Moralisation de la vie publique: le diable est dans les détails edit
Le premier chantier du président Macron est hautement symbolique. Le projet de loi de moralisation de la vie publique, porté par son garde des sceaux François Bayrou, entend prévenir les conflits d’intérêt; mettre un terme aux emplois (présumés) fictifs; combattre la corruption; mais aussi renouveler une Assemblée Nationale jugée trop peu représentative de la société française. Si le projet répond aux attentes légitimes des citoyens en matière de transparence, les conséquences de certaines mesures, bien qu’apparemment consensuelles, méritent d’être examinées car elles pourraient ne pas avoir les effets escomptés.
Les candidats devront présenter un casier judiciaire vierge; une fois élus il leur sera interdit d’embaucher des membres de leur famille ou des proches comme collaborateurs; ils ne pourront exercer plus de trois mandats identiques successifs; de même que leur sera appliquée la loi sur le non-cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale. Par ailleurs, ils ne pourront plus exercer d’activité de conseil parallèlement à leur mandat. L’indemnité représentative de frais de mandat (ci-dessous IRFM) devrait être soumise à l’impôt et leur régime de retraite supprimé. Recentrer le débat sur les éléments de rémunération des parlementaires permet d’y voir un peu plus clair. Rémunérer la fonction de représentant, faut-il le rappeler, est essentiel pour permettre à tous les citoyens de participer; pour attirer des talents et éviter que les parlementaires ne soient la proie des groupes de pression.
L’analyse[1] du budget de l’Assemblée Nationale montre qu’entre 1996 et 2014, la masse des indemnités parlementaires—soit la somme de l’indemnité parlementaire, de l’indemnité de résidence et de l’indemnité de fonction—diminue en termes réels de 13% tandis que celle des dépenses dites de secrétariat parlementaire a connu une augmentation de 10%. Ces dernières dépenses comprennent l’IRFM, les crédits attribués aux collaborateurs des députés ainsi que la contribution aux frais de secrétariat des groupes parlementaires.
L’indemnité parlementaire est calculée en référence au traitement des conseillers d’Etat et son évolution suit celle de la valeur du point d’indice de la fonction publique. L’érosion de cette dernière à partir du début des années 1980 affecte tous les agents de la fonction publique, y compris les parlementaires. Et cela pourrait comporter d’importants coûts sociaux en termes d'attractivité de la fonction de représentant mais aussi en termes d'effort. Dans une certaine mesure, la crise de vocations et de recrutement que connaissent certaines filières ou disciplines de l’enseignement—en partie liée à cette dégradation de la valeur des carrières dans le secteur public—devrait alerter les décideurs, car ce phénomène pourrait concerner aussi les députés.
La baisse du salaire de base (somme de l’indemnité parlementaire, de l’indemnité de résidence et de l’indemnité de fonction) pourrait s’apparenter à une volonté de l’Etat de contrôler la masse salariale. Mais la hausse concomitante des dépenses de secrétariat parlementaire, dont l’usage n’est pas contrôlé, augmente l’opacité, laquelle alimente les fantasmes. Certes les parlementaires ne décident pas de leur indemnité, mais la pension de retraite est, quant à elle, du ressort du bureau de l’Assemblée qui en détermine le montant et les modalités de calcul. Le régime de retraite des parlementaires est très avantageux en raison notamment d’une assiette de cotisation large, du principe de double cotisation, qui fait qu’une année de cotisation compte pour deux (certes, la double cotisation a été supprimée en 2010, mais une année compte toujours pour 1,5 année), et de l’absence de décote. Ces dispositions sont en vigueur alors que la caisse de retraite des députés est déficitaire : une faible part des retraites des députés est financée par leurs cotisations; le reste est financé sur le budget de l’Etat[2].
En utilisant le régime de retraite pour compenser la faiblesse du salaire de base des députés; en ne contrôlant pas l’utilisation de l’IRFM et le crédit collaborateurs—qui peuvent respectivement être affectés à la prise en charge de dépenses personnelles et à l’embauche d’un membre de sa famille—l’Etat se dispense de mener une politique salariale qui permettrait d’attirer talents et compétences et d’inciter au travail.
Or, le travail des parlementaires—légiférer, contrôler l’activité du gouvernement et représenter leurs mandants— est devenu plus lourd, plus complexe et de plus en plus spécialisé. Il semble nécessaire de mieux récompenser leurs efforts, soit en leur accordant des moyens humains supplémentaires; soit sous la forme d’une augmentation de salaire. Une façon simple de le faire, qui répondrait par la même occasion à une exigence de transparence sur la rémunération des représentants, serait d’intégrer l’IRFM (actuellement autour de 5373 euros nets mensuels) dans le salaire de base, tout en alignant son régime fiscal sur celui de l’indemnité parlementaire. De ce point de vue, le projet de loi visant à fiscaliser l’IRFM irait dans le bon sens. Cette intégration dans le salaire de base donnerait plus de cohérence à la référence faite aux conseillers d’Etat: cela permettrait d’aligner les salaires des parlementaires sur les salaires, primes comprises, des conseillers d’Etat. Mais cette modification, qui reviendrait à doubler le salaire de base des députés (actuellement autour de 5783 euros mensuels nets), devrait s’accompagner d’une définition précise des dépenses éligibles à un remboursement, qui se ferait sur factures, comme cela est pratiqué en Grande-Bretagne. Dans ce dernier pays en effet, une autorité administrative indépendante (l’IPSA, Independent Parliamentary Standards Authority. ) a augmenté l’indemnité des parlementaires en échange d’un contrôle très strict de leurs frais de mandat et d’un alignement de leur régime de retraite sur celui des fonctionnaires.
