Israël: tout change, mais rien ne change edit

3 octobre 2024

Début septembre 2024, la population israélienne voyait s’approcher la date anniversaire des massacres perpétrés par le Hamas dans un climat de morosité et de pessimisme. L’éventualité de voir libérer les otages encore vivants se délitait dans les manipulations et les mensonges d’un gouvernement plus préoccupé par sa survie politique que par la vie de ses citoyens encore prisonniers, et dans une surenchère du Hamas, toujours déterminé dans sa stratégie d’un élargissement du conflit.

Avec ardeur, les Israéliens encore porteurs des valeurs fondatrices de solidarité nationale continuaient de manifester, pendant que d’autres fractions de la population optaient pour l’indifférence et le repli sur soi.

Mais pour la première fois dans sa courte histoire, le pays voyait sa frontière rétrécie du fait des bombardements incessants du Hezbollah. Des dizaines de localités et des dizaines de milliers d’Israéliens étaient évacués, pendant que les villes et localités restantes étaient bombardées régulièrement.

Même s’ils évitaient d’affoler les populations, un scénario était dans l’esprit de tous les responsables militaires :  celui d’un Hezbollah profitant de la concentration des forces sur Gaza pour lancer une offensive terrestre de même nature que celle du Hamas le 7 octobre, avec pour objectif l’occupation et la destruction de localités et des prises d’otages. C’est d’ailleurs ce scénario qui avait en partie motivé les décisions d’évacuation.

Pendant ce temps, l’action militaire à Gaza n’apportait que des résultats partiels et insuffisants, tout en révélant l’ampleur insoupçonnée du réseau de défense souterrain réalisé par le Hamas.

Chaque jour ou presque apportait en outre son lot d’annonces de nouvelles pertes de jeunes soldats et réservistes, engagés dans des opérations militaires aux objectifs de plus en plus incertains et imprécis, alors que des pans entiers de la société israélienne religieuse ultra-orthodoxe qui refusent la conscription militaire pour leurs enfants encaissaient des cadeaux budgétaires.

Face au spectacle d’un gouvernement otage de sa minorité messianique d’extrême-droite, occupé à faire oublier ses erreurs ayant entraîné pertes humaines et matérielles et privilégiant sa survie politique, le pays éprouvait une profonde perte de confiance dans ses institutions.

Un sentiment d’insécurité collective se répandait dans le pays.

À l’intérieur, le sentiment que les incursions meurtrières à la frontière de Gaza pouvaient également se produire n’importe où ailleurs, compte tenu de la taille du pays.

Sur le plan politique et idéologique, les protestations internationales consécutives aux destructions subies par la population de Gaza, étaient perçues par les Israéliens comme partielles et partiales. Les comparaisons arithmétiques simplificatrices des pertes humaines respectives nourrissaient un profond sentiment d’injustice.

Les manifestations de soutien au Hamas dans le monde musulman, mais également en Europe et aux Etats-Unis, dans les rues et les campus où sont censées être formées les futures élites de ces pays, généraient incompréhension et repli sur soi.

Depuis presque un an, Israël s’est donc retrouvé sur la défensive sur les plans militaire, politique et idéologique.

Nervosité et frustrations étaient renforcées par les troubles et les agressions, jamais sanctionnés, provoqués par la frange la plus radicale des colons de Cisjordanie. On assistait aussi à une croissance incontrôlée de la criminalité dans la société civile, et plus particulièrement au sein de la population arabe. Et les multiples manifestations d’énergie collective et de solidarité des éléments les plus dynamiques et généreux de la société israélienne ne parvenaient pas à surmonter les sentiments de lassitude et de découragement.

L’Histoire dira si le déclenchement de la campagne d’explosions des systèmes de communication du Hezbollah avait été programmé à ce moment précis, ou s’il a été imposé par le risque d’une découverte fortuite de ces pièges. En tout cas, l’enchaînement de ces opérations spectaculaires par la qualité de leur préparation et de leur exécution a radicalement changé le paysage, et redonné fierté et espoir à la population.

Même si l’arsenal de missiles du Hezbollah reste impressionnant, sa direction militaire et politique a été décimée et ses cellules armées locales sont désormais livrées à elles-mêmes.

Le conflit est en train d’évoluer vers une intervention terrestre de l’armée israélienne, dont personne n’est capable de prévoir ni l’ampleur ni les conséquences malgré les affirmations américaines rassurantes. Et même si la population israélienne est consciente des possibles pertes matérielles et humaines en cas d’escalade du conflit, l’état d’esprit est plutôt au soulagement ainsi qu’à l’optimisme relatif. Car Israël ne subit plus, il agit enfin et prend des initiatives qui affaiblissent et déstabilisent son adversaire principal.

Israël fait aussi la démonstration de la qualité humaine de plusieurs de ses organes de défense, et commence à faire oublier ses incuries et sa désorganisation d’il y a un an.

