Le Parti socialiste face à l’engagement pro-européen de François Hollande edit
Il ne faut pas s’y tromper, le président de la République a prononcé un discours important au Parlement européen le 7 octobre 2015. Angela Merkel et lui, mettant leurs pas dans ceux de Helmut Kohl et François Mitterrand, ont publiquement et fortement affirmé que le chemin tracé il y a 26 ans dans le même lieu était bien celui que qu’ils voulaient suivre: la construction d’une fédération d’Etats-nations européenne, formule lancée alors par Jacques Delors, fondée sur l’entente franco-allemande. François Hollande, confirmant ainsi ses engagements de jeunesse lorsqu’il travaillait avec ce dernier, s’est enfin débarrassé des ambiguïtés politiciennes qui embrouillaient parfois ses déclarations sur l’Europe. Comme libéré des contraintes qui ôtaient de la clarté à ses discours, étant rassuré sur la question de sa future candidature présidentielle, il a fait ce qu’un président doit faire : montrer le chemin.
Cette action était d’autant plus nécessaire et courageuse que face aux multiples défis qui se dressent devant l’Union européenne, et notamment celui du phénomène migratoire, alors qu’un vent de scepticisme, pour ne pas dire d’hostilité, à l’égard de l’Europe souffle sur notre continent et que resurgit la tentation du souverainisme national, François Hollande a affirmé clairement son engagement européen. Il a ainsi déclaré : « la conviction commune de François Mitterrand et d’Helmut Kohl, c’était de bâtir une union politique ». François Mitterrand « avait dit que le nationalisme, c’était la guerre. Cet avertissement vaut encore aujourd'hui. Et je vais ajouter, si je puis dire, un codicille ou un complément : le souverainisme, c’est le déclinisme. Et c'est aussi dangereux de ne pas donner d'espoir à une population, de ne rien construire ensemble au nom d'un repli national sans avenir. Face aux épreuves, je suis convaincu que si nous n'allons pas plus loin, alors non seulement nous nous arrêterons, mais nous reculerons. Et ce sera la fin du projet européen ». Il propose ainsi la consolidation et le renforcement de la zone euro.
Surtout, alors qu’il se montrait jusqu’ici très prudent en la matière, il a déclaré : « des choix institutionnels seront nécessaires pour que la zone euro soit gouvernée, pour que les règles soient respectées, pour que la solidarité puisse bénéficier à tous. Ces choix engageront les États volontaires. Le Parlement européen exercera son contrôle et garantira la cohérence d’ensemble d’une Europe qui progressera selon une intégration différenciée ». Et comme pour synthétiser ce qui fonde sa démarche, il a ajouté : « il n’est d’autre solution qu’une Europe forte pour garantir notre souveraineté ».
Cette idée fondamentale selon laquelle ce n’est pas dans le cadre national que notre souveraineté peut être préservée et accrue mais dans le cadre européen trace la ligne de partage entre les européistes et les eurosceptiques. C’est sur cette conviction que se fonde, chez le président français comme chez la chancelière allemande, la nécessité de développer l’entente et l’action du couple franco-allemand. « Moi, j’ai fait mon choix, a conclu François Hollande : c’est celui de l’Europe. Je l’ai fait avec la volonté sur chaque question de rechercher, autant qu’il est possible, des compromis les plus élevés, et c’était le sens de la coopération que nous avons nouée avec Angela Merkel et l’Allemagne, pour être avec nos partenaires à la hauteur des défis du siècle ». Ce choix est aussi le nôtre et nous ne pouvons que nous réjouir de cette résolution et l’appuyer.
Ce faisant, cependant, François Hollande a implicitement admis que désormais, le clivage qui sépare les partisans et les adversaires de la construction européenne est devenu le clivage politique principal. En faisant d’Angela Merkel, leader de la droite allemande, sa partenaire principale pour réaliser son objectif central, il cesse de donner la priorité au clivage gauche/droite dans la mesure où la réactivation de ce clivage implique l’alliance au sein de la gauche, entre européistes et souverainistes nationaux. Comment la gauche française réagira-t-elle à un tel choix stratégique ?
Au cours de la dernière période, le Parti socialiste a centré une part de son discours contre l’Europe libérale allemande et contre la vision économique de la chancelière. Par ailleurs, le Premier secrétaire du parti a donné la priorité à la refonte de l’unité de la gauche. Or Jean-Luc Mélenchon, principal partenaire électoral éventuel du parti socialiste, n’a cessé – son livre récent, Le Hareng de Bismarck, outre son caractère injurieux pour l’Allemagne d’Angela Merkel, l’explicite clairement – de faire de celle-ci l’adversaire principal. Certes, le positionnement du Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, à la veille des élections régionales est largement tactique. Mais si, dans son rapport avec les autres formations de gauche, la position de son parti sur l’Europe n’est pas éclaircie, le fossé entre le pouvoir socialiste et le parti socialiste ne pourra que s’élargir, le premier donnant la priorité à l’axe franco-allemand tandis que le second, en privilégiant l’union de la gauche, sera amené à critiquer fortement la politique allemande, au point même que la contradiction entre ces deux liges deviendra ingérable politiquement.
Comment alors préparer dans de bonnes conditions l’échéance capitale de 2017 ? A force de se considérer comme « aux côtés du pouvoir » plutôt « qu’au pouvoir », le Parti socialiste risque fort de se retrouver « en dehors du pouvoir » alors qu’en même temps, le Premier secrétaire du parti socialiste souhaite que François Hollande se représente en 2017. Lorsque la tactique l’emporte sur la stratégie, l’échec à terme est assuré. Le Parti socialiste, s’il souhaite vraiment la réélection de François Hollande, ferait mieux rapprocher ses vues de celles du président en matière européenne.
Ce qui se passe aujourd’hui au sein de la Social démocratie européenne pourrait le faire réfléchir. Chez les quinze plus anciens membres de l’Union européenne, les socialistes participent au pouvoir dans sept d’entre eux : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Luxembourg. En dehors de la France, les socialistes y gouvernent partout au sein de coalitions avec les droites et centres pro-européens ou avec leur soutien comme en Suède. Partout, ils ont préféré ce type d’alliances aux alliances à gauche. Le Parti socialiste portugais, pour son compte, a déclaré, au lendemain des récentes élections, qu’il préférait être dans l’opposition plutôt que de gouverner avec les deux partis de gauche antieuropéens, partis qui, par ailleurs, comme en France, ne le souhaitent pas. Nous verrons quel type de compromis les socialistes portugais passeront avec la droite si celle-ci forme, comme il est probable, le prochain gouvernement. Dans les sept autres pays, la social-démocratie est dans l’opposition et risque d’y demeurer un certain temps, notamment en Grande-Bretagne. Ce qui signifie qu’à l’exception de la France – mais pour combien de temps ? – les socialistes ne peuvent gouverner dans ces quinze pays qu’en alliance avec la droite libérale et européenne. L’autre option est l’opposition.
On le voit, il est temps que le Parti socialiste français réfléchisse à frais nouveaux à ses choix stratégiques pour l’avenir. Certes, la question qui se pose à lui dans l’immédiat n’est pas celle d’une alliance avec la droite, alliance qui de toutes manières est rendue presque impossible avec le mode de scrutin majoritaire à deux tours. Mais selon qu’il fera ou non le choix de demeurer dans l’avenir un parti de gouvernement, il lui faudra trancher dans un sens ou dans l’autre la question du clivage principal. François Hollande et son gouvernement l’ont tranché dans le sens de la priorité européenne. Son parti adhèrera-t-il clairement ou non à ce choix ?
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