Le chagrin de Jean-Luc Mélenchon edit
Jean-Luc Mélenchon a pris le deuil d’Hugo Chavez. On pourrait mettre sa cravate noire et ses yeux rougis sur le compte de son goût de la mise en scène et ne voir là que ficelle politicienne dans son registre habituel de la provocation et de l’emphase. Ce serait une erreur car le De Profundis entonné en l’honneur du Commandante nous dit beaucoup de choses sur le co-président du Front de Gauche lui-même. Prenons-le donc au sérieux, au moins un instant.
Jean-Luc Mélenchon reconnaît en Chavez son mentor. « Il a ouvert un nouveau cycle pour notre siècle, celui de la victoire des révolutions citoyennes » et a apporté une contribution décisive « à la lutte socialiste de notre siècle ». « Ce qu’est Chavez ne meurt jamais. C’est l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste, de la Révolution », s’écrie-t-il. Son immense contribution est double : « il a fait progresser de manière considérable la démocratie » et il a fait reculer la pauvreté de manière spectaculaire. Revisitons ces deux exceptionnelles réussites dont le leader du Front de Gauche appelle les gouvernements européens à s’inspirer.
Le progrès de la démocratie d’abord. Quel progrès ? Chavez a été le leader populiste d’une démocratie plébiscitaire, détestant les corps intermédiaires et privilégiant le rapport direct entre le chef et le peuple. Cette sorte de péronisme s’appuyait comme lui sur la caste militaire. Chavez, qui appartenait à celle-ci, était un adepte du coup d’État, comme l’a montré son putsch raté de 1992 qui lui valut deux ans de prison, prison d’où il lança un appel à l’insurrection. Son respect de la Constitution a été à éclipse, notamment lorsqu’il a tenté et réussi, à l’aide d’un référendum-plébiscite, à obtenir la possibilité de se représenter à la présidence alors que la constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Jean-Luc Mélenchon considère comme un grand progrès démocratique l’instauration de référendums révocatoires qui permettent aux citoyens de renvoyer leurs élus. Qu’il s’agisse là d’un progrès de la démocratie est cependant fort discutable. Comme toujours dans ce type de régime, Chavez a porté à son plus haut degré le culte de la personnalité (affiches et photos nombreuses et immenses, meetings de masse où des foules enfiévrées acclament le Commandante).
Chavez ne s’encombrait pas des circuits administratifs et officiels pour distribuer sa manne aux pauvres. Il attribuait lui-même directement et arbitrairement l’argent ou les logements. On imagine facilement la part du clientélisme et de la corruption dans un tel système. Le Chavézisme était ainsi un paternalisme à l’échelle du pays.
Comme dans tous les modèles « révolutionnaires » le régime n’a pas d’adversaires mais seulement des ennemis, suppôts de l’impérialisme, traîtres et apatrides. Des ennemis qui n’inspirent que la haine, sentiment qui anime également Mélenchon : « Les cendres de Chavez sont chaudes, sont brûlantes, et nous avons au cœur non seulement l’idée que nous continuons ce combat mais la haine intacte que nous avons contre les puissants et les puissances. » Cette haine, qui semble être son principal aiguillon politique, Mélenchon la dirige d’abord contre la Social-Démocratie, « l’infecte Social-démocratie » comme il s’écrie, renouant ainsi avec le léninisme de sa jeunesse. D’un embaumement à l’autre, son parcours présente ainsi une réelle continuité si l’on fait abstraction de son étrange détour de jadis par le socialiste démocratique.
Mélenchon ne souligne pas en revanche que son mentor avait une prédilection pour les régimes les pires du monde en matière de despotisme et de privation des libertés : l’Iran d’Ahmadinejad, la Libye de Kadhafi, la Syrie d’El Assad et le Cuba de Castro. Il devrait pourtant se demander pourquoi c’est avec ces régimes que Chavez avait établi des relations privilégiées. Il ne fait pas non plus référence au taux fantastique et croissant de la criminalité au Vénézuela, qui a connu 16 000 homicides en 2012 – un record en Amérique du sud. Tel est l’Eldorado qu’il nous donne en modèle !
La situation économique et sociale ensuite. Certes, la pauvreté a diminué. La raison en est simple. Le Vénézuela, contrairement à la France, possède des réserves de pétrole parmi les plus importantes au monde et, en quelques années, le prix du baril a été multiplié par huit. Le Vénézuela de Chavez est devenue une économie de la rente pétrolière. Les immenses ressources de l’or noir servent ainsi à augmenter le niveau de vie d’une partie des classes les plus pauvres. Tant mieux. Mais à quel prix ? D’abord, le socialisme chavézien, anticapitaliste et anti-impérialiste, a purement et simplement sinistré l’économie vénézuélienne. Le pays compte deux fois moins d’entreprises qu’il y a dix ans. Les investisseurs ont fui le pays. Des millions d’hectares ont été expropriés et beaucoup sont en friche. Le pays qui exportait jadis tabac et fruits importe désormais 70% de la consommation des ménages. Le taux de pauvreté du Brésil « libéral », de 30% supérieur il y a encore 10 ans à celui du Vénézuela est aujourd’hui presque au même niveau. Les expropriations arbitraires ont provoqué, avec la corruption, le gaspillage et le mauvais entretien des infrastructures publiques, des gênes croissantes pour la vie quotidienne, telles les coupures fréquentes d’eau et d’électricité. L’inflation a atteint 35% tandis que la dette passait de 28 à 130 milliards et que le déficit atteignait 7% du PIB.
Le pétrole constitue désormais 96% des exportations en valeur. Néanmoins, la production et les exportations ont baissé significativement et le mauvais état des raffineries a rendu indispensable l’appel aux grandes compagnies pétrolières internationales, honnies mais… installées dans le pays. Une part importante de la population vit ainsi de la seule exploitation de la rente pétrolière tandis que les investissements sont en panne. On comprend les liens privilégiés avec la Libye de Kadhafi et l’Iran, pays qui vivent de la même rente, pour maintenir au plus haut le prix du baril de pétrole ! Certes, l’importance des réserves pétrolières permet de continuer ainsi mais en transformant une partie croissante du peuple vénézuélien en clients et assistés.
Mélenchon nous donne en exemple le Vénézuela de Chavez qui « contrairement à la France a fait reculer la pauvreté ». Ceux qui connaissent les deux pays apprécieront la plaisanterie. Tel est le modèle que notre chavéziste national entend substituer chez nous à l’ « infecte social-démocratie ». Nous ne nous y rallierons pas, quitte à le priver, le jour venu, de son propre embaumement.
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