La réforme de l’État est bien mal engagée edit
On pouvait espérer que l’inspecteur des finances, ancien rapporteur de la Commission Attali, devenu Président de la République avait une vision claire du devenir de notre État et de ses structures. Dès la constitution du gouvernement et l’élaboration de la loi de finances, un doute s’est instillé. Rien sur la réforme de l’État et de l’échenillage budgétaire.
Ce doute est confirmé par les annonces récentes du Premier ministre sur la fonction publique. L’objectif visé par Emmanuel Macron de la « transformation » de la France ne sera pas atteint, une transformation profonde de l’Etat devenant peu probable.
Cette transformation passe par un réexamen systématique de toutes les fonctions assurées par la puissance publique, aboutissant à une suppression, ou à un allègement, des missions, et à l’adjonction de missions nouvelles. En même temps que le champ des interventions de l’État serait redéfini, la forme de gestion pourrait être révisée. Plus ou moins de déconcentration et de décentralisation et à quel niveau ? Plus ou moins de gestion directe ou de gestion déléguée à une agence ou au secteur privé ? En même temps, seraient prises en en compte les possibilités offertes par le numérique (ce n’est guère le cas pour l’instant), ainsi que les exigences d’une transparence et d’une concertation accrue. Bien sûr, la recherche d’une productivité plus forte, d’une simplification et d’une diminution des coûts serait une composante essentielle de la démarche. Le résultat serait une action publique évaluée plus productive.
Un exemple où cette approche aurait pu être expérimentée est la politique du logement, complexe et coûteuse. On a préféré l’improvisation (diminution des APL) une consultation express sur le web, des mesures budgétaires indifférenciées défavorables aux HLM et un projet de loi qui ne correspond nullement au « choc d’offre » annoncé. Une question centrale comme la déconcentration ou la décentralisation, compte tenu de la très grande diversité du marché du logement, est esquivée. On a cherché à gagner du temps. Pour quel résultat ?
La réforme de l’État ne peut être pilotée qu’au niveau du Premier ministre, sous l’autorité d’un ministre délégué ou d’un secrétaire d’État, assisté d’organismes comme France Stratégie. Seule une structure interministérielle peut prétendre à une approche fonctionnelle, contrairement à une décomposition par ministère, qui ne serait pas fonctionnelle. Dans un premier temps, seraient déterminées et hiérarchisées les principales fonctions, le mode de consultation, les priorités et un premier calendrier, tout en étant conscient qu’une telle refonte ne serait pas terminée à la fin du quinquennat.
Tout cela prend du temps et implique des débats ouverts et difficiles. Cela est vrai mais croire que la transformation de notre État peut se faire en cachette et dans la précipitation est un leurre. Et si des mesures urgentes doivent être prises, prenons-les sans contredire la démarche globale.
Trois erreurs
Les choix du Premier ministre ne vont pas dans cette direction et sont en partie erronés. Première erreur : placer le dispositif sous la responsabilité de Bercy. L’expérience montre, comme l’échec de la Rationalisation des choix budgétaires (RCB) dans les années 70, que le ministère du Budget est fait pour agir dans le court terme selon des préoccupations exclusivement financières. C’est ce qu’il sait faire et il doit avoir les moyens de le faire bien. Lui demander de réformer l’État c’est aller vers un nouvel échec.
Seconde erreur : centrer la réforme sur les agents publics, qui devront être plus mobiles et moins nombreux. Le candidat Macron s’était engagé sur une diminution de 120 000. Pourquoi ce chiffre ? Aucune justification n’a été donnée. Il fallait faire moins que le candidat Fillon et plus que les candidats de gauche. Aujourd’hui il est sacralisé et mis en préalable. La réforme sera modulée en conséquence.
Les agents sont des moyens mis en œuvre en vue d’assurer des missions. Sans réflexion critique sur ces missions et la manière de les assurer, comment réduire leur nombre sur une grande échelle sans recourir à l’arbitraire et aboutir à une suite d’échenillages?
Faisons du comparatisme et l’on constatera que pour les missions de souveraineté, les chiffres français de fonctionnaires ne sont pas aberrants.
Le statut de la fonction publique n’est pas un tabou. Contrairement à ce qu’a dit Emmanuel Macron à Tunis (il a repris la détestable habitude de traiter de la politique intérieure lors de ses voyages à l’étranger sans grande considération pour ses hôtes) ce statut a été modifié à plusieurs reprises depuis Maurice Thorez. Il doit être mis sur la table comme tout ce qui contribue à la réalisation de l’action publique : procédures, répartition des compétences, automatisation. En faire le point d’entrée principal est limitatif et conflictuel.
Une analyse en profondeur ferait apparaÎtre que certains métiers sont mieux assurés par des agents contractuels que par des fonctionnaires statutaires qui resteront toujours moins mobiles. C’est déjà le cas, puisque près d’un million d’agents sont déjà des contractuels. Ce nombre est appelé à augmenter. Une gestion prévisionnelle des effectifs devrait prendre en considération cette exigence, ce qui suppose un minimum de réflexion préalable sur les missions de demain.
Élargissons le débat, parlons métiers, services rendus et débattons avec tous les intéressés.
Troisième erreur (là, il s’agit plutôt d’une insuffisance), les mesures proposées ne permettront pas d’atteindre le chiffre de 120 000. L’expérience montre qu’un très faible nombre de fonctionnaires étaient séduit par la reconversion ou le départ vers l’extérieur, même largement indemnisé.
Il est possible que la négociation avec les syndicats aboutisse in fine à un compromis. Il aura un prix.
Pour autant, la réforme de l’État ne sera pas sur les rails. Sans inflexion politique qui ne peut venir que du Président de la République, l’échenillage budgétaire restera la règle dans les prochaines lois de finances.
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