Une élection de rupture edit
La présidentielle de 2007 restera dans l'histoire de la Cinquième République comme une élection de rupture. Rupture avec une période de désenchantement démocratique et d'abstention croissante, avec le chiraquisme d'une droite qui se veut et s'affiche comme telle, rupture à gauche avec la fin du parti d'Epinay et la remise en mouvement du Parti socialiste après la nette défaite de sa candidate. Rupture enfin avec une période qui semblait marquer l'affaiblissement des deux grands partis de gouvernement.
Le second tour de l’élection présidentielle a confirmé la mobilisation très forte du premier tour. Il faut remonter à l’élection présidentielle de 1981 pour retrouver une telle participation. Election d’affrontement, retour des passions politiques et du clivage gauche/droite, les Français ont pour la première fois depuis longtemps eu l’impression qu’il leur était proposé un vrai choix et que ce choix s’incarnait dans deux candidats nouveaux, pugnaces et décidés. Du coup, les 53 % de Nicolas Sarkozy constituent une victoire nette et sans appel qui l’autorise à penser que les Français lui ont clairement donné mandat pour entreprendre les réformes proposées. L’intérêt passionné des électeurs pour cette élection va probablement mettre un terme aux appels à instaurer une Sixième République moins présidentielle même si de part et d’autres sont envisagées et proposées des réformes institutionnelles. L’élection présidentielle demeure plus que jamais l’élection centrale dans le système politique français. Le quinquennat rapproche le système français du système américain. C’est le grand rendez-vous démocratique, le moment d’une sorte de délibération collective.
La victoire de Sarkozy représente indéniablement une rupture dans l’histoire de la droite. C’est ainsi qu’il a conçu, voulu et annoncé cette rupture. Rupture avec le chiraquisme qui est l’habit de la droite depuis les années 1980, rupture surtout avec la manière de se situer par rapport à la gauche. Avec Nicolas Sarkozy, la droite s’assume sans complexe pour ce qu’elle est : pas seulement une non gauche. C’est au niveau des valeurs que le nouveau président a d’abord mené et gagné son combat contre la gauche. Centrant son discours sur le travail, l’autorité, le mérite, la Nation et appelant à la liquidation du legs de Mai 68. C’est une droite de reconquête qui s’apparente à la révolution conservatrice reaganienne ou au thatchérisme. Le score de Bayrou n’a pas conduit le candidat de l’UMP à recentrer sa campagne au second tour. Au contraire. C’est donc bien une victoire de la droite que celle du nouveau président. Une droite qui grâce à lui a réussi ce tour de force de représenter dans cette élection le changement et la volonté de réforme face à une gauche qui est dans l’opposition depuis cinq ans. Une droite qui a réussi à forger une nouvelle base sociale mêlant les fractions les plus riches de la population à une part importante des classes populaires et moyennes inférieures, notamment les employés. Bref une nouvelle refondation.
