La réalité du plan Juncker edit
Dans un article récent de Telos ("Le mirage du plan Juncker"), Charles Wyplosz formule quelques critiques sur le plan d'investissement pour l'Europe, plus connu comme Plan Juncker. Celles-ci peuvent se résumer en trois points.
1. Très peu d'investissements ont des retombées sociales et économiques positives. Les projets plus risqués ne seraient pas généralement plus productifs.
2. Seul le secteur privé sait évaluer le risque et il n'y aurait pas de faible propension à investir de la part des acteurs économiques privés : ils investissent tout simplement quand il y a une opportunité.
3. Sans l'augmentation du pouvoir d'achat des consommateurs et le nettoyage des « NPLs » (prêts non performants), il ne peut y avoir une stimulation de l'investissement.
Tout d'abord, le plan applique une logique bancaire sur laquelle nos économies sont fondées : il n'y a pas de miracle.
On est aujourd'hui dans un contexte très particulier où la faiblesse des taux d'intérêt et la reprise de la croissance ne sont pas accompagnées d'une reprise de l'investissement (au moins tel qu'il a repris dans la moyenne historique des crises financières précédentes). Les raisons seraient multiples: incertitudes quant à la croissance future de l'Europe, préférence pour les actifs plus liquides (bonds), pénurie de projets d'investissement prês à commencer (shovel-ready) après des années d'atonie…
En même temps, les PME ont souvent un accès plus difficile aux financements, en raison du poids de l'intermédiation bancaire en Europe et d'une situation financière où les banques poursuivent leur effort de deleveraging (réduction de l’effet de levier).
Le pari du plan Juncker est de réduire le risque pour les acteurs privés dans trois domaines: diminution du risque financier avec des instruments concrets de la BEI, aide à la mise en place des projets avec l'assistance technique, diminution des barrières administratives et de régulation.
Regardons de plus près quelques éléments:
Volume et qualité des investissements et retombées positives des projets
Tous les investissements ne sont pas les mêmes. Si l'on regarde par exemple les dernières données du FMI sur les investissements en Chine, on constate une efficacité de plus en plus faible : pour générer 1RMB du PIB en Chine, 3RMB d'investissement ont été nécessaires en 2007, mais 6RMB en 2015. On peut conclure que la problématique de l'investissement n'est pas uniquement une problématique de volume mais également de qualité.
Il y a des projets qui ont des externalités positives sur la société et l'économie et qui peuvent augmenter la croissance potentielle : infrastructures, digitalisation, etc. Ceci est un aspect fondamental des théories de la croissance économique. Les investissements qui ont donné lieu à l'internet seraient un cas paradigmatique mais tout simplement la transformation économique d'un village grâce au déploiement de la fibre haut débit présente un exemple évident.
L'action publique peut aussi accélérer l'adoption des technologies nécessaires pour faire face aux défis futurs qui peuvent avoir des coûts financiers: par exemple le changement climatique. Un bon exemple dans ce sens-là est le projet d'économie circulaire financé par le FEIS (Fonds Européen des Investissements Stratégiques). Il s'agit d'une usine en France (ECOTITANIUM) qui recycle le titanium des avions qui ne sont plus utilisés. Il s'agit ici d'un projet qui faute d'équivalents dans le passé, avait des soucis à trouver des financements. Ce premier exemple ouvre la voie à d'autres.
Que se passe-t-il si les projets échouent? Il y a aussi des bénéfices, pas que des pertes.
Charles Wyplosz signalait que quand les projets échouent, la facture est à la charge du contribuable. Mais il n'y a pas que des pertes mais aussi des bénéfices (comme dans tout investissement). D'ailleurs, pour le moment, après deux ans et plus de 30 milliards d’euros engagés, il n'y a pas eu d'utilisation du budget européen. Ce système est une bonne exploitation du budget européen, car la garantie de l'Union est rémunérée.
La BEI est notée triple A. Ils ont une expérience avérée pour mesurer le risque. La BEI fait une évaluation normale de la prime de risque et la part correspondant à la couverture de ce risque est affectée au budget européen. Le fonds de garantie vise à couvrir le scénario négatif et non le scénario central (avec une rémunération normale du risque, les revenus et pertes devraient s'équilibrer). Caractère innovant de l'approche: nous aidons à générer 315 milliards d'investissements en mettant seulement 2,5% de ce montant sur la table (une garantie de 16 milliards préfinancée à 50%), avec un focus sur l'additionalité des investissements.
Au secteur privé de financer ce qu'il peut financer tout seul : le Fonds Européen des Investissements Stratégiques n'intervient que pour attirer les investisseurs privés dans un projet. Comme en plus le financement des 8 milliards a été fait essentiellement en « re-routant »des enveloppes de subvention, nous sommes passés de mesures budgétaires ayant un effet de levier de 1 à 3 (moyenne observée pour les subventions) à un effet multiplicateur (observé et confirmé) de 15.
Le problème n'est pas de mesure mais de volonté actuelle à prendre des risques.
La Commission pousse pour d'autres actions politiques complémentaires de relance de l'investissement, pas uniquement le Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques.
Finalement, il n'y a pas de contradiction entre le plan et d'autres mesures politiques comme le craignait Charles Wyplosz.
Un pillier auquel on s'intéresse moins dans le plan d'investissement est le troisième: l'action pour lever les barrières à l'investissement. Pour la mise en place du plan, on rencontre des barrières administratives et de régulation aussi bien au niveau européen que dans les Etats membres.
Par exemple, les efforts pour promouvoir un système financier plus solide (Banking Union, CMU,…) sont évidents. Toutefois, ils doivent continuer. On serait d'accord avec l'auteur qu'un assainissement complet du secteur bancaire européen et un plus grand revenu disponible des ménages donnerait un environnement plus propice à la croissance.
Quant aux Etats membres, un exemple très clair est le manque de coordination entre les différents niveaux de l'administration dans certains d'entre eux et le manque de capacités techniques pour mettre en place certains projets d'investissement.
Une des barrières dont on ne parle pas souvent est le besoin d'une offre constante et attractive de projets prêts pour accueillir des investissements. Est-ce qu'il y a des projets suffisants pour absorber une éventuelle expansion fiscale? Mettre en place des projets d'investissement peut prendre un certain temps, voire des années. Une très forte augmentation du volume de financement risquerait de faire face à un nombre de projets insuffisants.
Un gros programme de subventions aurait un autre problème: à quoi bon faire financer par le contribuable sans aucun retour (bénéfices) des choses qui auraient pu être payées par le secteur privé?
Conclusion
Il y aurait plusieurs raisons qui justifieraient le plan Juncker au-delà des promoteurs qui en bénéficient : accélération des investissements qui visent le changement climatique, création d'emplois soutenables, une plus grande efficacité de la dépense publique…
La condition nécessaire pour optimiser ses résultats est claire: le plan d'investissement pour l'Europe doit se concentrer sur les investissements techniquement et économiquement viables qui ont le potentiel d'augmenter la productivité totale des facteurs et que le secteur privé ne réalise pas.
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