La récession mondiale est-elle évitable ? edit
La réaction instinctive des marchés financiers à l’annonce d’un projet de plan de renflouage des institutions financières américaines, vendredi 19 septembre, était : « la vraie cavalerie arrive enfin, le futur est bon marché et la protection contre le risque trop chère ». Depuis, les marchés se montrent plus circonspects. Le plan Paulson, s’il parvient à passer l’épreuve de la négociation avec la majorité démocrate au Congrès, paraît impressionnant, à en juger par les sommes que le Trésor pourrait mobiliser, jusqu’à 700 milliards de dollars. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et son efficacité macro-économique est discutable. Les effets combinés de la hausse du prix des matières premières, de la montée de l’aversion au risque et son corollaire, la raréfaction du crédit, continuent à entraîner l’économie mondiale vers la récession. Est-elle évitable ?
En l’espace de deux semaines, la vitesse à laquelle la crise du crédit s’est accélérée aux Etats-Unis a pris par surprise aussi bien les décideurs privés que publics, sans parler des analystes. La faillite de Lehman Brothers, acceptée par les autorités, semble avoir ouvert la boîte de Pandore et enclenché un processus infernal. De façon sommaire, on peut le caractériser par une fuite devant le risque qui a immédiatement transformé le risque de liquidité en risque de solvabilité pour les institutions financières les plus endettées. L’aversion au risque devint si extrême que le rendement des billets à trois mois du Trésor US devint même négatif pendant quelques heures la semaine dernière, une fâcheuse réminiscence des débuts de la « décennie perdue » qui suivit l’éclatement de la bulle immobilière au Japon.
Les banques centrales ont immédiatement réagi en ouvrant plus encore les facilités de financement en dollars sur tous les grands marchés. Mais la crise menaçait de passer de Wall Street à Main Street : les américains ont commencé à retirer leur épargne placée sur le marché monétaire, l’équivalent de nos Sicavs monétaires les plus liquides. Arrivé à ce point, le Secrétaire d’Etat au Trésor et le Président de la Réserve Fédérale ont jugé que les choses étaient assez mûres pour demander au Congrès d’utiliser l’arme suprême, c'est-à-dire les fonds publics. A quelques jours de la fin de la session du Congrès et quelques semaines des élections, le plan Paulson a peu de chances de passer en l’état, et la majorité démocrate aura beau jeu de l’amender en sa faveur, étant donnée la gravité de la situation. Il n’en demeure pas moins que ce qui paraissait encore politiquement inacceptable il y a trois semaines est maintenant discuté : un sauvetage de l’industrie financière de grande ampleur par le contribuable américain.
Le plan Paulson réussira-t-il ? S’il s’agit d’enrayer l’enchainement des faillites d’institutions financières américaines, c’est probable. Pour prévenir une répétition de la déroute de Bear Stearns, la Réserve Fédérale avait créé une fenêtre de refinancement ad hoc pour les banques d’investissement, qui ne reçoivent pas de dépôts, en dérogation avec le principe de séparation du Glass Steagall Act de 1933. En contrepartie, la Fed entreprit immédiatement d’auditer les livres des brokers-dealers. Cette décision pragmatique semblait avoir initié le processus de réduction de l’endettement, comme en témoigna les ventes de produits de crédit effectuées peu après par plusieurs géants de Wall Street. Comme d’autres, je pensais que le pire de la crise financière était passé, et que l’attention devait dès lors se porter sur l’économie réelle. Erreur. Comme la fenêtre de refinancement n’était ouverte que jusqu’en janvier 2009 et que le désendettement promettait d’être bien plus long, les marchés en conclurent que les faillites n’avaient été que reportées, ce qui conduit à la chute de Lehman. En optant pour le statut bien plus règlementé de banque de dépôt, les deux dernières banques d’investissement indépendantes, Morgan Stanley et Goldman Sachs ont implicitement reconnu que le marché avait raison. C’est là qu’intervient le plan Paulson, qui devrait faciliter la recapitalisation de l’ensemble du système bancaire américain et au-delà, puisque les banques étrangères détentrices de titres hypothécaires US devraient aussi pouvoir vendre ces actifs illiquides à la structure de défaisance que le Trésor tente de mettre en place.
