailleurs, consolider des zones de paix et de prospérité à sa périphérie – par l’exportation de son modèle – est dans l’intérêt général de l’UE. Mais ce dernier, dans cette région, diffère de celui de la Russie.
Alors que Moscou dirigeait jusqu’ici ses philippiques plus vers le processus d’élargissement de l’OTAN que de l’UE, le projet de Partenariat Oriental a été vivement critiqué par le Kremlin. Le Ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, condamna récemment cette tentative bruxelloise « d’étendre sa sphère d’influence ». Depuis les révolutions de couleurs, Moscou se méfie du « pouvoir normatif » européen et s’efforce de le désamorcer par une stratégie de miroir, en l’attaquant dans ses propres termes (sur le terrain de la norme démocratique par exemple) et en retournant les critiques européennes à l’égard de sa propre politique (c’est-à-dire d’influence). En un mot, l’UE et la Russie risque fort de faire du voisinage oriental un objet de rivalité latent en l’absence de partition commune dans le concert européen.
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