Les pièges de la présidentialisation edit
Nicolas Sarkozy avait de bonnes raisons, une fois élu, de penser que le régime de la Cinquième République entrait dans une phase nouvelle de son histoire caractérisée par une présidentialisation accrue. Mais le président a méconnu les ressorts réels, parlementaire et partisan, du fonctionnement du régime.
Au cours des dernières décennies, il s'est produit une évolution générale des régimes occidentaux vers une présidentialisation forte, qu'ils soient parlementaires ou présidentiels, liée, entre autres raisons, à l'importance croissante jouée par les médias et les enquêtes d'opinion dans la vie publique.
Au delà de cette évolution générale, des raisons spécifiquement françaises ont favorisé cette évolution d'un régime dans lequel, du fait de la pratique gaullienne initiale puis de la révision constitutionnelle de 1962 instaurant l'élection du président de la République au suffrage universel, le chef de l'Etat est depuis l'origine le véritable détenteur du pouvoir exécutif et le pouvoir réel du Parlement est réduit à peu de choses. Il s'agit d'une part de l'instauration du quinquennat présidentiel en 2000 et de l'inversion du calendrier électoral en 2001 et d'autre part des pré-campagnes puis des campagnes des deux principaux candidats à l'élection présidentielle de 2007 qui, encouragés par des enquêtes montrant que les Français désiraient une présidence forte, et du fait de leur personnalité propre, ont poussé à l'extrême la personnalisation de cette élection. Une fois élu de manière très nette et disposant d'une popularité très forte, Nicolas Sarkozy a commis une erreur que déjà Giscard d'Estaing avait commise après son élection de 1974 et qui lui fut finalement fatale. Il a méconnu les ressorts réels, parlementaire et partisan, du fonctionnement du régime de la Cinquième République.
Ce régime n'est pas un régime présidentiel. C'est une démocratie parlementaire à direction présidentielle. Même si, dans les textes, le Premier ministre est en principe le chef de la majorité parlementaire, l'évolution du régime a fait en réalité du président le chef de cette majorité.
Dans un véritable régime présidentiel, tel que celui des Etats-Unis, le président ne peut oublier à aucun moment qu'il existe un Parlement, car celui-ci dispose de pouvoirs réels. Le fonctionnement du régime oblige le président à négocier sans cesse avec le Congrès. En revanche, en France, un président élu peut faire l'erreur d'oublier à la fois qu'il existe un parti qui l'a soutenu et une majorité qui appuie son gouvernement. En effet, comme dans tout régime parlementaire, il est très rare qu'une majorité renverse son propre gouvernement et en outre, en France, la suprématie du président, et en particulier le fait que la tradition lui a donné le pouvoir de choisir et de se séparer de son Premier ministre à son gré, ont minoré plus encore que dans d'autres régimes parlementaires le rôle du Parlement. Un président élu peut donc penser qu'il dispose d'un pouvoir quasi-absolu.
Or son pouvoir réel repose d'abord sur l'existence d'une majorité parlementaire comme l'ont montré les trois périodes de cohabitation qui se sont produites dans le passé. Il est normal qu'un président se présente d'abord comme l'élu de tous les Français et non comme l'homme d'un parti. Mais il ne doit pas oublier que, même si c'est lui qui a mené ce parti au pouvoir, il lui est aussi, pour partie, redevable de sa victoire. Le chef d'une majorité parlementaire et d'un parti doit veiller à satisfaire l'une et l'autre de manière à conserver leur soutien le plus fort possible. En France ce chef est le président de la République.
Or, Nicolas Sarkozy, victime de l'hybris et de la tradition présidentialiste de la Cinquième, a cru, au cours de sa première année de mandat, qu'il pouvait oublier les logiques profondes de fonctionnement du régime. L'ouverture, telle qu'il l'a réalisée, sans qu'il s'agisse véritablement d'une stratégie discutée avec son parti et sa majorité, a brisé un premier ressort du lien avec ses soutiens politiques. Son parti a mal vécu les offres nombreuses et intéressantes faites à d'anciens adversaires. Sa majorité a mal supporté que le président ne joue pas son rôle, comme le joue le chef d'un parti parlementaire au pouvoir, ou, sinon, qu'il ne laisse pas son Premier ministre le jouer.
