Madame Royal tirez la première ! edit
Ségolène Royal, au lendemain du vote des adhérents socialistes et à la veille du congrès de Reims, a entre ses mains, pour une large part, l'avenir du socialisme français. Des décisions qu'elle prendra dans les prochains jours dépendra le cours futur de la gauche française. En effet, François Hollande, après une courte période de flottement, a reconnu que c'était à elle à proposer le nom du futur leader du Parti socialiste. Ce qui implique la prise de deux décisions différentes. La première concerne Ségolène Royal elle-même : veut-elle ou non prendre dès maintenant la direction du Parti socialiste ? La seconde concerne la future ligne politique du PS.
Les deux questions sont en fait liées. Deux scénarios sont possibles. Le premier, le scénario mitterrandiste, type congrès d'Epinay, consiste à conquérir elle-même la direction du parti, à l'arraché, en rassemblant une courte majorité hétéroclite sur une ligne suffisamment à gauche pour que la gauche du parti puisse s'y rallier, c'est à dire une ligne anti-capitaliste, anti-système, hexagonale - car une ligne de gauche de ce type, dans l'Europe et le monde d'aujourd'hui, ne peut être qu'hexagonale. Une ligne floue, contradictoire, de nature à rassembler une majorité politique suffisante pour gouverner le parti. Une telle orientation peut d'autant plus séduire Ségolène Royal qu'elle a toujours reconnu François Mitterrand comme son mentor et que ses discours et textes les plus récents ont montré son peu de souci pour la cohérence intellectuelle, notamment sur le terrain de l'économie.
En outre, comme toujours au Parti socialiste, et plus encore aujourd'hui dans une période de crise profonde des mécanismes du capitalisme financier et de grande incertitude économique, la ligne clairement réformiste de compromis avec le capitalisme, qui est toujours celle des dirigeants socialistes quand ils sont au pouvoir, n'est pas leur quand il s'agit de prendre le pouvoir au sein du parti. Il vaut mieux alors adopter une posture radicale, appelant au changement du système, voire à la condamnation du capitalisme. Bref une ligne qui consiste à ne s'occuper dans un premier temps que de la conquête du pouvoir interne sans se préoccuper de la suite.
Ce scénario, dit scénario d'Epinay, est le plus probable, compte tenu de ce que nous pouvons savoir aussi bien de Ségolène Royal que du Parti socialiste. Il est d'autant plus tentant pour elle que les oppositions à sa candidature sont divisées et qu'il n'existe pas face à elle un véritable projet réformiste défendu fermement et largement dans le parti ni un leader en état de le porter actuellement après la contre-performance de Bertrand Delanoë et alors que le vent souffle à gauche toute.
Le second scénario est moins probable mais il n'est pas impossible. Il est plus porteur à terme, plus sérieux et plus capable de refaire de la gauche une force de gouvernement. Il implique de la part de Ségolène Royal qu'elle veuille s'ouvrir aux secteurs les plus réformistes du parti, ceux qui savent que la posture anticapitaliste n'est pas plus sérieuse aujourd'hui qu'hier et que la véritable question est de redonner au capitalisme des bases saines, action dont dépend le renouveau de la prospérité mondiale, très compromise, et donc la possibilité de redistribuer les richesses. Ce scénario doit nécessairement se fonder sur l'idée de la négociation européenne et internationale et repousser l'idée selon laquelle la France est capable à elle-seule, en fermant ses frontières et en redonnant à l'Etat les clés de l'économie, de repartir en avant. Un scénario où Ségolène Royal accepte éventuellement de ne pas prendre la direction du parti à l'arraché, renonçant ainsi à créer dans le parti des tensions qui pourraient se révéler à ce point insupportables qu'elles pourraient mettre en danger l'unité et la survie même du Parti socialiste. Un scénario, enfin, où il s'agirait d'une véritable négociation sur une nouvelle ligne politique crédible, fondant le nouveau socle doctrinal d'un parti qui vit toujours sur celui, épuisé, d'Epinay.
Ce socle permettrait aux socialistes, une fois revenus au pouvoir, de relever les énormes défis d'un monde enfoncé dans une tourmente dont nous n'imaginons aujourd'hui ni l'ampleur ni la durée. Le modèle mitterrandien a montré ses limites évidentes lorsque le discours et les réalités sont rentrées en collision dès 1982 puis lorsque le discours de rupture avec le capitalisme a été abandonné en 1983 - d'autant que dans la situation actuelle, l'équivalent de la politique du gouvernement Mauroy de 1981 ne pourrait pas durer plus de quelques semaines, tout au plus. Comme le président élu Obama l'a clairement et courageusement expliqué récemment aux Américains, la situation est très grave. Elle exige mieux que les discours aussi classiques qu'inopérants sur la fin du capitalisme.
Ainsi donc, les hasards de l'histoire font aujourd'hui peser sur Ségolène Royal une immense responsabilité. Sera-t-elle à la hauteur ? Engagera-t-elle le Parti socialiste sur la voie d'un réformisme responsable ou préfèrera-t-elle un discours capable de lui assurer les appuis suffisants, quels qu'ils soient, pour s'emparer du pouvoir interne, sans se préoccuper de ce que pourrait être une politique gouvernementale socialiste dans le monde de demain ? Veut-elle un second Epinay, ou une véritable refondation du socialisme français ? À elle de répondre. Tant qu'elle n'a pas répondu, il ne faut lui faire aucun procès d'intention. Après, chacun prendra ses responsabilités.
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