Pourquoi la Pologne mise sur Donald Trump edit
Face l’imprévisibilité du nouveau locataire de la Maison-Blanche, Paris et Berlin ont fait du renforcement de l’autonomie politique et des capacités stratégiques de l’Europe une impérieuse nécessité. La Pologne, qui s’apprête à accueillir Donald Trump le 6 juillet, a promis dit-on, des « foules enthousiastes » au président américain. Varsovie ne partage en effet ni le diagnostic ni les remèdes franco-allemands et le gouvernement polonais voit en la présidence Trump non pas une gageure mais, au contraire, la possibilité d’un développement positif pour les relations transatlantiques, et une opportunité pour le pays.
Après un temps d’observation marqué par l’appréhension, la Pologne semble désormais déterminée à faire de l’ère Trump celle de l’approfondissement des liens bilatéraux avec Washington, voire à faire de la Pologne le meilleur allié de la nouvelle administration américaine au sein de l’UE. Selon une étude du Pew Research Centre, si en 2015 seuls 49% des Polonais déclaraient avoir confiance dans le soutien de l’Amérique d’Obama en cas de conflit militaire avec la Russie, ils sont dorénavant 57% en 2017 s’agissant de l’Amérique de Trump.
Cet enthousiasme apparent pour un président américain qui s’est singularisé par ses déclarations pro-russes et par sa remise en question du principe de sécurité collective de l’OTAN semble paradoxal venant d’une Pologne qui voit en la Russie une menace existentielle immédiate et qui perçoit l’OTAN comme une garantie vitale.
Faire jouer aux États-Unis le rôle de puissance d’équilibre en Europe
En fait, la Pologne ne croit pas à la perspective d’une alliance entre Washington et Moscou, pas plus qu’à une embellie de leurs relations. Les déclarations du candidat Trump sur l’annexion de la Crimée ont pu inquiéter Varsovie mais la présence de « faucons » républicains dans l’équipe dirigeante de Trump a rassuré : le gouvernement polonais veut penser que ces conseillers, le moment venu, guideront la main du président. Il considère, par ailleurs, que le caractère impétueux de ce dernier rend, à terme, inéluctable un accrochage avec Vladimir Poutine. Varsovie place également ses espoirs dans le Congrès : historiquement, la Pologne penche généralement du côté républicain de l’échiquier politique américain.
Mais c’est surtout, à l’aune de l’implication militaire des États-Unis dans sa région que la Pologne juge de leur action et de leur engagement. Face aux accusations d’imprévisibilité formulées à l’encontre de l’administration Trump, les diplomates polonais renvoient aux déploiements en cours de soldats américains dans le cadre des mesures de réassurance de l’OTAN ; même si, en réalité, ces déploiements ont été décidés sous la présidence Obama.
Le ministre des Affaires étrangères assène que son pays « préfère 5000 soldats américains sur son territoire que la garantie déclarative de l’Article V » du traité de l’Alliance atlantique ; laissant d’une certaine façon à penser qu’il fait (lui aussi) peu de cas du principe de solidarité politique de l’Alliance ; en tout cas comparé aux liens militaires bilatéraux avec Washington.
Les fondements de l’atlantisme polonais ne se limitent pas à la crainte de la Russie. Ils relèvent aussi d’objectifs stratégiques sur le continent européen où Varsovie souhaite voir les États-Unis jouer le rôle de puissance d’équilibre. Ils reflètent encore la perméabilité des élites polonaises de politique étrangère à une vision américaine du monde datant des années 1990 ; ce « logiciel atlantiste » s’est depuis cristallisé, au point de devenir plus qu’une stratégie : un paradigme et une tradition. Le déploiement d’une présence militaire américaine en Europe centrale était dès cette période l’un des principaux objectifs de politique étrangère de la Pologne, ce bien avant que la crise ukrainienne ne vienne le rendre plus pressant.
Sortir de l’isolement par une victoire idéologique et diplomatique ?
Le positionnement de la Pologne à l’égard de l’administration Trump est aussi la marque du parti au pouvoir (Droit et Justice, PiS). D’inspiration conservatrice et populiste, il partage plusieurs affinités idéologiques avec Donald Trump (sur l’immigration ou le climat par exemple), la même exécration des « élites libérales globalisées » et l’obsession de se démarquer de son prédécesseur. Comme Donald Trump qui semble souvent animé par le désir de déconstruire l’héritage de Barack Obama, le gouvernement PiS voue régulièrement aux gémonies le bilan de l’équipe précédente qui s’est attachée à se rapprocher de l’Allemagne, à s’investir dans les politiques communes de l’UE, et qui a laissé transparaître sur certains sujets une frustration, voire un agacement, à l’encontre de Washington.
L’ardeur avec laquelle le gouvernement polonais courtise Donald Trump est aussi fonction de son isolement croissant au sein de l’UE. Le gouvernement est sous le coup de procédures d’infraction de la part de la Commission européenne pour des atteintes à l’ État de droit et pour son refus de participer au programme européen de relocalisation des réfugiés. Il s’inquiète à l’idée qu’un renforcement de l’intégration de l’Eurozone puisse déboucher sur une Europe à deux vitesses, tout en refusant catégoriquement d’envisager une adoption de la monnaie commune (bien que la Pologne s’y soit engagée). Il a récemment aliéné, sur des dossiers différents, à la fois Berlin et Paris, et ce à un moment où Londres s’apprête à quitter l’UE. L’épisode de la réélection du polonais Donald Tusk à la tête du Conseil européen, opposée par la seule Varsovie, a peut-être été l’illustration la plus éloquente de cette tendance à la marginalisation.
Rien d’étonnant, dans ce contexte, que la visite de Donald Trump soit perçue comme une opportunité pour sortir de l’ornière. Elle constitue à n’en pas douter une victoire politique et diplomatique pour Varsovie, d’autant que le président américain assistera au sommet de l’Initiative des Trois Mers (Baltique, Adriatique, Noire) qui réunit – sous leadership polonais –, douze pays d’Europe centrale et orientale. Son principal objectif est de développer les échanges économiques dans la région mais Varsovie semble souhaiter en faire un instrument politique, notamment pour faire contrepoids à l’Allemagne – certains pays participants, telle la République tchèque s’en sont, en tout cas, ouvertement inquiétés.
Le président américain, qui n’a jamais caché pas son hostilité à l’égard de l’UE en tant qu’entité politique et qui se trouve de plus en plus en conflit ouvert avec l’Allemagne, cherchera-t-il à jouer sur les divisions européennes lors de sa venue à Varsovie ? Les partenaires européens de la Pologne ne manqueront pas de scruter, dans le discours que Donald Trump prononcera à Varsovie, toute inflexion qui pourrait rappeler la fallacieuse dichotomie entre « ancienne » et « nouvelle » Europe proférée par Donald Rumsfeld au moment de la Guerre en Irak.
Le contexte des relations transatlantiques a bien changé aujourd’hui, et la « nouvelle Europe » a pris de l’âge en suivant des chemins différents. Si plusieurs pays de la région souscrivent à l’objectif stratégique de maintien d’une présence militaire américaine en Europe, peu d’entre eux, la Hongrie exceptée, partagent dans la même mesure les motivations idéologiques et politiques du gouvernement polonais.
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