Le meilleur est en train de faire oublier le pire. Encore faut-il souligner que ces opérations, qui changent radicalement la donne, ont été menées à la seule initiative de l’armée et de ses responsables.

Cela faisait plusieurs mois que les populations évacuées du Nord interpellaient le gouvernement sur la situation insupportable qui leur était infligée, et ne recueillaient en écho que l’impuissance et l’abandon des responsables politiques de leur pays.

En opposition frontale à Benjamin Netanyahou, le ministre de la Défense Yoav Galant se faisait l’écho de ces revendications, et demandait une initiative politique courageuse à Gaza pour obtenir une trêve négociée et une libération des otages, afin de pouvoir concentrer les efforts sur la menace principale des missiles du Hezbollah pointés sur l’ensemble du territoire d’Israël.

Paralysé par ses préoccupations à court terme de survie politique, le gouvernement Netanyahou se montrait sourd à ces attentes et tergiversait, en essayant de surcroît de faire porter la responsabilité de son inefficacité à l’armée et ses chefs.

Dans la suite logique de ce comportement, le Premier ministre avait décidé de démettre Yoav Galant de ses fonctions pour le remplacer par Gideon Saar, un politicien dénué d’expérience militaire, mais ayant largement témoigné de sa capacité à se vendre politiquement au plus offrant. C’est précisément à ce moment que les militaires ont saisi ce qu’ils ont senti comme l’opportunité de déclencher l’offensive qui allait pouvoir affaiblir le Hezbollah, réussissant ainsi à s’assurer le ralliement des politiques hésitants.

En Israël, Benjamin Netanyahou est connu comme l’expert particulièrement habile à faire porter le chapeau de ses échecs aux autres et à mettre à son seul crédit les succès obtenus. Aujourd’hui son image d’homme fort sort renforcée. Il fait la démonstration qu’il peut berner et manipuler son principal allié américain sans en subir de conséquences en retour, alors que ses opposants politiques sont incapables de proposer des options politiques et stratégiques alternatives crédibles. Il semble ainsi être en mesure d’assurer son avenir politique jusqu’aux échéances électorales de 2026.

Mais rien ne change véritablement au fond. Netanyahou cherche un répit mais pas de solutions. Par nature et par doctrine, le gouvernement israélien actuel n’a aucune intention de s’engager dans une stratégie de recherche à long terme de réponse équitable à la cause principale de ce conflit, c’est-à-dire les revendications nationales palestiniennes.

S’il y a un large consensus national en Israël pour affaiblir durablement, autant que faire se peut, les menaces militaires et terroristes à ses frontières, et si la conception sécuritaire limitée au court et moyen terme est partagée par une partie de l’opposition, il n’y a pas de consensus sur les étapes qui pourraient suivre.

Les derniers jours sont les témoins d’une escalade militaire significative : incursion terrestre de l’armée israélienne au Sud-Liban, nouvelle salve massive de missiles balistiques iraniens sur le territoire d’Israël. La question est désormais posée de savoir si ce conflit va rester dans des limites contenues ou si l’enchaînement des répliques va devenir incontrôlable.

Pour redresser son image, le pouvoir iranien est tenté par des attaques militaires d’ampleur, même si elles montrent en même temps leurs limites et leur relative inefficacité. Face à l’opportunité qui lui est offerte d’utiliser sa supériorité militaire pour affaiblir durablement le régime des mollahs, le gouvernement Netanyahou saura-t-il écouter les recommandations des soutiens qu’il lui reste, en particulier américains, afin que ses répliques soient suffisamment ciblées pour affaiblir le régime iranien actuel, sans s’aliéner en même la population iranienne, avec les conséquences incontrôlables qui pourraient en découler ?

Face à ce conflit déclenché par ses alliés du Hamas et du Hezbollah le régime iranien se trouve devant un dilemme. Une riposte d’ampleur de sa part porte le risque de son anéantissement à court terme. Une riposte mesurée fait la démonstration au monde des limites de ses capacités de nuisance. La fuite en avant nucléaire lui étant interdite, il signera de toute façon à moyen terme sa perte d’influence et de pouvoir.

Mais ces possibles évolutions stratégiques de la menace iranienne vont mettre également au pied du mur un gouvernement israélien nationaliste de droite extrême qui devra adapter ses réponses en évaluant prudemment les conséquences. Une fois que sa situation militaire régionale sera rétablie et confortée, la raison d’être et la survie de ce gouvernement restent basées sur la perpétuation éternelle d’un conflit entretenu conjointement par ses adversaires et par lui-même, et qui lui permet de continuer la colonisation rampante de la Cisjordanie.

Les pressions internationales, en particulier américaines, sont impuissantes quand Israël peut exciper de menaces réelles sur sa sécurité. Mais si la perspective de ces menaces commence à s’estomper, il sera impossible à Israël d’ignorer ces pressions pour que le conflit israélo-palestinien trouve une solution pérenne et qu’une des principales sources d’instabilité de cette région soit enfin traitée.