UMP et FN: une alliance inévitable? edit
Le communiqué adopté à l’unanimité par l’UMP le 17 septembre marque un pas supplémentaire de ce parti vers une alliance à terme avec le Front national. Certes ce communiqué dit le contraire : « Nous nous opposons avec vigueur à la politique menée par les socialistes et leurs alliés et nous combattons avec la même vigueur tous les extrémismes et les sectarismes. » Il semble ainsi reprendre le « ni ni » de Jean-François Copé. Mais en réalité, il traduit en d’autres termes l’innovation introduite par François Fillon. Il ne s’agit plus seulement de refuser le désistement ou l’accord avec PS ou le FN. L’UMP va beaucoup plus loin.
Le « ni ni » rejetait la formule du « Front républicain » contre les « fascistes ». Mais il ne disqualifiait pas nécessairement le PS de même manière que le FN. La nouvelle ligne de l’UMP établit cette équivalence dans l’égale intensité du rejet de l’un et de l’autre. La peste et le choléra en quelque sorte. La disqualification du FN perd ainsi son caractère singulier. En rejetant dans les mêmes termes PS et FN, l’UMP réintègre ainsi ce dernier dans la communauté nationale et politique. Àpartir de là, et même si elle s’en défend, elle s’engage dans un processus qui la mènera inéluctablement à une alliance avec le FN, au moins électorale, si celle-ci lui apparaît vitale dans l’avenir. Or, une telle éventualité ne peut être exclue. Bien au contraire. Pourquoi ?
Notre système politique fonctionne sur un mode bipolaire, gauche contre droite. Les premiers signes de la transformation du système vers un fonctionnement bipolaire sont apparus en 1962. En 1958, Guy Mollet, le patron de la SFIO, ayant soutenu l’instauration de la Ve République contre les communistes, pouvait se réjouir ainsi de la victoire du « oui » : « L’échec des non prend ainsi sa véritable signification : la désintoxication des travailleurs trompés par les staliniens est en bonne voie. » Quatre ans plus tard, pour éviter une déroute électorale aux législatives suivant le référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel, le même Guy Mollet justifiait ainsi la signature entre les deux tours de scrutin d’un accord de désistement avec le Parti communiste : « Aujourd’hui, dans l’hypothèse limitée où nous nous sommes placés, dix ou douze communistes de plus ou de moins à l’Assemblée nationale, cela ne changera rien : je ferai battre l’UNR. »
Cette réintégration du PCF dans le jeu politique, d’abord conçue comme un geste de survie électorale par les socialistes, constitua ensuite la base sur laquelle François Mitterrand élabora sa stratégie de reconquête du pouvoir, l’Union de la gauche, stratégie qui contribua à enraciner la bipolarisation.
Àpartir du moment où l’UMP a banalisé son hostilité à l’égard du FN et où notre système demeure fondamentalement bipolarisé, la tripartition politique Gauche/UMP/FN ne peut survivre que si le FN n’a pas les moyens de provoquer la défaite électorale de l’UMP. Or, si le mode de scrutin législatif majoritaire à deux tours avantage fortement le parti le plus important de l’un et l’autre camp, encore faut-il que ce dernier noue des alliances de second tour pour profiter pleinement de cet avantage, sauf à estimer que le parti périphérique de son camp, ici le FN pour l’UMP, n’a pas les moyens de provoquer cette défaite. Si, lors des prochaines législatives, le score du FN s’établissait à un niveau tel qu’il pourrait empêcher une victoire de l’UMP, ce parti serait amené à se poser la question d’un changement de tactique électorale. Or, sa prise de position récente lui permettra désormais de le faire, si nécessaire. Il pourra alors expliquer que puisque le danger FN n’est pas plus grand que le danger PS l’arrivée d’un quarteron de députés du FN à l’Assemblée nationale ne changera pas grands chose en termes d’arithmétique parlementaire mais permettra de battre les socialistes. Un tel virage serait-il plus condamnable que celui opéré il y a un demi-siècle par les socialistes ? Chacun ici peut avoir son opinion. Mais dans la réalité des choses, il est rare qu’un parti refuse une alliance qui seule pourrait lui assurer la victoire. Sauf à ce qu’une telle alliance soit rejetée massivement par l’électorat de son camp. Ce rejet existe encore aujourd’hui mais il n’est plus massif. Qu’en sera-t-il demain ?
L’on peut estimer, et c’est l’opinion de l’auteur de cet article, que cette évolution est très dommageable pour le pays car elle obligera l’UMP, dans cette éventualité, à abandonner ou gommer les aspects les plus positifs de son programme et de ses idées du point de vue d’une analyse réaliste de l’évolution du monde, des nécessités de l’économie et de la construction européenne, sans parler de la xénophobie qui anime le parti d’extrême-droite. Mais c’est la bipolarisation du système, commandée par le mode de scrutin majoritaire, qui contraint les grands partis à s’adapter à sa logique. Pour les mêmes raisons le PS souhaiterait réactiver son alliance avec le Parti communiste dont les idées ne poussent pourtant ni à la modernisation du pays ni au renforcement de la construction européenne. Plutôt que de condamner l’UMP, tentation bien naturelle, il serait plus opératoire de s’interroger sur les limites de la bipolarisation dans la situation actuelle du système de partis français, qui oblige les grands partis de gouvernement, compte tenu de leur relative faiblesse, à rechercher des alliances avec des partis avec lesquels ils ont des désaccords profonds, et à réfléchir à une modification du mode de scrutin qui donnerait de la souplesse au système en augmentant la configuration des alliances possibles, en particulier entre le centre gauche et le centre droit, comme ce sera peut-être le cas en Allemagne dans quelques jours. Sinon, toutes les condamnations morales n’empêcheront pas l’UMP de trouver un accord, si nécessaire, avec le FN, pour peu que celui-ci le souhaite, ce qui reste encore à prouver !
Certes, à la sortie du comité politique de l’UMP, François Fillon a assuré qu'il ne voterait «jamais pour un candidat du Front national». Et il a ajouté : «si nous voulons appeler à un rassemblement, nous devons nous adresser à ceux qui sont tentés de voter pour le FN, nous devons nous adresser aussi à des hommes et femmes de gauche qui peuvent se retrouver aussi derrière un projet d'union nationale». Mais l’UMP sera-t-elle de taille à réaliser à elle seule l’Union nationale ? Il est permis d’en douter. Quant au soudain œcuménisme de l’ancien Premier ministre (« Je veux qu'on arrête de caricaturer, stigmatiser, exclure des électeurs qui sont des Français. Je ne condamnerai jamais un Français qui vote pour un autre Français »), ne s’est-il pas laissé emporter trop loin par son élan de briseur de digues ? La foi du néophyte est souvent la plus enthousiaste ; elle est souvent aussi la plus dangereuse ! « S'il y a un réel danger de victoire du FN, je ne mets cependant pas l'extrême droite et le PS sur le même plan», a déclaré de son côté Alain Juppé. Il semble que la nouvelle ligne de l’UMP ne soit pas celle-ci. Mais à le confirmer aujourd’hui, ce parti pourrait bien exploser. Il n’est donc pas passé officiellement du « ni ni » de Jean-François Copé au « ou ou » de François Fillon. Mais nul doute qu’il a ouvert la voie qui pourrait y mener.
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