Plan de relance européen: grands desseins et petits arrangements edit
Au terme d’un long processus de négociations impliquant les Etats membres, le Conseil, la Commission et le Parlement européen, la fumée blanche est apparue : habemus budgetam ! Les Européens ont accouché d’un budget et d’un plan de relance le 10 novembre 2020. Avant que l’argent ne commence à couler il reste à approuver formellement le budget et les compromis ultimes.
Comme toujours les querelles qui ont retardé l’accord apparaissent byzantines. Elles ont porté sur une révision à la marge de l’enveloppe budgétaire, pour 16 milliards d’euros (sur un total de 1824 milliards d’euros), destinés à Erasmus, à la politique sanitaire et à la recherche, soit moins de 1%.
Elles ont porté également sur le calendrier de l’institution de taxes européennes (sur les plastiques, sur le carbone, sur le numérique ou sur les transactions financières) alors que la faisabilité de telles taxes reste ouverte.
Elles ont porté enfin sur l’éventuel retrait des aides aux pays qui ne respectent pas les « valeurs européennes » et violent les principes de l’État de droit. Hypothèse qui soulève le courroux des démocraties illibérales et nourrit un débat sans fin sur les réformes institutionnelles constitutives d’une atteinte avérée aux valeurs européennes.
Mais le fait même que ces obstacles aient été surmontés est le reflet d’un processus jalonné de crises et d’avancées acquises de haute lutte.
Le principe d’un plan de résilience et de relance de 750 milliards d’euros (New Generation EU) dont 390 milliards de subventions et 360 de prêts aux Etats financés par de la dette européenne et répartis entre pays membres selon l’intensité du choc subi n’allait pas de soi. Pour les pays dits frugaux il fallait réduire au maximum la composante subventions, ne pas mutualiser la dette et instaurer une conditionnalité stricte.
Le rejet de toute tentation austéritaire quelle que soit l’état des finances publiques et de la dette des pays bénéficiaires et le rejet de toute supervision a priori des États bénéficiaires des aides par les États radins n’allait pas de soi non plus. La réaction épidermique des États frugaux a été de dénoncer le laxisme passé des pays du Sud, la nécessité d’éviter l’aléa moral et la faculté à laisser aux pays du Nord de suspendre leurs paiements en cas de dérive des pays du Sud.
Enfin l’accord de principe donné à un accroissement des ressources propres qui, une fois créées sont là pour durer, n’est pas passé sans mal tant les euro-tièdes craignent une autonomisation de la Commission par rapport aux États membres. Les ressources propres sont l’embryon d’une capacité budgétaire propre.
Un bon compromis
Malgré ou à cause de la pandémie et du Brexit, malgré les tentatives d’émasculation du plan par les pays radins, le projet initial porté par la France et l’Allemagne a été finalisé et son principe fondateur préservé à savoir l’aide directe à ceux qui avaient le moins de marges de manœuvre financière.
Le compromis a donc porté sur trois points : le montant de l’aide pour ne pas effrayer les pays frugaux, la destination des fonds pour faciliter la mutation des pays bénéficiaires et rassurer les contributeurs nets, la répartition des crédits budgétaires au profit des rentiers mais sans désespérer les novateurs.
L’enveloppe du volet aides ne représente que 3 points du PIB européen ce qui laisse l’essentiel de l’effort d’adaptation aux plan nationaux (de l’ordre de 10 points de PIB au total) sauf pour les pays les plus atteints, Grèce, Espagne et Portugal qui bénéficieront de transferts nets de l’Union estimés entre 4 et 8 points de PIB. Ainsi l’Union vient en aide aux pays les plus atteints, ceux qui sont le moins à même de trouver facilement des financements sur les marchés, mais sans qu’ils soient dispensés d’un effort propre significatif.
Le ciblage des aides vers des investissements contrôlables est prévu, ce qui fait de ce plan de relance un programme structurel et non conjoncturel dont la réalisation sera étalée dans le temps. Le verdissement de l’économie, la transition numérique et la montée en gamme par la recherche et l’innovation doivent être au cœur des programmes financés par l’Europe. La pandémie, si elle justifie un effort d’investissement significatif est donc l’occasion de négocier une triple transition écologique, numérique et vers l’autonomie stratégique.
