Sarkozy : une démocratie parlementaire à direction présidentielle ? edit
Le problème central que pose le fonctionnement actuel de nos institutions est le suivant. Si l’on veut éviter la dérive présidentialiste, comment faut-il rééquilibrer les pouvoirs et clarifier les relations entre le président et son Premier ministre dans un régime où, selon la volonté de son fondateur « l’autorité indivisible de l’Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu » et où, depuis l’instauration du quinquennat en 2000 et l’inversion du calendrier électoral en 2001, puis la victoire présidentielle et législative de Nicolas Sarkozy, et enfin sa pratique du pouvoir, la présidentialisation du régime s’est fortement accrue ? Comment prendre acte plus clairement de la primauté du président tout en renforçant les pouvoirs du Parlement et en encadrant ceux du président ?
S’agissant d’abord de l’explicitation de la primauté présidentielle au sein de l’exécutif, deux solutions ont été évoquées par le comité Balladur .
La première qu’il a rejetée rapidement, et que le président lui-même semble avoir écartée d’emblée, est celle d’un changement de régime et de l’instauration d’un régime présidentiel. Quels que soient les arguments existant – et ils sont nombreux – en faveur de ce type de régime, il faut reconnaître que ni la gauche – par anti-présidentialisme –, ni les gaullistes – par attachement aux institutions de la Cinquième République – ne sont prêts à accepter une telle modification.
La seconde, suggérée par Nicolas Sarkozy dans sa lettre du 18 juillet à Edouard Balladur, était de modifier la rédaction des articles 5, 20 et 21 « pour prendre acte de l’évolution qui a fait du Président de la République le chef de l’exécutif ». Le Comité a cru trouver une réponse à cette question insoluble en proposant d’introduire dans l’article 5 une disposition selon laquelle le président « définit la politique de la Nation » et, dans l’article 20, concernant le rôle du gouvernement, d’ôter à celui-ci le pouvoir de « déterminer » la politique de la Nation, lui en laissant simplement « la conduite », et, enfin, en laissant inchangé l’article 21 qui stipule que le Premier ministre « dirige l’action du gouvernement ». Nicolas Sarkozy, dans sa lettre du 12 novembre, ne retient pas ces suggestions, écrivant ainsi : « après réflexion, je ne pense pas qu’il soit souhaitable que les articles 5, 20 et 21 qui précisent la répartition des rôles entre le président de la République, le Premier ministre et le gouvernement, soient modifiés. Dès lors qu’un changement de la nature du régime est écarté, toute modification de la rédaction actuelle paraît en effet présenter plus d’inconvénients que d’avantages ».
Il faut reconnaître que la position du président est justifiée. Sans un changement clair de régime, toute modification de ces articles n’apporte pas de véritable solution et peut même compliquer les choses si un jour, situation très peu probable désormais, mais pas impossible, le président ne disposait pas d’une majorité parlementaire.
Comment alors fonder la légitimité de cette reconnaissance plus clairement assumée, mais toujours non écrite, de la primauté présidentielle ? En invoquant la tradition, la pratique, le souhait des Français mais aussi, et ceci est nouveau, en estimant que, d’une certaine manière, la révision constitutionnelle instaurant le quinquennat porte en elle et légitime l’idée d’un gouvernement présidentiel. Dans un article publié en automne 2001 par la revue Commentaire, Olivier Duhamel et moi-même avions estimé que les réformes de 2000 et 2001 marquaient le début d’une nouvelle Cinquième République. Nous l’avions dénommée « Démocratie parlementaire à direction présidentielle ». Il nous paraissait que cette nouvelle Cinquième République se rapprocherait des grandes démocraties parlementaires voisines et reposerait sur une solidarité nouvelle entre la majorité parlementaire et son chef, le Président, élu quasi-simultanément, pour un mandat de durée identique, et revenant quasi-simultanément devant les électeurs qui les jugeront simultanément au bout de cinq ans – sauf accident, évidemment. La France ne se distinguerait plus alors des autres démocraties majoritaires européennes que sur un point : le leadership politique n’y est pas confié au Premier ministre, indirectement élu du peuple par le biais des élections législatives, mais au Président, directement élu du peuple par un scrutin personnel.
Pour que cette nouvelle modalité de nos institutions fonctionne de manière satisfaisante, il faut à la fois admettre, sans pouvoir l’écrire, que le président est le chef du gouvernement et donner au Parlement les pouvoirs et les moyens nécessaires pour contrôler le gouvernement et jouer pleinement son rôle.
Sur le premier point, le président a clairement assumé et revendiqué son rôle de chef du gouvernement. Il a demandé au comité, qui a repris cette proposition à son compte, que soit inscrite dans la Constitution la possibilité pour le président de s’adresser directement aux assemblées parlementaires. Cette innovation est à la fois conforme à l’esprit gaullien (reconnaissance de la primauté présidentielle) et s’en différencie (reconnaissance que le président est en réalité le chef d’une démocratie parlementaire). La gauche s’apprête à la refuser au nom de la lutte contre le présidentialisme. Elle est pourtant cohérente avec la notion de direction présidentielle d’une démocratie parlementaire.
Le second élément réside dans un renforcement des pouvoirs du Parlement et un encadrement de ceux du président. Ici, Nicolas Sarkozy reprend pour l’essentiel les propositions du comité qui vont dans ce sens et qui sont de nature à mettre fin à l’abaissement du Parlement provoqué par le général de Gaulle et auquel aucun de ses successeurs n’avait tenté jusqu’ici de mettre un terme.
Reprenons rapidement l’essentiel de ces propositions. Au passage, saluons le travail des membres du comité qu’Arnaud Montebourg a, de manière indigne, traité d’ « auteurs d’une future œuvre de commande » dans une lettre adressée à son président où il estimait que ce comité, « composé ad hoc pour les besoins d’une manipulation personnelle », devait se dresser « contre ce qui nous conduit tout droit au chaos institutionnel et à l’excès de pouvoir comme système de gouvernance ». Or précisément il s’agit ici de la première tentative sérieuse lancée par un président de la Cinquième République pour redonner du pouvoir au Parlement et encadrer ceux du président : droit de regard du Parlement sur les nominations les plus importantes, redéfinition et encadrement du droit de grâce, interdiction de cumul d’une fonction ministérielle avec tout mandat exécutif, limitation à deux mandats présidentiels, augmentation du nombre des commissions parlementaires, partage de l’ordre du jour des assemblées, possibilité pour le Parlement d’adopter des résolutions et association plus étroite à la politique européenne, internationale et de défense, encadrement de l’utilisation de l’article 49.3…
Encore faut-il que les parlementaires acceptent les grandes lignes de cette révision. De ce point de vue l'incertitude domine, non seulement à gauche mais aussi à droite. Ainsi, selon le quotidien Libération, la proposition concernant le cumul ministre-maire a soulevé un tollé à l'UMP et ses dirigeant ont tenté de rassurer les mécontents en rappelant que "le Président peut proposer et finalement ne pas retenir", ajoutant : "Attendez la fin des négociations". Attendons donc!
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