La fin, prévue par le projet de loi, du régime spécial de retraite des parlementaires français serait favorablement accueillie puisqu’elle placerait ces derniers dans une situation comparable à celle de l’ensemble des citoyens ayant fait les frais d’une réforme de leur régime de retraite.
S’agissant des mesures relatives au cumul, la loi de 2014, qui concernera les députés de la prochaine législature, a fini par trancher en interdisant le cumul d’un mandat national avec une fonction exécutive locale ou un autre mandat local. Cela met fin à une pratique, qui était inscrite depuis très longtemps dans la vie politique française, et dont les effets négatifs sur l’assiduité et le travail des parlementaires ont été mis en évidence dans des travaux académiques[3]. Sans aucun doute, l’AN va faire l’objet d’un renouvellement, puisqu’un nombre non négligeable de députés sortants ont choisi de ne pas être candidats.
Si le projet de loi prévoit seulement une interdiction de cumul avec des activités de conseil (actuellement, il est seulement interdit à un député de démarrer une telle activité) c’est bien sûr pour limiter les conflits d’intérêt, mais c’est aussi parce qu’une mesure d’interdiction plus large des cumuls risquerait d’être contreproductive. Actuellement, le député peut, en principe, continuer à exercer comme médecin, commerçant, agriculteur, professeur d’université ou comme avocat, mais pas comme magistrat ou dirigeant dans certaines sociétés, en particulier celles qui comptent l’Etat comme client. Empêcher le parlementaire de mener parallèlement une activité annexe le priverait des bénéfices générés par certaines synergies, en termes de notoriété par exemple, et le conduirait à rechercher d’autres sources de revenus. Ainsi en est-on réduit à comparer deux possibilités: soit on maintient le salaire de base actuel et on autorise les rémunérations annexes (en les plafonnant éventuellement), au risque de continuer à recruter des individus désireux de retirer des gains de cette position politique; soit on interdit le cumul des rémunérations publiques et privées, qui aura aussi un effet sur les candidatures à la députation, et qui expose alors au risque d’attirer de purs lobbyistes « en mission » pendant leur mandat, ou bien de décourager certains professionnels dotés de compétences ou de talents particuliers. En d’autres termes, même si l’interdiction de cumuler s’accompagnait d’une revalorisation de l’indemnité parlementaire, celle- ci ne pourrait pas compenser exactement le manque à gagner de certains professionnels, lesquels pourraient alors se désintéresser de l’exercice d’un mandat politique.
Dans le même ordre d’idée, limiter le nombre de mandats que pourrait exercer successivement un représentant pourrait bien venir contrarier cette volonté de moralisation de la vie politique. D’abord, cette limitation risquerait simplement de heurter la liberté des électeurs souhaitant réélire leur député. Par ailleurs, le représentant est, comme beaucoup de salariés, sensible aux perspectives de carrière. La limitation du nombre de mandats successifs réduira la valeur (actualisée) des salaires et pensions qu’il pourra percevoir, l’incitant à rechercher des moyens de compenser l’arrêt de son activité parlementaire. Là aussi, le projet de loi révèle une certaine prudence en interdisant le cumul de plus de trois mandats successifs de même nature; ce qui témoigne de la complexité de cette question.
Les dispositions visant à instaurer plus de transparence sur la rémunération des parlementaires sont susceptibles de restaurer la confiance des citoyens en leur système politique. Les citoyens seraient peut-être prêts à accepter une revalorisation de la rémunération de leurs représentants, pourvu qu’elle s’accompagne d’un ensemble de règles strictes de remboursement des frais liés à l’exercice de leur mandat et de l’interdiction pure et simple d’embaucher leur conjoint ou un membre de leur famille. Enfin, puisque les citoyens exigent un comportement irréprochable de leurs représentants, il convient aussi de prévenir les conflits d’intérêt et la corruption par la mise en œuvre de mesures de répression sévères en cas de manquements avérés.
[1] 2 Cf T. Jaaidane [2017], « Economie de la représentation nationale et rémunération des parlementaires français», à paraître dans la Revue d’économie politique.
[2] D’après les comptes de résultat de la caisse de retraite des députés, en 1996, le taux de cotisation à la charge du député 7,85% permet de couvrir 13,34% du financement des prestations; les 86,66% étant financés par la collectivité. En 2014, le taux de cotisation à la charge du député était de 8,93% et permettait de couvrir 11,81% des prestations de retraite.
[3] Navarro J., Vaillant N. et Wolff F-C. [2012], « Mesurer l’efficacité des députés au sein du Parlement français: l’apport des techniques de frontières non-paramétriques », Revue française de science politique ; François A. et Navarro J. ed. [2013], Le Cumul des mandats en France: causes et conséquences, Editions de l’université de Bruxelles. Voir aussi Bach [2012], Faut-il abolir le cumul des mandats ?, Presses de la rue d’Ulm, Paris et Bach [2013], Faut-il appliquer aux sénateurs l’interdiction du cumul des mandats?, Note IPP n°7.
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