En revanche, il est moins sûr qu’il suffira à enrayer la baisse des prix immobiliers et ses conséquences récessionistes sur la demande intérieure américaine. Dans le meilleur des cas, comme Paul Volcker et Nicholas Brady l’avaient suggéré dans le Wall Street Journal, l’agence de défaisance restructurerait les dettes hypothécaires qu’elle aura acquises, et en modifierait les termes, de façon à limiter les faillites individuelles. En aidant l’économie à se stabiliser, l’agence augmenterait la valeur future de son portefeuille de créances, qu’elle est autorisée à porter jusqu’à échéance, et, ainsi, limiterait le coût de l’opération pour les finances publiques. Mais les négociations avec le Congrès et la proximité des élections risquent fort de limiter la liberté de manœuvre de l’agence et, surtout, sa marge d’action financière. Le plafond d’intervention de 700 milliards de dollars (4,9% du PIB), compatible avec l’évaluation des dépréciations d’actifs que le FMI avaient faites pour les institutions financières US n’est en aucun cas une estimation de la taille du plan de sauvetage lui-même. A titre de comparaison, le coût net du sauvetage des Caisses d’Epargne au début des années 1990 était de l’ordre de 125 milliards, soit environ 190 milliards de dollars d’aujourd’hui (1,3% du PIB).
En réalité, la cause première de la crise actuelle est l’excès d’endettement des ménages américains – leur dette a augmenté de près de 30% du PIB entre 2001 et 2007. A moins d’imposer une taxe inflationniste massive aux ménages, ce que la Réserve Fédérale ne tolèrera pas, tant fut douloureuse l’éradication de l’inflation opérée par Paul Volcker au début des années 1980, la remise en route de l’économie passera par la restructuration, un euphémisme pour ne pas dire défaut, d’une partie de cette dette, suivie de plusieurs années de remontée du taux d’épargne individuel, en raison de conditions de crédit structurellement plus restrictives. A ce stade, rien ne prouve que le plan Paulson suffise à financer la première étape de cette feuille de route. Vu l’ampleur des financements publics à venir, il est probable, peut-être même souhaitable, que seule la prochaine administration bénéficiera de l’autorité politique nécessaire pour rendre les arbitrages impliqués par l’utilisation massive des finances publiques. D’ici là, l’économie américaine risque de s’enfoncer plus avant dans la récession.
Du point de vue de l’économie réelle, le reste du monde développé ne va guère mieux. L’Europe et le Japon sont probablement aussi entrés en récession, à la suite du choc d’offre entraîné par l’augmentation des prix des matières premières et de la raréfaction du crédit provoquée par la crise du crédit. Qu’on ne s’y trompe pas : l’accélération du crédit aux entreprises non financières dans la zone euro au début de cette année était plutôt le signe d’une préférence pour la liquidité et d’une défiance des chefs d’entreprise vis-à-vis du système bancaire, qu’un signe de bonne santé. D’ailleurs, l’octroi de nouveaux crédits est dorénavant en déclin. Avec un cylindre sur deux (les importations des pays développés) en panne, le commerce mondial est en train de s’étouffer, transmettant le risque de récession aux économies émergentes. La montée de l’aversion au risque est contractionniste pour les économies qui ont de lourds déficits extérieurs, comme l’exemple de l’Inde le prouve aujourd’hui, tandis que les exportateurs de matières premières voient leurs revenus ralentir, à la suite de la baisse du prix de leurs exportations. Même si le risque de crise de crédit dans les grandes économies émergentes semble aujourd’hui faible, en raison de l’accumulation massive de réserves de change (et bien au-delà), il reste que le ralentissement et le risque de récession se sont étendus à toutes les économies.
La probabilité d’une récession mondiale, c'est-à-dire d’une croissance tombant aux alentours de 2%, voire moins, en 2009, me paraît élevée. Quatre années de croissance proche de 5% conséquence de taux d’intérêts réels anormalement bas, ont fini par buter sur des contraintes d’offre, et nourrit une inquiétante accélération de l’inflation. La récession qui s’annonce, ainsi que le désendettement forcé du secteur financier sont en quelque sorte les antidotes au risque inflationniste, que l’économie mondiale est en train de secréter. Les optimistes y verront une condition nécessaire du redémarrage de l’économie mondiale.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)