Bouclier antimissile : réactions centre-européennes edit
Abandonnant ce qui fut l’un des symboles de politique étrangère de son prédécesseur, Barack Obama envoie un signal fort. Des incertitudes budgétaires et techniques contribuent à expliquer l'abandon de ce projet, mais l'enjeu est aussi d’enterrer une des pommes de discorde avec la Russie. Les gouvernements tchèque et polonais paraissent résignés face à une décision qu’ils pressentaient depuis des mois. Mais en dépit de son dénouement, et au-delà des réactions immédiates (« le Kremlin se réjouit, les Centre-Européens sont inquiets », titrait un édito tchèque), l’affaire du bouclier antimissile aura permis d’éclairer la spécificité des perceptions de sécurité centre-européennes.
Sans remettre en cause les autres composantes de l’architecture antimissile américaine, Barack Obama renonce au plan du « Troisième site » (10 intercepteurs en Pologne et une station radar en République Tchèque), lui préférant le déploiement de batteries mobiles d’un meilleur rapport qualité-prix. L’Iran aura été à l’origine à la fois de la conception du projet et de la justification de son abandon. L’administration Bush souhaitait enrayer les risques balistiques émanant d’États-voyous au Moyen-Orient. Aujourd’hui, la décision de Barack Obama est légitimée, explicitement, par une réévaluation de l’imminence de la menace en provenance de Téhéran, qui résiderait plus dans les missiles de courte et moyenne portée que dans les fusées intercontinentales, et implicitement par une volonté d’apaisement à l’égard du Kremlin, notamment afin de rechercher sa coopération sur le dossier nucléaire iranien. Seulement, pour Prague et Varsovie, le bouclier n’a jamais vraiment été conçu à propos de l’Iran.
L’implication centre-européenne dans ce programme participait de la poursuite de leur objectif stratégique primordial, à savoir le maintien d’une présence militaire américaine en Europe, fil rouge de politique étrangère hérité de l’expérience traumatique de la Seconde Guerre mondiale. Or les Etats-Unis, sollicités sur d’autres fronts, se désengagent progressivement du vieux continent, et les pays d’Europe centrale et orientale s’en inquiètent. Particulièrement éloquente à cet égard fut la lettre adressée au président Obama cet été par plusieurs grandes figures politiques régionales, au premier rang desquelles Václav Havel et Lech Walesa. Soucieux du déclassement stratégique de leur région, ils mettaient en garde contre des instabilités en devenir, causées par les manœuvres géopolitiques de la Russie, « état révisionniste ayant un agenda impérial du XIXe siècle et des moyens du XXIe ». La Russie est perçue comme une menace d’influence, usant de leviers énergétiques et commerciaux, et cherchant à contourner les pays d’Europe Centrale dans ses interactions stratégiques avec l’Ouest. L’anxiogène syndrome de Yalta est latent dans la lettre adressée à Barack Obama ; la décision de ce dernier d’abandonner le bouclier ou encore l’appel du Secrétaire Général de l’OTAN, le lendemain, à revitaliser la coopération stratégique avec Moscou et à considérer le Plan Medvedev, pourra alimenter ce sentiment de déréliction centre-européen. Le bouclier était en effet présenté dans ce même texte comme un « symbole de la crédibilité américaine ».
Pour autant, les réactions à Prague et Varsovie sont plutôt mesurées. Des pointes d’amertume ont bien filtrées dans les médias – un éditorial du Hospodarske Noviny allant jusqu’à fustiger la « traîtrise » de l’allié américain – ou chez certains hommes politiques éloignés du pouvoir. Cette décision pourrait également accentuer une intéressante tendance relevée par l’étude Transatlantic Trends du German Marshall Fund : depuis l’arrivée de l’administration Obama, et contrairement aux années précédentes, les États-Unis sont devenus plus populaires à l’Ouest qu’à l’Est de l’Europe (63 contre 53 % d’opinions favorables).
Néanmoins, si le ministre polonais des Affaires étrangères a bien dénoncé une « maladresse » dans le calendrier de l’annonce, parue le jour de l’anniversaire de l’invasion soviétique de la Pologne orientale, les réactions officielles ont été plutôt discrètes. Probablement parce que cette décision ne prend pas de court les gouvernements tchèques et polonais, par ailleurs soucieux d’éviter de faire des vagues à propos d’un projet qui les avaient déjà mis en porte-à-faux avec leurs populations, majoritairement hostiles au bouclier. De plus, l’administration Obama s’est empressée de rassurer ses partenaires centre-européens au sujet des engagements américains en matière de coopération militaire ; le ministre tchèque de la Défense, invité à Washington, a par exemple suggéré l’ouverture d’une branche de l’Académie West Point en Europe Centrale, vraisemblablement en guise de compensation. La Pologne n’est pas en reste puisque la livraison de missiles Patriot, prévue par l’accord sur le bouclier signé au lendemain de la crise géorgienne, sera honorée. Surtout, le dispositif de remplacement imaginé par l’administration Obama prévoit l’installation en Europe de batteries antimissiles mobiles, et si les experts militaires recommandent un déploiement dans les Balkans ou en Turquie, Hilary Clinton n’en a pas moins désigné la Pologne et la République Tchèque comme de sérieux candidats. En d’autres termes, ces pays n’ont pas fini de chercher des garanties de sécurité auprès de Washington.
Car au-delà de ses rebondissements et des tractations contingentes, l’affaire du bouclier pose la question de l’Otan, et du degré de confiance qu’elle inspire aux pays d’Europe centrale. Prosaïquement, une base antimissile signifie du personnel militaire américain sur son sol, et donc un statut privilégié en cas d’attaque. Si Prague et Varsovie se sont embarqués dans l’aventure du bouclier antimissile c’est parce qu’elles ne croient pas complètement en les vertus de l’Article 5. Et Il faut dire que l’Otan n’a pas tout fait pour les rassurer : les plans alliés pour la défense de ces pays n’ont jamais vu le jour. Mais il semblerait que le président Obama ait justement l’intention de pousser à la préparation de ces plans officiels. Cela contribuerait grandement à estomper la désillusion du bouclier.
Ensuite, cette décision pourrait inaugurer une nouvelle ère de dialogue stratégique entre Moscou et Washington, évolution qui sera suivie de près en Europe centrale. Faisant suite à la crise géorgienne, où les États-Unis s’étaient révélés plus partie du problème que de la solution, ce revirement de Washington pourrait inciter les États centre-européens à articuler leurs politiques vis-à-vis de la Russie davantage dans le cadre de l’UE.
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