Le G7 est mort. Vive le G20 ? edit
Comme prévu, le sommet du G20 aura accouché de vœux pieux et d’une longue déclaration qui promet des lendemains qui chantent. Rien de ce qui figure dans la déclaration finale n’est nouveau. Un sommet inutile, donc ? Oui, sauf que sa tenue est intéressante en soi si elle signale la mort du G7. Or rien n’est moins sûr.
Parmi les aspects positifs on peut noter un bon diagnostic de la crise financière, qui reconnaît même que les pouvoirs publics « dans certains pays » n’ont pas pris la mesure des dangers qui s’accumulaient. Certains veulent y voir une condamnation des Etats-Unis, qui le méritent bien, mais il n’y a pas que les banques américaines qui ont fauté. Autre bonne résolution : prendre des mesures budgétaires de relance. On attend de savoir ce que les Gardiens du Temple du Pacte de Stabilité en pensent. Le G20 s’est aussi beaucoup préoccupé d’améliorer la réglementation financière, un besoin flagrant. Mais aucune mesure spécifique n’a été annoncée, et pour cause. La question est tellement compliquée qu’il va falloir sans doute des mois, sinon des années, pour que les spécialistes s’accordent sur la manière de s’y prendre. Par exemple, le grand sujet est de savoir comment éviter une expansion trop rapide du crédit bancaire durant les années de croissance forte. Les débats qui font rage en ce moment entre les spécialistes, bien loin des feux de la rampe, montrent que la solution est loin d’être évidente. De même, promettre plus de transparence dans les comptes des banques, c’est bien, mais quelque peu naïf. Chaque entreprise a ses secrets de fabrication, auxquels elles tiennent jalousement, et même très légitimement ; pour les banques, c’est la composition de leurs portefeuilles. Quoi qu’on fasse, elles sauront toujours trouver la parade.
Au moins le G20 ne s’est pas laissé aller aux diatribes familières contre les marchés laissés à eux-mêmes. Voilà qui va décevoir en France bien des bons esprits qui refusent toujours de comprendre que les marchés financiers sont très réglementés, mais mal réglementés. Et s’ils sont mal réglementés, ce n’est pas parce que les banquiers sont méchants mais parce que trouver l’équilibre entre les mesures qui protègent efficacement les marchés et ceux qui les étouffent est particulièrement ardu. Le fait que notre président ait admis, implicitement du moins, ce point est un autre motif de satisfaction.
Tout le reste est de l’eau tiède. On parle de renforcer la coopération entre les régulateurs nationaux. C’est très bien, mais il faut reconnaître que même en Europe, où la coopération économique a atteint un niveau unique au monde (marché commun, monnaie commune), les régulateurs et les superviseurs nationaux sont parvenus à maintenir leurs prés carrés, soutenus par leurs gouvernements qui caressent tous l’idée d’utiliser la réglementation pour protéger les champions nationaux. On voit mal les Anglais et les Chinois soumettre leurs banques à une quelconque supervision supranationale, et les Français n’y sont pas plus disposés, ni aucun autre pays d’ailleurs.
Le G20 a aussi fait part de sa détermination à réformer le FMI et la Banque mondiale en les rendant plus représentatifs du monde d’aujourd’hui. On a envie d’applaudir. Mais il faut se rappeler que la crise de légitimité a éclaté en 1998, après la crise asiatique durant laquelle le FMI est intervenu de matière particulièrement inopportune. Face aux pays émergents très remontés, le G7 avait déjà promis une réforme en profondeur. Il a fallu attendre 10 ans, pendant lesquels les PIB de la Chine ou de l’Inde ont plus que doublé, pour que 2% des voix soit redistribuées. On voit mal ce qui pourrait changer la donne.
Le G20 indique son intention de « revoir » les rémunérations des dirigeants. Il est éminemment souhaitable que ces rémunérations soient conçues de manière à encourager plus de prudence, et de nombreuses idées ont été avancées dans ce sens. Mais, dans les entreprises privées, ces rémunérations sont fixées par les actionnaires. On peut toujours essayer de légiférer en la matière, mais toute loi est faite pour être contournée. De plus, un pays plus laxiste a de fortes chances d’attirer les meilleurs talents, une tentation à laquelle il sera difficile de résister.
Le communiqué de Washington se garde bien de mentionner une refondation de Bretton Woods. Cette idée était mort-née, elle est désormais enterrée. En 1944, il s’agissait de construire un nouvel arrangement sur les décombres laissés par la Grande Crise et la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agissait surtout d’imaginer comment allait fonctionner le système monétaire international après la révolution technologique que représentait le remplacement de la monnaie métallique par la monnaie-papier. Les tentatives précédentes avaient échoué, largement par incompréhension des effets de cette révolution. Tout était donc à inventer et la table était rase. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, bien au contraire. Le système monétaire international est bien imparfait, et la crise vient de le rappeler, mais il existe. En fait il est très sophistiqué, peut-être même trop. Le temps n’est pas aux grandes initiatives spectaculaires qui ravissent les politiques, mais aux aménagements hyper-techniques qui les ennuient. C’est pour cela que les chefs d’Etat ont chargé leurs ministres des finances de plancher sur la question. Ceux-ci vont s’empresser de passer le bâton à leurs spécialistes et la technocratie va reprendre le dessus. Un jour, un nouveau G20 approuvera en quelques minutes des textes abscons dont ils ignoreront tout. Aménagements oui, refondation non.
Finalement, que restera-t-il de ce G20 ? Probablement sa naissance. La prétention du G7, même transformé en G8, à régler les grandes affaires du monde était devenue surannée. Dans presque tous les domaines, comment croire que l’opinion – lire : les intérêts – du Canada, de l’Italie, et même de la France, compte infiniment plus que celle de la Chine, de l’Inde ou du Brésil ?
Cela dit, bien des questions demeurent. D’abord, quel est l’avenir du G7 ? On ne voit plus quel peut être son rôle. Mais son succès médiatique en fait un bel instrument de politique intérieure. Quel chef d’Etat acceptera de se priver des belles photos qui font à coup sûr la une des médias ? Ensuite, on peut s’interroger sur la composition du groupe. La vertu du G7, c’était qu’on pouvait vraiment négocier à sept. Du moins on le faisait au niveau des sherpas, laissant aux chefs d’Etat le soin de parader devant les caméras et d’approuver des textes rédigés à l’avance, et devenus d’ailleurs de plus en plus creux au fur et à mesure que le G7 perdait sa légitimité. Vingt, c’est beaucoup, trop sans doute. Un groupe plus restreint aurait été préférable, mais, manifestement, le Sommet de Washington n’a pas été réuni pour être efficace, juste symbolique et spectaculaire. Malheureusement, ce ne sont ni les symboles ni les spectacles qui règlent les grandes questions du monde.
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