Monsieur Sarkozy, cessez de taper sur l'euro ! edit
Une fois encore, Nicolas Sarkozy a fustigé hier soir l'euro fort. Pourquoi cette critique est-elle démagogique ? L'explication d'un expert espagnol de haut vol.
La critique de l'euro est devenue l'un des clichés de la campagne électorale française et la maladie s'étend à d'autres pays européens. L'Eurogroupe est intervenu verbalement contre l'appréciation de l'euro face au yen, pressant le G7 pour qu'il agisse en bonne coordination.
Il est certain que le yen japonais est au niveau le plus bas des 25 dernières années, surtout du fait de la diversification des avoirs des épargnants japonais, après plus d'une décennie d'aversion au risque. Mais il est tout aussi certain aussi que l'euro est devenu une monnaie de réserve, ce que certains dirigeants européens refusent d'admettre. Les ministres se plaignent et la BCE répète qu'elle n'y est pour rien. Il faut s'interroger sur les raisons de ce sentiment d'insécurité : il semble bien que l'Europe soit encore incapable d'accepter les conséquences de son succès.
Une monnaie de réserve offre des garanties de valeur, de facilité d'usage dans les transactions, et elle garantit l'abondance et la liquidité du marché financier. Le cadre de la politique monétaire de la BCE renforce l'attrait de l'euro, du fait de son insistance exclusive sur la stabilité de prix. N'oublions pas que la Fed a quant à elle un double mandat, la stabilité des prix mais aussi l'output, ce qui dilue a priori sa crédibilité anti-inflationniste. Résultat, les risques d'inflation dans la zone euro sont plus faibles et plus stables qu'aux États-Unis. De plus, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) donne une crédibilité à la politique fiscale européenne. Malgré les critiques, le PSC a fait la preuve de son utilité : les gouvernements qui voient croître leurs revenus fiscaux les utilisent pour réduire le déficit et non pour augmenter la dépense, soit précisément le contraire de ce qui est arrivé en 1998-2000 et a suscité la crise du PSC.
Grâce à l'augmentation du commerce entre la zone euro et le reste de monde et l'intégration de nouveaux Etats-membres, le volume des transactions en euros dépasse désormais celui des transactions en dollars. En outre, le processus d'intégration financière de la zone euro porte ses fruits : le marché des emprunts libellés en euros représente déjà presque 50 % du total mondial, contre 37 % libellés en dollars.
Enfin, les tensions géopolitiques contribuent à faire de l'euro une monnaie de réserve. Une anecdote suggère que la publication, vers le milieu de 2002, de la nouvelle doctrine américaine de défense (la doctrine de l'attaque préventive) a été le détonateur qui a initié la diversification des réserves dans la région du Golfe et en Asie. Depuis ce temps-là, les pays de la région ont augmenté leurs réserves en euros, en prenant certes leurs précautions pour éviter de provoquer une chute du dollar qui leur aurait occasionné des pertes. En fait, les gestionnaires des réserves de la région sont devenus des acteurs déterminants du cours de l'euro. Ce n'est pas une coïncidence si l'euro a vu son cours monter en novembre et en décembre des cinq dernières années, quand les gérants de réserves ont dû rééquilibrer leur portefeuille et acheter des euros presque à tout prix.
L'euro et la politique extérieure européenne sont donc intimement liés. Quand le Président Chirac a décidé de faire face aux États-Unis en affirmant qu'il n'appuierait pas l'intervention en Irak, il affermissait la valeur de l'euro comme monnaie de réserve. Ce n'est pas un hasard si à Cuba les dollars sont soumis à une taxe spéciale et que les cartes de crédit émises aux États-Unis ont des problèmes dans l'île. Ce n'est pas un hasard si certains pays, parmi lesquels le Venezuela et l'Iran, facturent leur pétrole en euros.
L'Europe travaille depuis plus de 25 ans à créer un cadre de politique économique, de rapprochement économique et politique avec les régions voisines et d'intégration de ses marchés financiers. Une monnaie forte est le résultat logique de ce processus. Bien que les économies européenne et américaine soient de taille similaire, les réserves en dollars représentent encore 60 % du total, contre 20 % en euros. Le potentiel d'augmentation de l'usage de l'euro est encore important. La situation actuelle est d'ailleurs anormale : dans les années 1980, le dollar ne représentait que 40 % des réserves mondiales et les monnaies européennes une quantité similaire. Un euro fort réduit le prix du capital, permet la baisse des taux d'intérêt et facilite le financement de la balance des paiements, ce qui fait du bien à tous les Européens et contribue à rééquilibrer l'économie mondiale. En outre, il oblige les gouvernements à adopter des réformes structurales impopulaires mais nécessaires pour maintenir la compétitivité des économies, chose fort utile dans un continent dont les aiguillons réformistes sont un peu émoussés.
L'euro est fort et devrait le rester. C'est dans l'intérêt de la zone euro, et les hommes politiques européens devraient l'assumer et s'en réjouir au lieu de s'en plaindre. Quelle image aurait donné la sélection française de football après le 12 juillet 1998 si, au lieu de célébrer la victoire, elle s'était plaint de son bonheur, craignant d'être désormais considérée comme la favorite par une concurrence décidée à en découdre ? C'est pourtant ainsi que se comportent les politiques européens quand ils se lamentent sur l'euro fort, donnant une image d'insécurité et de fragilité qui ne correspond pas au statut de l'Europe dans le monde.
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