Les idées « neuves » du vieux Parti socialiste edit
Il est à la fois naturel et compréhensible que le Parti socialiste français, comme la plupart des partis de gauche en France et ailleurs, ait gauchi son discours au plus fort de la crise et effectué un retour aux sources de son idéologie. Pour autant, son nouveau texte d’orientation ne tranche pas entre la vieille pensée, fondée sur une idéologie anticapitaliste, et une pensée authentiquement réformiste proposant une nouvelle approche, notamment dans les domaines de l’emploi, de la solidarité ou des institutions.
Ainsi, le texte proclame d’abord « la brusque faillite d’un système économique, d’un modèle de capitalisme financier que nous avons toujours combattu » et propose une « alternative au modèle libéral ». Le problème, est que ce capitalisme financier n'est jamais défini de manière précise. On ne sait donc pas ce qu'il recouvre véritablement. De surcroît on ne nous dit pas ce que serait un capitalisme qui ne serait pas un capitalisme financier. Enfin on aimerait bien savoir de quand date ce capitalisme financier en France. Est-ce que durant la période pendant laquelle la gauche était au pouvoir, avec Lionel Jospin, régnait déjà le capitalisme financier ? Si oui, pourquoi la gauche ne l'a-t-elle pas combattu au lieu d’instaurer alors une fiscalité très favorable aux stock-options ?
Certes, le Parti socialiste peut toujours faire valoir qu’il s'est trompé et qu'il renoncera dans l'avenir à faire ce qu' il a fait dans le passé. Mais le problème vient précisément du fait qu'il ne le dit pas. De sorte que l'on ne sait s’il assume véritablement son bilan ou si, au contraire, il estime qu'il doit le remettre en cause. En fait sa récente déclaration ne répond pas à ces questions. Et cela pour une raison simple : le Parti socialiste n’a pour habitude ni d'assumer pleinement ce qu'il a fait au pouvoir dans le passé ni de remettre en cause ce même passé. Agir autrement conduirait à menacer les fragiles équilibres internes et obligerait à une clarification politique tactiquement peu profitable à ses dirigeants.
Ceux-ci ont toujours avantage, en effet, à ne pas clarifier une bonne fois pour toutes leurs positions idéologiques, de manière à pouvoir toujours utiliser leurs revirements à des fins tactiques. Le Parti socialiste continue ainsi à vivre sous le régime du modèle de l'État et de la rupture, un modèle qui consiste toujours à se montrer quasiment révolutionnaire dans l'opposition mais très raisonnable lorsqu’on accède aux responsabilités politiques. Ce modèle peut être analysé de manière positive comme étant fonctionnel, ou, au moins, comme un moindre mal : lorsque la gauche est au pouvoir, son action raisonnable contredit son discours d'opposition radicale ; mais il peut aussi être analysé comme étant la cause du processus d’affaiblissement politique du Parti socialiste, affaiblissement qui pourrait s’accélérer en cas de nouvel échec en 2012.
En outre, en admettant même que les socialistes ne condamnent qu’une modalité particulière du capitalisme, leurs propositions sont-elles novatrices et convaincantes ?
Elles évoquent un nouveau modèle dans lequel « la puissance publique, sous toutes ses formes, doit être réarmée pour tenir le rôle fondamental qui est le sien ». Pour ce qui est par exemple de l’emploi et de la formation, question centrale, les passages portant sur cette question se trouvent à quatre endroits différents du texte et l’impression qui domine est celle d’un collage, d’une juxtaposition de textes d’inspiration politique et économique différents. Manifestement, la cohérence globale du texte n’était pas le souci principal des auteurs.
Ainsi, le texte ne choisit pas entre deux logiques implicites qui coexistent dans le texte. L’une privilégie l’incitation, la sécurisation des parcours professionnels et donc la protection des personnes, en donnant aux individus prêts à s’en saisir les possibilités de bénéficier d’aides leur permettant de se re-qualifier et de trouver ou de retrouver un emploi – une politique qui, comme le dit fort justement le texte, doit « renforcer la compétitivité de notre économie en entrant clairement dans la logique de l’économie de l’intelligence, en développant l’innovation et la qualification des salariés » et en reconnaissant que « parce que nous sommes déjà concurrencés à l’échelle mondiale sur tous les segments de la production des biens et des services, l’avenir des pays développés se jouera sur le maintien d’une avance technologique et d’une forte capacité d’innovation et d’invention de produits nouveaux ». D’où le choix de « l’investissement massif dans le capital humain ». Mais la nécessité de l’alliance avec la gauche du parti a obligé à inscrire en même temps dans le texte une autre logique, celle qui considère les employeurs comme des gens suspects a priori, voire des adversaires – sauf les patrons de PME, on ne sait pourquoi. Ici, le ton change. Il s’agit alors d’une condamnation de toute flexibilité du marché de l’emploi – la flex-sécurité a disparu. Il faut imposer au patronat un « contrôle des licenciements » – Benoit Hamon, le nouveau porte-parole, a même réclamé le rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement – ainsi que « des exigences fortes en terme de recréation d’emplois et de reclassement des salariés, qui découragent totalement les licenciements boursiers ». Il s’agit donc ici de protéger d’abord les emplois, non les personnes. Dans un cas, on place l’action politique nationale dans le cadre de la mondialisation, dans le second, on l’ignore et l’on pense que le classique « tax and spend » ainsi que la surveillance, voire la punition, des patrons suffiront à créer richesses et emplois et donc à tenir lieu de politique économique – alors que les caisses sont vides !
À ces incohérences et contradictions dans le domaine économique répondent d’autres incohérences et contradictions dans le domaine institutionnel. D’un côté, le texte reconnaît cette vérité d’évidence que les règles du parti n’ont pas fonctionné lors du dernier Congrès : « Il nous faudra étudier et débattre sérieusement la question du mode de désignation de notre candidat à l’élection présidentielle, que nous n’avons pas réglée dans notre dernière réforme statutaire. Nous devrons aussi nous interroger sur nos procédures de Congrès à la lumière du déroulement de celui de Reims, notamment avec la coexistence de deux principes, celui qui régit le vote sur les motions, proportionnel, celui qui commande le vote sur le Premier secrétaire et les Premiers secrétaires fédéraux, majoritaire ». Mais, alors que ce passage semble traduire une prise de conscience de l’importance de la question présidentielle, et plus largement de celle du rapport du parti à la Ve République, un autre passage semble dire le contraire : « Nous n’admettons pas de voir notre parti se transformer progressivement en un parti au service d’une candidature. C’est la raison pour laquelle il faut en finir avec la personnalisation des enjeux au sein du PS. On ne peut dénoncer à la fois la nature présidentialiste du régime à la tribune de l’Assemblée et importer au sein de notre organisation tous les principes de fonctionnement de la Vè république ». Certes, ces phrases servent d’abord à écarter Ségolène Royal de la direction de l’organisation, mais elles traduisent plus largement les contradictions durables d’un parti emporté malgré lui dans la logique de fonctionnement du régime, mais dont le refus de l’assumer peut finir par lui coûter cher. Le Parti socialiste peut-il en effet refuser d’être un grand parti présidentiel sans courir le risque de n’être plus un grand parti du tout ?
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