Préparons-nous à traiter la crise migratoire avec autant d’humanité que la crise pandémique edit
Aylan : un prénom et une photo qui a bouleversé l’humanité il y a maintenant cinq ans. C’est ce qu’il aura fallu pour alerter le monde sur une crise migratoire sans précédent que la pandémie du coronavirus n’a pas stoppée.
Nous célébrons aujourd’hui le volontarisme politique par lequel la Commission s’attaque à la pandémie du COVID-19 avec des moyens sans précédents. Et pour cause : le choc est symétrique. Il affecte tous les Européens de la même manière, sans considération de leurs efforts économiques antérieurs.
Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que la crise migratoire était un choc de même nature, mais que l’Europe n’a pas su prendre la vague avec pareille solidité. Revenons sur ce défi politique majeur qui n’est pas terminé et qui risque de s’accentuer vu la situation en Libye, en Syrie, au Sahel et vu les sécheresses que connaît la Corne de l’Afrique.
Par millions, des individus que l’on a réduit trop souvent à l’état de chiffres agglomérés avec plus ou moins de précision, ont choisi de quitter leur pays, leur famille, leurs racines, pour prendre la route vers l’Europe.
On oubliait presque systématiquement que chaque migrant a une histoire, un passé, un avenir, des droits, des espoirs, des rêves. S’arrêter aux chiffres est bien commode. Pas besoin de comprendre la vague migratoire, elle est là et il faut s’en protéger et l’Union Européenne comme ses Etats-membres ne manquent pas de plans pour contenir des flux considérés comme menaçants.
Les arguments se veulent du plus rationnel au plus populiste : nous n’avons pas les moyens d’accueillir ces personnes dignement ; nous sommes confrontés à d’importants niveaux de chômage ; l’arrivée de populations de culture différente pourrait déstabiliser nos sociétés...
À l’opposé de ce « nous » se trouve le « eux », masse informe d’individus conceptualisés comme une « crise », une situation de trouble dans laquelle se trouve la société laissant craindre un changement profond. Cette peur d’une vague massive d’individus inconnus provoque un sentiment d’insécurité. Il entraine le repli sur soi et l’invocation par les autorités des principes de souveraineté et de préservation de l’unité nationale. Peur, ignorance et insécurité ; trois concepts que le théoricien des relations internationales Hans Morgenthau qualifie de condition tragique de l’État nation. La prévalence de ces discours est la preuve que les Etats membres n’ont pas réussi à dépasser leur condition d’État nation sur ces sujets, et de développer une gouvernance des migrations à l’échelle européenne.
Pour répondre à l’arrivée de cette vague, l’Europe, tout en moquant la gestion de la frontière américano-mexicaine des présidents successifs de la dernière décennie, a entretenu et mis en place de nouvelles barrières, visibles et invisibles pour éviter l’arrivée et la dispersion des migrants dans l’espace européen.
Alors que les frontières terrestres sont équipés de clôtures infranchissables comme autour des enclaves espagnoles au Maroc Melilla et Ceuta, ou encore le long de la frontière Turco-Bulgare, l’Europe a diversifié son approche en fournissant des financements massifs aux pays du voisinage direct pour contenir les flux migratoires de l’autre côté de la Méditerranée comment Turquie, au Maroc ou en Libye. De plus la procédure de Dublin III constitue un mur additionnel cantonnant les migrants à demeurer dans leur premier pays d’arrivée (sauf cas où le regroupement familial est possible).
Nos efforts ont tous pour louable justification la nécessité d’accélérer le processus de demande d’asile et d’éviter un nombre considérable de victimes noyées en Méditerranée. Mais nous ne faisons que plaquer un cataplasme sur une jambe de bois. La migration est un phénomène dynamique que des solutions statiques ne peuvent endiguer.
L’Union européenne n’a que trop considéré la question migratoire comme la cause d’une crise potentielle en Europe alors qu’elle n’est que la conséquences de conflits, inégalités de développement, et crises humanitaires et climatiques qui prennent leur racines parfois bien plus loin que dans le voisinage direct de l’Europe. C’est sur cela que les efforts doivent aujourd’hui être menés pour que chaque individu puisse disposer de conditions de vie raisonnables pour vivre et construire son avenir.
Il suffit de s’intéresser aux migrants en tant qu’individus, de leur donner la parole et de leur demander pourquoi ils ont pris la décision de partir, par choix ou par nécessité. Que ce soit pour fuir le conflit Syrien, la famine au Yémen, la sécheresse au Mali, l’absence d’opportunités professionnelles ou pour chercher des opportunités professionnelles, d’éducation, une meilleure vie, chacun a son histoire. Considère-t-on les expatriés français à Londres, New York ou Singapour, partis étudier ou chercher des opportunités professionnelles de la même manière que les migrants ? Chacun de nous a été, est ou sera migrant, fera des choix qui pour plusieurs raisons impliqueront un déplacement temporaire ou permanent.
Les questions migratoires sont à envisager de manière holistique, en identifier les causes inhérentes tout en œuvrant pour en limiter les conséquences tragiques.
Nous venons de subir la crise pandémique avec violence - et nous n’en sommes qu’au début. La crise climatique encore largement devant nous mais ses premiers effets - migratoires notamment - ont commencé. Maintenant que les corps se déconfinent et que les esprits se reprennent, il faut que la politique se réapproprie ce sujet. Par honnêteté. Par humanité.
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