« UMPS » : 100, FN : zéro, ou la prophétie auto-réalisatrice du Front national edit
À force de dénoncer l’existence de « l’UMPS », le Front national a fini par lui donner une consistance réelle. Non pas – ou pas encore – au niveau des stratégies des partis mais au moins, et clairement, au niveau de l’électorat. Si ce parti n’a gagné aucun département dimanche dernier et seulement une soixantaine de sièges sur environ 4000 – soit 1,5% –, malgré ses réelles performances en voix, c’est que s’est formé contre lui un large front électoral.
Il est frappant de constater que dans les duels UMP/FN du second tour, les reports apparents montrent que l’électorat de gauche s’est fortement mobilisé en faveur du candidat de la droite modérée. De même, dans les duels PS/FN, une part importante de l’électorat de l’UMP s’est mobilisée contre le FN, ne suivant pas la consigne officielle du « ni-ni » de Nicolas Sarkozy. Presque nulle part, du coup, le FN n’a pu être majoritaire. Les campagnes anti-FN menées aussi bien par le PS que par l’UMP, quoique sans coordination, ont permis la constitution de ce large électorat qui représente bien un « front républicain » sorti des urnes.
L’ironie de l’histoire est que le seul électorat qui ne s’est pas conformé à l’analyse et au mot d’ordre du FN, combattre « l’UMPS », est son propre électorat ! En effet, les électeurs qui ont voté pour ce parti au premier tour ont voté massivement au second en faveur des candidats de l’UMP dans les duels PS/UMP.
L’UMP est ainsi à la charnière des deux grands électorats du second tour, l’électorat « Front républicain » contre le PS et l’électorat de droite au sens large contre la gauche. D’où son grand avantage stratégique sur les deux autres partis. Un avantage qui devrait lui donner aisément la victoire en 2017. La faiblesse de la gauche jointe à la stratégie perdante du FN, compte tenu du mode de scrutin majoritaire, font de l’UMP le parti de l’alternance. Dans ces conditions, les peurs exprimées par certains observateurs de voir le FN gagner les élections de 2017 paraissent pour l’instant infondées.
L’UMP et le PS n’en sont pas quitte pour autant avec le FN. Les prochaines élections régionales le montreront bientôt. En effet, compte tenu des scores très importants de ce parti dans de nombreuses régions et du mode de scrutin régional, la menace qu’il représente risque de se révéler bien réelle à cette occasion. Il s’agit d’un scrutin de liste à deux tours à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, avec une prime majoritaire d’un quart des sièges pour le parti ayant obtenu soit la majorité absolue au premier tour soit la majorité relative au second. Les trois quarts des sièges restants sont attribués à la proportionnelle entre toutes les listes. Les listes ayant obtenu 10% des suffrages exprimés peuvent se maintenir au second tour et les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés peuvent fusionner entre les deux tours. Enfin, les élections ont lieu dans le cadre du département. Or, le FN au premier tour des élections départementales est arrivé en tête dans 40 départements, le plus souvent dans les mêmes régions.
À partir de ces éléments, il est possible de faire les observations suivantes. Dans la mesure où les trois principaux partis ont les plus grandes chances de pouvoir se maintenir au second tour dans la plupart des départements lors de ces élections, le FN peut espérer arriver en tête au second tour dans plusieurs régions. Dans ce cas, il lui suffit d’obtenir dans un département 35% des suffrages exprimés pour obtenir la majorité absolue des sièges, soit un 25% d’entre eux avec la prime majoritaire et 35% des 75% de sièges restants soit 26%, donc en tout 51% de l’ensemble des sièges.
Contrairement à ce qui s’est passé au second tour de ces élections départementales, où la majorité des configurations de candidatures étaient des duels, la formation, aux élections régionales, d’un « front républicain électoral » ne peut se produire sans l’intervention active et coordonnée de l’UMP et du PS. Or, ces derniers n’ont que deux manières possibles de forger une véritable stratégie anti-FN.
La première consiste pour celui des deux qui est arrivé troisième de retirer ses candidats entre les deux tours. Une telle décision serait très coûteuse pour le PS qui arriverait le plus souvent en troisième position et accepterait ainsi de renoncer volontairement à l’élection d’un nombre significatif de conseillers socialistes. Mais elle pourrait également, bien que dans une moindre mesure, pénaliser l’UMP. Il est donc peu probable que ces deux partis puissent passer un tel accord.
L’autre solution serait que, dans les départements où le FN risque d’arriver en tête, l’UMP et le PS fassent liste commune au second tour. C’est-à-dire que ces deux partis constituent alors dans ces départements des listes « UMPS », selon la prophétie auto-réalisatrice du Front national. Il est peu probable que ces deux partis passent un tel accord. Mais c’est pourtant la seule solution à la fois pour donner une traduction partisane et du coup une possibilité d’expression au large « front républicain » électoral qui s’est manifesté dimanche dernier et pour empêcher le Front national de s’emparer de plusieurs régions, dont certaines, telles le grand nord ou Provence-côte d’Azur, sont parmi les plus importantes de France. Les électeurs ont tranché en mars. Les partis trancheront-ils dans le même sens en décembre ? Tel sera le véritable enjeu des élections régionales.
Le PS pour sa part, semble vouloir axer sa stratégie sur le rapetassage de l’union de la gauche, stratégie qui, outre qu’elle ne peut déboucher sur aucun programme commun de gouvernement va consister à combattre et condamner dans un même mouvement la droite modérée et la droite radicale et à tenter de constituer des listes d’union partout au premier tour, rendant donc très peu crédible un accord avec l’UMP au second tour. En outre, il paraît difficile de constituer de telles listes d’union avec le Front de gauche et peu probable, de toutes manières, que de telles listes l’emportent dans un nombre significatif de régions. Quant à l’UMP, face à un PS très affaibli, elle peut préférer diriger à elle seule la grande majorité des régions et conserver sa position centrale entre le FN et la gauche, quitte à faire la part du feu et laisser le FN s’emparer de plusieurs d’entre elles. À ces deux partis de décider. Des décisions qui auront nécessairement une grande portée pour l’avenir.
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