La personnalisation extrême du pouvoir, renvoyée par les médias, exigeait que le président veille à l'état d'esprit d'une majorité qui, dans notre régime actuel, ne peut exprimer son mécontentement que par la grogne, la mauvaise volonté et le repli, situation qui n'est pas dangereuse quand le président est populaire. Elle le devient quand il cesse de l'être. C'est ce qui s'est passé pendant la campagne des élections municipales. Les membres de la majorité, subissant sur le terrain les critiques des électeurs, et ne se sentant pas responsables de la situation politique créée, n'ont pas su ou pu faire face. La majorité a connu une défaite particulièrement sévère. L'UMP, en particulier, a été très fragilisée. Tandis que le candidat Sarkozy avait su l'unir autour de lui pendant la campagne il l'a oubliée après son élection alors que ce parti, de fondation récente et divers, manque encore de solidité. Ne pouvant ou ne voulant ni la diriger directement ni lui donner un vrai leader, il l'a laissée sans chef réel et sans direction, incapable de mieux intégrer ses diverses composantes et de conserver son efficacité politique. Or, dans tout régime parlementaire, le parti principal de la majorité joue un rôle considérable comme bras armé du chef de l'exécutif. Ainsi, quand l'impopularité fut venue, le président se trouva fort dépourvu.
Présidentialiste, la démarche de Nicolas Sarkozy est apparue en outre contradictoire à partir du moment où il a présenté un projet, très positif, de révision constitutionnelle, inspiré par les travaux du Comité Balladur, allant au contraire dans le sens d'un renforcement des pouvoirs du Parlement. Aux contradictions du président ont alors répondu celles de la gauche. Ce projet va dans le sens de ses demandes constantes depuis la fondation du régime et, pourtant, elle a adopté pour l'instant face à lui une attitude négative, pour deux raisons.
La première est que, dans la logique très française d'opposition absolue au pouvoir en place, la gauche ne souhaite pas favoriser un projet du président, fût-il conforme ses propres demandes. La seconde est liée à l'incompréhension de la nature véritable du régime que la gauche partage finalement avec la droite. Dans notre régime actuel, le véritable chef du gouvernement est le président. Dans cette logique, Nicolas Sarkozy a inscrit dans son projet de révision institutionnelle le droit pour le président de s'adresser au Parlement directement. Attachée formellement à une séparation des pouvoirs qui en réalité est largement une fiction, la gauche, au nom de la défense de celle-ci, n'entend pas voter un projet qui inclurait cette disposition, estimant, à tort, qu'elle accroîtrait encore la présidentialisation du régime alors qu'au contraire elle en conforterait le caractère parlementaire en permettant au chef réel du gouvernement, c'est à dire le président, de s'adresser directement aux chambres.
Ainsi, aux erreurs de Nicolas Sarkozy, oubliant la nature parlementaire et partisane du régime, répondent celles d'une gauche qui, oubliant, elle, ce que fut l'exercice du pouvoir du seul président socialiste qu'ait connu la Cinquième République, fait semblant de croire à la possibilité d'un retour à un régime primo-ministériel. Or le régime de la Cinquième République n'est pas le régime présidentiel que le président en place croit être et que la gauche l'accuse d'être. Elle ne peut pas être non plus un régime primo-ministériel. La mauvaise voie dans laquelle s'engage la discussion sur le projet de révision constitutionnelle montre que les ambiguïtés, les incompréhensions et finalement les désaccords sur la nature du régime ne sont pas prêts d'être levés.
Que le président ait raté sa première année de présidence, en partie pour avoir méconnu la véritable logique de notre régime, n'excuserait pas la gauche de contribuer à ce que cette logique ne puisse enfin être comprise, reconnue et finalement acceptée par tous. La France continuerait alors à compter parmi ses faiblesses l'absence de consensus sur son régime politique. Nicolas Sarkozy, par une démarche erronée et contradictoire, porte incontestablement une forte part de responsabilité dans cette situation. Paradoxalement, il est la principale victime du piège de la présidentialisation.
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