La gauche est-elle nécessaire à une démocratie libérale? edit
Les partis de gauche non communistes sont en crise profonde pour une raison congénitale qui s’aggrave depuis la chute du Mur et de la soi-disant supériorité du socialisme sur son contraire.
Le régime que le socialisme veut remplacer est la société fondée sur les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui implique la démocratie politique, l’économie de marché et l’État de droit. Capitalisme est le mot choisi par les marxistes afin de d’imposer l’idée que cette société assure la domination totale des capitalistes de la classe des détenteurs des capitaux et des moyens de production. Le mot socialisme signifie tout au contraire que la société doit se rendre collectivement maîtresse des moyens de production et d’échange, qui étaient jusque-là propriété privée, pour les mettre au service de toute la société.
Les partisans du socialisme qui se veulent partisans de la démocratie pensent que les deux termes sont compatibles, et les associent dans le vocable « social-démocratie ».
Mais une démocratie aussi sociale que politique est-elle concevable ?
Oui, mais à une seule condition : que le peuple soit homogène à tous égards, qu’il n’y ait donc plus en son sein de groupes particuliers. À cette condition, que le kibboutz a pu réaliser à son échelle et pour un temps, une démocratie politique et sociale est concevable. Mais cette démocratie sociale qui est le coeur de l’idée socialiste va à l’encontre du droit de propriété privée qui est inscrit dans les Déclarations des droits de l’homme.
C’est la raison pour laquelle Marx combat cette Déclaration dès 1844. Il ne nie d’ailleurs pas que la propriété privée individuelle soit la base sociale de la liberté individuelle : il estime simplement que le temps de la propriété individuelle et de la liberté individuelle est passé, du fait de la grande production.
La contradiction pathologique qui mine la gauche non communiste oppose son rêve socialiste et son acceptation de la démocratie libérale. La démocratie libérale est démocratique au niveau politique et particulariste au niveau de la société civile. C’est une démocratie qui reconnaît l’existence et l’expression publique légitime de groupes particuliers au sein de la société civile. La démocratie libérale reconnaît les différences entre les sexes, entre les sexualités, entre les croyances, entre les origines, et, bien entendu entre les classes sociales.
La gauche qui se voudrait libérale ne peut donc pas l’être tant qu’elle tend au pouvoir exclusif d’une seule classe sociale, et plus précisément à la disparition des propriétaires privés, et plus globalement à la disparition des particularismes. En revanche, si la gauche rompt jusqu’au bout avec le socialisme, elle a un double rôle à jouer au sein de la démocratie libérale et d’une société composite et hétérogène.
Sur le plan social, la gauche a mission de représenter les intérêts de ceux qui sont victimes d’un rapport de forces inégal sur le marché du travail, et au-delà. Car le marché n’est pas conforme à son idéal, et il existe en son sein des rapports de force qui le surdéterminent et dont la société doit contrecarrer les effets indésirables. John Rawls est l’un des théoriciens de ce libéralisme de gauche.
L’autre mission de la gauche se situe sur le plan sociétal. Elle se fait l’avocate de l’évolution des mœurs vers une plus grande liberté individuelle, face à d’autres composantes de la société qui sont plus attachées à la conservation qu’à l’évolution. Il n’est pas dit qu’il y ait forcément coïncidence entre les deux missions. Il n’est pas dit non plus que la gauche ait forcément raison et que les autres groupes aient forcément tort. Mais il est certain que la démocratie libérale n’est viable que si toutes ses composantes ont les moyens de faire entendre leurs particularismes. Loin d’être une contradiction dans les termes, la gauche libérale doit se faire entendre au sein de la démocratie libérale, sur les plans où le clivage gauche/droite se révèle pertinent, à côté d’autres clivages.
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