Leçons des élections (IV) edit
Le premier tour des élections législatives a confirmé la domination des deux grands partis de gouvernement sur le système politique français. Pour la troisième fois consécutive, ils ont rassemblé à eux deux près des trois quarts des suffrages exprimés et obtiendront plus de 90% des sièges au second tour de scrutin. La tentative des deux Fronts, celui de gauche et celui de droite, d’entamer ce duopole a été réduite à néant.
Le PCF a souffert de la stratégie du Front de gauche et n’est pas sûr d’obtenir un groupe parlementaire tandis que le Front national, malgré les trois petites dizaines de triangulaires qui feront perdre quelques circonscriptions à l’UMP, a perdu son pari de faire éclater ce parti. Il obtiendra dimanche prochain entre zéro et trois députés. L’UMP n’a pas besoin de changer fondamentalement sa stratégie à l’égard du FN même s’il est tenté de droitiser son discours. Le Front national en revanche va devoir s’interroger sur une stratégie qui du point de vue de la conquête de sièges demeure désastreuse et le tient à l’écart des responsabilités.
Quant au Modem, il finit sa course épuisé, apportant une fois encore la démonstration que dans notre système politique, le centre est voué à la disparition si il refuse des alliances à droite ou à gauche. Seul les Verts tirent leur épingle du jeu grâce à un accord avec le PS sans lequel rien n’est possible.
Pour François Hollande, ce premier tour représente une victoire stratégique de première ampleur. Son parti reste dominant sans qu’il perde les alliés qui lui sont nécessaires pour s’assurer une majorité absolue de sièges. Et face à lui, l’isolement de l’UMP, même si celui-ci se dégage pour une bonne part de la menace frontiste, lui donne un avantage considérable. La comparaison des scores des deux grands partis, chacun un tiers environ des suffrages exprimés, est, de ce point de vue, trompeuse. Enfin, l’élimination de Jean-Luc Mélenchon écarte le danger d’un tribun populaire qui aurait perpétué la légitimité d’une extrême-gauche active, hostile et tonitruante. Le Parti communiste lui-même, débarrassé d’un leader utile – mais pour quoi faire ? – à la présidentielle, mais nuisible aux législatives, reconsidèrera peut-être la nature de sa relation avec le Parti socialiste. Le Die Linke français est mort dimanche et le PC devra bien en tenir compte.
Si ce premier tour de scrutin est très favorable aux deux grands partis et surtout au Parti socialiste, et si notre système politique permet à la fois l’alternance et la cohérence politique entre l’exécutif et le législatif, tout, pour autant, n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes institutionnels. Par le fait du mode de scrutin comme par celui du calendrier électoral qui transforme les élections législatives en queues de comète de l’élection présidentielle, ces élections sont devenues un scrutin annexe de l’élection présidentielle. Elles ont perdu leur autonomie et du coup une part importante de leur fonction de représentation des opinions politiques des Français. La faible participation de dimanche dernier, la plus faible de la Vè république, confirme cette perte de sens et donc de légitimité du Parlement. Ce phénomène fait ressortir indirectement le caractère bancal de nos institutions. En effet, ce sont les élections décisives dans notre système, celles par lesquelles se réalise ou non l’alternance, qui sont devenues des élections secondaires dans l’esprit et le comportement d’une forte proportion des électeurs. Certes, comme le premier tour l’a montré, une grande partie d’entre eux a voté pour donner une majorité au président, mais beaucoup ont pu ne pas voter dans la mesure où ils refusaient ce choix imposé. Enfin, les électeurs de droite se sont trouvés dans la situation compliquée de ne voter selon leur opinion qu’en prenant le risque d’une cohabitation dont beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas la survenance. Ainsi, les leaders de l’UMP eux-mêmes ont renoncé, après avoir essayé, à appeler clairement à une nouvelle cohabitation dont ils condamnent en réalitéle principe. Enfin, comme d’habitude, près d’un quart des électeurs ne seront pas représentés à l’Assemblée. Si l’on tient compte de ces deux éléments – fort taux d’abstention et effets du mode de scrutin – le dysfonctionnement du système saute aux yeux. Or, mettre fin à ce dysfonctionnement n’est pas simple.
En effet, dans notre système, en élisant un président avant les élections législatives, les Français ne savent pas si, ce faisant, ils élisent celui qui sera le véritable chef de l’exécutif puisqu’ils ne savent pas si ce nouveau président pourra disposer à l’Assemblée de la majorité qui lui est nécessaire pour être ce chef. Nous sommes à la fois dans un système présidentialiste et dans un système parlementaire et la seule manière d’établir une cohérence politique entre les pouvoirs est de faire des élections législatives des élections de confirmation de l’élection présidentielle avec les inconvénients d’un tel système. Or, à part l’instillation d’une dose de proportionnelle qui ne changera pas fondamentalement le fonctionnement du système, il est impossible de modifier celui-ci sauf à le remplacer par un autre, ce dont notre histoire politique a montré la quasi impossibilité.
Avec ce système, il nous faut réaliser en deux élections ce que les systèmes parlementaires réalisent en une seule. Et faire comme si le gouvernement formé à l’issue de l’élection présidentielle sans aucun vote parlementaire, sorte de pur gouvernement présidentiel, devait être confirmé par un vote législatif. Ainsi, dans ce système étrange, ce n’est pas le gouvernement qui procède de l’Assemblée mais l’Assemblée qui doit procéder du gouvernement, le Premier ministre en titre demandant aux électeurs de lui donner une majorité pour pouvoir devenir son chef. Ainsi continuera à fonctionner notre système, avec des élections législatives, élections décisives, qui seront de plus en plus ignorées par les électeurs. Mais c’est le prix à payer pour rendre opératoire le compromis boiteux de 1958 transformé lui-même par l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel et pour ne pas remettre l’ensemble de notre système institutionnel en chantier.
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