La défaite lourde de Ségolène Royal, quasiment certaine au soir du premier tour, est grave pour la gauche car c’est sa troisième défaite présidentielle consécutive. Cette défaite marque la fin d’une série d’illusions durables et funestes des socialistes depuis la victoire législative surprise de 1997, sinon depuis 1981. Première illusion : le jeu régulier des alternances ramène automatiquement la gauche au pouvoir après une défaite. Deuxième illusion : l’absence de révision doctrinale est inutile. Le pragmatisme gouvernemental suffit. Troisième illusion : les bonnes recettes de l’Union de la gauche sont toujours valables. Quatrième illusion : les classes populaires sont la base électorale naturelle de la gauche. Après cette défaite, la gauche ne peut plus se penser seulement comme une anti-droite. L’échec du « tout sauf Sarkozy » est la triste illustration de cette erreur. Le Parti socialiste ne peut plus produire des textes qui ne servent pas d’abord à fournir les bases d’une campagne et le véritable projet à appliquer. Certes, Ségolène Royal a commis nombre d’erreurs et de maladresses. Face au professionnalisme de Sarkozy, elle a trop souvent utilisé l’improvisation plutôt que la connaissance des dossiers et l’agressivité plutôt que la force de conviction. Elle n’a pas gagné la confiance d’une majorité de Français ni ne l’a convaincue qu’elle opposait véritablement un projet à celui de Nicolas Sarkozy. Mais si la candidate socialiste porte une part importante de responsabilité dans cette défaite, l’ensemble du parti socialiste et de la gauche ne peuvent pas s’absoudre aisément de la leur. Le Parti socialiste, par manque de réflexion et de travail collectif mais aussi de leadership, n’était pas prêt à affronter cette élection dans de bonnes conditions. Son projet n’était pas un programme et ne répondait pas aux préoccupations des Français. Ségolène Royal est autant le produit de la crise de la gauche que l’artisan de sa défaite. Cette défaite a enfin réveillé les socialistes de la torpeur qui s’était emparée d’eux au début des années 2000. A la course de lenteur à la rénovation a succédé quelques minutes après l’annonce des estimations, dimanche soir, le départ d’une course de vitesse à la rénovation. Trois projets semblent devoir s’affronter qui prolongent et renouvellent à la fois la primaire socialiste. C’est une bonne chose si les socialistes veulent avoir une chance de revenir au pouvoir dans un avenir prévisible. Ségolène Royal a brisé le tabou d’Epinay en envisageant des alliances au centre. La question des alliances avait été au cœur de la refondation du Parti socialiste en 1971. Elle pourrait l’être à nouveau demain. Mais la question essentielle va être dans les mois qui viennent celle du leadership. La bataille sera rude. Sur quels clivages et quelles options se déroulera-t-elle ? c’est toute la question.
Le second tour a confirmé la rupture avec la période précédente d’affaiblissement des deux grands partis présidentiels et de la bipolarisation. La maintien du haut niveau de participation du premier tour au second le montre. Malgré la consigne d’abstention de Le Pen, le refus d’indications de la part de Bayrou, et l’attitude contournée de Besancenot, les électeurs ont massivement voté. Le niveau des bulletins blancs et nuls n’a pas connu de progression par rapport aux élections précédentes. Les électeurs ont joué pleinement le jeu de bipolarisation gauche-droite. Les électeurs du FN se sont massivement reportés sur Sarkozy et ceux de l’UDF se sont partagés entre les deux candidats, preuve qu’il sera difficile de créer un véritable parti du centre capable d’affronter les deux tours des élections législatives dans un combat contre la bipolarisation. La question qui se pose désormais est de savoir comment les deux grands partis vont gérer politiquement la relation avec le centre c’est-à-dire comment ils vont gérer la question du pluralisme. Vont-ils se refonder en tentant d’intégrer en leur sein un courant centriste, dans un mouvement accentué vers le bipartisme, ou vont-ils contribuer à organiser chacun sur leur flanc une petite formation centriste avec laquelle ils refonderont une alliance mais qui leur sera nécessairement subordonnée à moins de changer radicalement le mode de scrutin ?
S’ils ne choisissent ni l’une ni l’autre de ces deux solutions – le PS avec l’éventuel nouveau Mouvement démocrate de Bayrou, l’UMP avec l’UDF maintenue – la prochaine élection présidentielle pourrait à nouveau réserver quelque surprise et menacer le système de déstabilisation. Les prochaines législatives montreront si le système continue de se diriger vers un bipartisme imparfait et si elles annoncent une recomposition du système de partis français, avec la création de nouveau partis et de nouvelle alliances. Elles nous diront également si les Français, en donnant ou non une majorité à Nicolas Sarkozy à l’Assemblée nationale, confirment la règle non écrite de la Cinquième République qui veut qu’un président élu obtienne dans la foulée une majorité, condition nécessaire pour qu’il puisse véritablement gouverner.
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