Le congrès de Manuel Valls edit
Chacun se demandait à quoi pourrait bien servir le congrès socialiste de Poitiers puisque tout était déjà joué avant même qu’il ne soit officiellement ouvert. Manuel Valls a donné sa propre réponse à cette question. Profitant précisément de cette absence d’enjeu, il a créé l’événement: ce congrès serait le sien!
Son congrès, d’abord, car il a donné avec force sa propre interprétation de la motion majoritaire. Martine Aubry y voyait une demande de réorientation de la politique gouvernementale. Jean-Christophe Cambadélis y voyait une habile synthèse entre les défenseurs et les adversaires de cette politique. Manuel Valls a ramassé la mise en faisant comme si ce texte n’était que la traduction politique de la politique menée par le couple de l’exécutif. Puisqu’il fallait bien donner une interprétation positive à la motion majoritaire, pourquoi pas celle-là ? Les acclamations qui ont accueilli son discours semblent montrer que la plupart des délégués n’ont pas voulu le contredire sur ce point.
Le succès personnel du Premier ministre n’allait pourtant pas de soi. Tout avait été fait au contraire pour le mettre politiquement sous contrôle. La solution consistait à l’isoler du président de la République en exprimant un soutien massif à ce dernier et en l’appelant ouvertement à se représenter en 2017. Or Manuel Valls a su habilement retourner la situation en sa faveur. Sachant que nombreux sont ceux qui dans le parti souhaitent une nouvelle candidature du président de la République pour contrer sa propre candidature éventuelle, il les a pris à contre-pied en se posant comme le principal soutien du président et en le faisant ovationner longuement par une salle bien disposée à son égard.
Il sait que la très faible popularité de François Hollande et l’avantage que les sondages lui donnent sur ce dernier dans les souhaits de candidature socialiste pour 2017 l’obligent à être d’une prudence extrême et à ne pas jouer, comme Michel Rocard contre François Mitterrand avant 1981, une stratégie d’empêchement. Il sait que la décision de François Hollande n’appartient désormais qu’à lui-même. Que ce dernier se représente ou pas, Manuel Valls ne doit pas apparaître comme ayant joué un rôle d’empêcheur de cette décision. Si François Hollande renonçait finalement, il serait alors bien placé pour être le candidat du parti. Il doit donc cacher son ambition derrière celle du président. C’est ce qu’il a fait habilement à Poitiers, recueillant du coup pour lui-même une part des applaudissements adressés à ce dernier.
Son congrès, ensuite, parce que les Frondeurs n’ont pu que répéter leur demande de réorientation politique, mais avec moins d’espérance. Ils ont payé ainsi le prix de leur principale erreur : sous la Ve république, le parti ne peut être ni l’acteur décisif pour la fixation de la ligne gouvernementale ni le lieu de l’opposition politique à son propre gouvernement. Que pesait samedi le chef des frondeurs face à un Premier ministre très en forme et combatif, faisant applaudir avec insistance le président de la République ? Manuel Valls a rappelé à son parti que, pour lui, l’exercice du pouvoir était essentiel. Et, devant les applaudissements de la salle il apparaissait clairement que, même s’il n’en a pas toujours pleinement conscience et qu’il semble, parfois, le vivre à regret, le Parti d’Epinay a depuis 1981, dans son code génétique, d’être un parti de gouvernement. S’il cessait de l’être, il dépérirait.
Son congrès, enfin, parce que, malgré certaines concessions, le plus souvent de forme, dans son discours, le Premier ministre a défendu brillamment sa politique qu’il ne distingue pas de celle du président. Une fois n’est pas coutume dans un congrès socialiste ce discours dépassait largement les limites de l’hexagone pour se hisser à la hauteur des grands enjeux mondiaux, replaçant la France dans un monde en changement rapide et de plus en plus dangereux. Tout en insistant – peut-être trop – sur la grandeur et le rôle de la France, il a clairement appelé à poursuivre la construction européenne. À l’intérieur, il a à nouveau affirmé la nécessité d’aider les entreprises et de gagner la bataille de la compétitivité sans céder aux appels à abandonner la politique de l’offre. Il a ainsi donné l’impression de ne pas faire de compromis excessifs avec l’orientation de sa politique. De cette manière, les applaudissements nourris qu’il a reçus à la fin de son discours peuvent être interprétés par lui, sinon comme un accord total avec celle-ci, au moins comme l’expression d’une large volonté de rassemblement derrière ceux qui la mènent.
La nature ayant horreur du vide, en politique comme ailleurs, Manuel Valls s’est imposé en chef de guerre en se situant comme l’adversaire direct de Nicolas Sarkozy, l’attaquant aussi violemment que celui-ci avait attaqué son gouvernement, opposant sa conception de la République et sa vision de la politique à celles de l’ancien président. S’il a clairement distingué l’ennemi, le Front national, de l’adversaire, les Républicains, il n’en a pas moins fait de Nicolas Sarkozy sa cible principale, encourageant les socialistes à partir au combat et leur proposant de les y conduire.
Certes, les applaudissements nourris qui ont ponctué son discours ne signifient pas que le parti est désormais rassemblé derrière lui pour livrer cette bataille. Les Frondeurs ont fait à nouveau entendre leur petite musique et planté leurs banderilles. Certes, ils ont refusé de signer « l’appel au peuple de France » proposé par le Premier secrétaire. Ils entendent ainsi conserver leur statut d’opposants dans le parti. Certes enfin, Arnaud Montebourg s’est rappelé au bon souvenir des socialistes en éreintant de l’extérieur du parti la politique gouvernementale, volant pour un moment à Nicolas Sarkozy le rôle de l’opposant principal au pouvoir socialiste. Mais, la majorité refusant de prendre en compte dans cet appel les conditions posées par les Frondeurs, la ligne séparant la nouvelle majorité de la nouvelle opposition, de floue qu’elle était s’est du coup éclaircie.
Or, cet éclaircissement joue dans le sens d’un rapprochement entre la majorité et le gouvernement et son chef. En répondant simultanément et avec fermeté à Arnaud Montebourg, le chef du parti et le chef du gouvernement ont nécessairement renforcé leur complicité. Manuel Valls a cessé d’être le junior partenaire de la nouvelle majorité même s’il est encore loin d’en être le leader reconnu. En outre, la réactivation du combat gauche/droite dans le pays affaiblira nécessairement l’impact des Frondeurs dans le parti et réduira nécessairement la tolérance de l’organisation aux attitudes d’un Arnaud Montebourg ou d’autres. Dans ce combat, nul doute que Manuel Valls aura sa place aux côtés du Premier secrétaire et derrière le président de la République. Juste derrière !
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