Crise de liquidité ou de solvabilité ? edit
La crise financière continue de plus belle, aussi bien aux Etats-Unis, où le Congrès a finalement accepté le plan Paulson le 3 octobre, qu’en Europe. Des deux côtés de l’Atlantique on ne compte plus (ou difficilement) le nombre de banques qui sombrent ou sont rachetées. La situation évoluant de jour en jour, quelle est la nature exacte du problème, et quelle solution y apporter ?
Une question centrale est de déterminer si les banques sont confrontées à un problème de liquidité ou de solvabilité. Une institution face à un problème de liquidité a seulement besoin d’une marge temporaire jusqu’à ce que la situation se normalise. En revanche, une banque insolvable ne pourra pas faire face à ses engagements.
Nous pouvons illustrer cet aspect, et la discussion des solutions, par un exemple simple. Considérons une banque qui avant la crise avait 1.000 euros d’actifs sous forme de produits adossés à des prêts hypothécaires, et dont le passif consistait de 800 euros de dettes, y compris les comptes des particuliers à la banque, et de 200 euros de fonds propres.
Considérons maintenant plusieurs cas de figure. Dans le premier la crise a réduit la valeur des actifs à 900. La situation est désagréable, mais pas fatale : les fonds propres de la banque se montent encore à 100 euros, et la banque demeure solvable. Un problème de liquidité pourrait toutefois survenir : si les gens ayant des comptes auprès de la banque perdent confiance et décident tous de venir retirer leur avoir, la banque doit liquider ses actifs en catastrophe et ne pourra alors en retirer que disons 700 euros, laissant ainsi certains épargnants sur le carreau. De tels problèmes de panique bancaire sont bien compris des économistes, et la solution est simple : la banque centrale prête les fonds nécessaire à la banque, qui pourra les rembourser en liquidant progressivement 800 euros sur les 900 euros d’actifs qu’elle possède.
Pas de quoi se faire de souci alors ? Comme souvent, la réalité est plus complexe. Tout d’abord, la valeur des actifs est incertaine. Considérons une deuxième possibilité. Comme les marchés financiers sont actuellement figés, il n’est pas possible d’obtenir un prix pour évaluer les actifs de la banque. Difficile dès lors de savoir s’ils valent 900, 800 ou 700 euros. En outre, même lorsqu’un prix de marché est disponible, il peut être sous-évalué. Par exemple, il se peut que la valeur à long terme des actifs soit de 900 euros, mais qu’au prix actuels elle ne soit que de 700 euros. La banque est donc insolvable au prix actuel, mais pas au prix futur. De telles réactions excessives des prix de titres, par rapport à leur valeur de long terme, sont monnaie courante sur les marchés financiers (en particulier sur le marché des taux de change). Dans ce cas l’état à un rôle à jouer. Il peut intervenir et racheter les actifs pour 850 euros. La banque est alors débarrassée de l’incertitude sur la valeur de ses avoirs, demeure solvable, quand bien même ses actionnaires ne se réjouissent pas, et le contribuable est gagnant puisqu’il pourra plus tard vendre les avoirs pour 900 euros. Il s’agit là de l’essentiel du plan Paulson.
Le problème est que nul n’est sûr de la valeur de long terme des avoirs hypothécaires au cœur de la tourmente actuel. Il se peut en fait que nous soyons dans un troisième cas de figure où la valeur de long terme des actifs est effectivement de 700 euros, et que donc la banque est fondamentalement insolvable. On pourrait la laisser partir en faillite. Cela serait gérable pour une banque individuelle, mais lorsque que la majeure partie du système bancaire est dans cette situation des faillites sur une grande échelle seraient catastrophique. Le système financier se bloquerait, entrainant toute l’activité économique avec lui.
Le problème pourrait être résolu par un rachat des actifs par l’état, comme dans le second cas ci-dessus, mais au prix de 850 euros. La banque demeure solvable, mais le contribuable essuie une perte puisque la vraie valeur des actifs n’est que de 700 euros. Pire, si les affaires de la banque reprennent par la suite, les actionnaires en recevront les bénéfices, mais le contribuable reste face à sa perte. Le risque d’une telle situation est une des raisons derrière la réticence du Congrès. En outre, peut-on être sûr que le gouvernement pourra évaluer la valeur des actifs en question plus exactement que les légions de banquiers de Wall Street qui y perdent leur latin ?
Certes, la perte fiscale est peut-être le prix à payer pour éviter une catastrophe plus large. Il existe toutefois de meilleures approches pour résoudre un problème de solvabilité. Rappelons qu’un tel problème signifie que les fonds propres de la banque sont négatifs, car les avoirs ne couvrent plus les dettes ni les dépôts des épargnants. Si un rachat d’actifs par le gouvernement rétablit les fonds propres, et donc la solvabilité, il y parvient de manière très indirecte.
Il serait plus efficace d’injecter directement des fonds propres. Une première option est que l’état prenne une participation directe comme actionnaire. Cela devrait se faire par le biais d’actions dites « seniors ». Cela signifie que d’éventuelles pertes ultérieures réduiraient d’abord l’avoir des anciens actionnaires, puis celui de l’état, au lieu de réduire la valeur de toutes les actions de manière uniforme. Une telle structure fait en sorte que le secours du contribuable se paie au prix fort pour la banque. En d’autres termes il s’agit d’une nationalisation partielle de la banque. Pas très standard dans un système capitaliste ? Rappelons tout d’abord que cette nationalisation serait temporaire, l’état vendant graduellement ses avoirs lorsque la crise sera passée, et que la politique économique se doit d’être (et est en réalité) plus pragmatique qu’idéologique.
Une autre option permettrait de renflouer la banque sans engagement public. Il s’agit d’un échange (« swap » dans le jargon financier) de dettes contre actions. Rappelons que dans notre exemple la banque a 800 euros de passifs sous forme de comptes de particuliers (disons 400 euros) et d’emprunts obligataires (400 euros). Ces emprunts offrent un rendement donné, tant que la banque ne fait pas faillite. L’idée est de convertir 200 euros de ces emprunts en actions. Les passifs de la banque seraient alors de 400 euros de comptes de particuliers, 200 euros d’emprunts, et 100 euros d’actions, pour des actifs de 700 euros. La solvabilité est donc rétablie. Certes, les titulaires des emprunts ne seraient pas enthousiasmés de voir leur placement à rendement garanti se transformer en actions risquées. Toutefois, leur alternative est en réalité un rendement encore moindre si la banque doit être liquidée en catastrophe.
Une telle solution peut faire figure d’hérésie dans une économie de marché, puisqu’elle bafoue le contrat passé à l’origine avec les titulaires des emprunts. Toutefois une telle approche est reconnue comme pouvant être efficace, par exemple dans le contexte de la dette des pays en développement. Si le fardeau de la dette est tel qu’il démotive le débiteur dont tout investissement ne servirait qu’à repayer son créancier, il peut être dans l’intérêt du prêteur de réduire la dette, donnant ainsi au débiteur une raison d’investir et d’en récolter une partie des fruits. Un peu loin du marché parfait et standard, certes, mais l’économie est rarement proche d’un tel idéal, surtout pour des marchés financiers en crise.
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