La peur des primaires gagne le PS edit
Jean-Christophe Cambadélis, lieutenant de DSK, vient de déclarer : « Non seulement Jean-Luc Mélenchon fait de la défaite du PS un choix stratégique. Non seulement les écologistes avec Nicolas Hulot s’éloignent d’un pacte à gauche. Non seulement nous sommes à dix candidats aux primaires socialistes, avec comme conséquence un brouhaha bavard, non seulement les candidatures se multiplient à gauche... Bonjour le deuxième tour s’il y en a un ! » Les primaires socialistes sont-elles devenues pour autant la machine à perdre de la gauche ? Cette interprétation est à bien des égards très contestable.
D’abord, en assimilant la compétition au sein du parti socialiste à une division néfaste, la direction du parti paraît regretter l’adoption de la procédure de la primaire. Elle risque ainsi de se priver du bénéfice que pourrait représenter pour le parti la revendication claire du caractère démocratique et progressiste du nouveau mode de désignation de son candidat, que les électeurs semblent accueillir favorablement. Comment déplorer la multiplicité des candidatures et défendre en même temps l’innovation des primaires sauf, comme Claude Bartolone fut le premier à le faire publiquement, à ne voir dans ce processus qu’une simple ratification par les sympathisants du choix effectué par l’appareil du parti ? Mais c’est alors la nature même de ces primaires qui s’en trouverait fondamentalement modifiée avec pour conséquence probable une perte d’intérêt de la procédure aux yeux des électeurs.
Ensuite, l’assimilation de la « division » du parti à la division de la gauche est fausse dans la mesure où au terme de la primaire il ne restera qu’un seul candidat socialiste en lice alors que l’ensemble de la gauche se présentera, elle, de manière éclatée. En outre, comme cela se passe dans les primaires américaines, il est probable que tous les candidats d’aujourd’hui ne feront pas officiellement acte de candidature en juin prochain.
En troisième lieu, rien ne prouve que la compétition interne ait des effets négatifs sur l’électorat, pour peu que le parti soit capable de l’organiser de manière efficace et de se réunir ensuite autour du candidat désigné. Au contraire, ce candidat bénéficiera alors d’une double légitimité électorale et militante. Une véritable compétition donnera aux sympathisants le sentiment d’avoir joué un rôle réel dans la procédure de désignation et les amènera plus facilement ensuite à soutenir le candidat désigné. Le fait de choisir entre plusieurs options, personnalités et programmes est probablement un avantage et non un inconvénient pour le Parti socialiste qui sortira renforcé s’il se montre capable de maîtriser le double processus de concurrence et de rassemblement. D’autant qu’il est le seul parti à oser une telle innovation. Lorsque Cambadélis comptabilise avec colère et appréhension les « dix candidats aux primaires socialistes », et qualifie au départ la confrontation des propositions de ces candidats de « brouhaha bavard », il fait preuve d’un manque total de confiance dans ce que peut produire cette procédure démocratique et semble dénier aux électeurs la capacité de choisir en connaissance de cause entre les différents candidats et leurs options.
Enfin, une telle réticence à assumer pleinement la logique des primaires signifie que les dirigeants se sentent davantage capables que les sympathisants, c’est-à-dire les électeurs, de choisir le meilleur candidat possible pour gagner. Ici encore, une telle certitude n’est pas fondée. Puisque les partisans de DSK appuient pour une large part leur conviction que celui-ci est le mieux placé pour gagner sur les résultats des sondages, qu’ont-ils à craindre d’une véritable primaire concurrentielle ouverte? Et si la primaire place un autre candidat en tête du vote de désignation, le parti augmentera alors probablement ses chances de victoire en soutenant cet autre candidat.
Les partisans de DSK, pour plusieurs raisons qui convergent sur une tactique unique, souhaitent une campagne interne très courte de leur champion, c’est-à-dire qui démarrerait le plus tard possible. Ils voudraient que, à l’instar de Martine Aubry, chacun attende la décision publique de DSK pour se prononcer, avec la conséquence négative que pendant une longue période le parti resterait l’arme au pied. Lorsque Jean-Christophe Cambadélis reproche à Ségolène Royal de miner « le respect du calendrier pour mieux sous-entendre que Martine Aubry ou DSK n’ont pas d’appétit, démontrant s’il en était besoin qu’elle ira jusqu’au bout », il oublie de dire que lui et ses amis ont tenté récemment eux aussi, et d’ailleurs sans succès, de le miner en proposant de reporter à l’automne la date limite de dépôt des candidatures. Il reproche à Royal de mettre en doute la détermination de DSK et d’Aubry. Or, quelles que soient les bonnes raisons de l’attentisme de l’un et de l’autre, reconnaissons que la meilleure manière qu’il y aurait de démontrer le caractère infondé d’un tel reproche serait tout simplement qu’une telle détermination soit affirmée. Comment reprocher à d’autres dirigeants socialistes d’entrer officiellement dans la compétition interne tout en retardant le plus longtemps possible l’entrée en lice de son champion ? C’est cette contradiction qui risque de constituer une « machine à perdre » et non la procédure de désignation elle-même.
En voulant immobiliser le parti et donc vider la primaire de sa substance dans l’attente de la décision de DSK, ses partisans prennent le risque de ne pas maîtriser la situation dans les mois qui viennent. Quant à DSK lui-même, comme les sondages commencent à le montrer, il risque d’être la victime de sa propre tactique dans la mesure où, tardant à montrer publiquement sa détermination, les électeurs pourraient finir par la mettre en doute. Ce serait d’autant plus dommage que pour l’instant, il apparaît comme le candidat de gauche le mieux placé pour gagner !
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