Le budget ou plus exactement le cadre financier pluriannuel 2021 / 2027 conserve sa structure et ses priorités traditionnelles pour la CAP (même si on note une baisse de son poids relatif) et la cohésion territoriale alors que l’Europe s’est rêvée un moment maîtresse du développement de sa défense et de la protection de ses frontières. Rappelons ici que la PAC dans sa nouvelle définition « Ressources naturelles, environnement » voit sa part dans le budget des 27 passer de 37% à 33% entre le budget 2014/2020 et sa version 2021/2027 et que les fonds de solidarité dans leur nouveau libellé « Cohésion, résilience et valeurs » passent de 36 à 35% soit une quasi stabilité. Les postes migrations et gestion des frontières d’un côté et sécurité et défense passent de 4 à 26 milliards d’euros pour l’un et de 4 à 15 pour l’autre ce qui représente certes une hausse significative mais le montant total reste modeste. Le Parlement a obtenu de haute lutte des moyens supplémentaires pour la recherche (4 milliards d’euros), pour Erasmus (2,2 milliards) ; ainsi que 3,4 milliards pour la santé, 1,5 pour la protection des frontières et 1 milliard pour l’emploi. Ainsi les arbitrages rendus, par rapport aux ambitions initiales sacrifient les réorientations stratégiques du budget européen au profit des petits arrangements (ampleur des chèques accordés aux contributeurs nets) et de la préservation des crédits acquis au titre de la politique agricole et de la cohésion territoriale.
Et après ?
L’accord final semble acquis mais sa postérité dépend de plusieurs facteurs.
D’abord et avant tout, ce plan doit passer le cap de l’approbation formelle qui n’est pas acquise à ce jour ; M. Orban prétend exercer son veto pour lever la menace de sanctions qui pèsent sur les démocraties illibérales si elles continuent à bafouer les valeurs européennes. La Pologne est sur la même ligne.
Par ailleurs ce plan n’intègre pas les effets de la deuxième vague de la pandémie. Qu’adviendra-t-il de ce plan si la situation sanitaire et donc économique se dégrade ? La capacité de l’Union à réagir rapidement en débloquant voire en redéployant les moyens sera décisive. Or l’Union n’excelle pas quand la réactivité est requise.
Enfin la faisabilité des prélèvements nouveaux (ressource plastique et 2021, puis mécanisme d’ajustement carbone taxe numérique en 2022 et enfin TTF plus tard) n’est pas acquise à ce stade. Chacune des ressources nouvelles pose en soi des problèmes, elle est de plus source de contentieux possibles avec la Chine, les Etats-Unis, les GAFAM… On peut penser qu’en cas de difficulté à créer ces nouveaux impôts l’obstacle pourra être facilement levé car il suffit que la contribution des États membres augmente mais les populistes ne manqueront pas de s’emparer de cet argument pour attiser les flammes de l’euroscepticisme.
Quels enseignements peut-on tirer de la double séquence adoption du budget et gestion de la crise pandémique ?
Une fois de plus après un démarrage calamiteux l’UE a été capable d’inventer une réponse adaptée à la crise. Rappelons nous la crise du Covid 19 a donné lieu à une réponse à trois temps : intervention de la BCE dans l’urgence, puis plan communautaire pour l’emploi puis plan de relance. Cee Plan intitulé New Generation EU a été très controversé mais a finalement abouti.
Une fois de plus l’UE a su franchir les lignes jaunes quand c’était nécessaire. La crise du Covid peut être plus encore qua la crise de l’Euro aura été propice à des avancées substantielles avec l’esquisse d’une Union Sanitaire, l’actualité nouvelle de la souveraineté économique et surtout avec un plan de relance financée par une dette européenne intégralement mutualisée.
Une fois de plus l’UE a su composer jusqu’au bout avec les particularismes des Etats membres pour forger un consensus. Aucune opposition ne peut être négligée, aucune revendication ne peut être écartée sans avoir été considérée, les canaux de la négociation doivent rester ouverts jusqu’à l’accord final et parfois même au-delà.
Le ballet des institutions paraît tout aussi immuable Commission, Conseil, Parlement mais à y regarder de plus près on sent quand même quelques inflexions : l’initiative du Plan de relance et de résilience est française puis franco-allemande, le travail de persuasion est fait par le couple qui entreprend de désamorcer les critiques des pays frugaux et les susceptibilités des pays du sud. C’est la Commission qui finalise le projet mais c’est au Conseil qu’on négocie. Enfin, c’est sur la place publique que s’exercent les pressions de l’Italie pour ne pas subir les contrôles a priori, de la Hongrie pour éviter les sanctions ce qui permet aux groupes parlementaires de tracer leurs propres lignes rouges et de faire vivre cet embryon de démocratie européenne.
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