Vox: du national-catholicisme à l’ultranationalisme néolibéral edit
L’irruption de Vox et son succès aux élections régionales andalouses, puis son entrée au Parlement espagnol après le scrutin du 28 avril dernier, ont poussé les analystes à rechercher des clés d’interprétation. L’une d’elles pourrait être une franche adhésion à la droite radicale (depuis une optique ultranationaliste espagnole, et non pas celle des partis populistes européens de la même tendance politique), et une autre la part de continuité et de rupture idéologique et culturelle avec son parti nourricier: le Partido Popular libéral-conservateur dont il est une scission de droite.
L’étiquette de droite radicale permet de comprendre que Vox est un parti qui accepte les règles du système représentatif pour développer un modèle social le plus clairement anti-gauche et anti-démocratique légalement possible. Vox représente donc la quintessence de l’ultranationalisme espagnol contemporain : unité de l’Espagne, catholicisme politique du XIXe siècle, national-catholicisme du XXe et franquisme.
Cependant, si ces éléments étaient ses seules caractéristiques, Vox pourrait être qualifié simplement de droite réactionnaire alors que le parti d’Abascal a vocation à être un parti de droite « attrape-tout » qui ne se sert pas uniquement de la religion comme facteur de légitimité culturelle et politique mais qui incorpore aussi des aspects laïques de la modernité comme la définition culturelle et non pas ethnique de l’identité nationale. Il intègre ces aspects avec des éléments d’extrême-droite comme la régénération de la patrie par la mobilisation des forces vives de l’Espagne contre l’anti-Espagne, une nouvelle Reconquista.
Rappelons que dans son testament le général Franco disait : « Mes ennemis ont toujours été les ennemis de l’Espagne », et rappelons aussi combien il est difficile d’effacer la honte démocratique née du fait que l’Espagne soit le deuxième pays du monde après le Cambodge à avoir eu le plus de victimes de guerre civile qui demeurent enterrées dans les fossés sur le bord des routes alors que l’ancien dictateur repose, lui, dans un mausolée pharaonique.
Comme José-Luis Aranguren l’a exposé de façon magistrale dans Ética y sociedad (1994), au XIXe siècle la construction de l'État-nation espagnol a été menée sous l’hégémonie culturelle de l’Église catholique et les libéraux-conservateurs espagnols ont été, avant tout, des catholiques pour lesquels le sentiment national et l’identité religieuse étaient une seule et même chose sauf dans certains secteurs sociaux externes au système. L’autel, le trône et la chrétienté en général étaient opposés à modernité, depuis les positions les plus extrêmes (carlistes, intégristes) jusqu’aux secteurs les plus modérés qui essayaient, comme Cánovas del Castillo, de rendre compatibles tradition (catholicisme politique) et modernité (libéralisme).
C’est pour toutes ces raisons que l’aggravation des conflits sociaux du dernier tiers du XIXe siècle et du premier tiers du XXe a été provoquée, en partie, par l’aveuglement des élites espagnoles qui contrôlaient les instances du pouvoir. Leur analyse affirmait que la question sociale était apparue parce que les classes populaires avaient cessé d’être catholiques et que, donc, la solution résidait dans la re-catholisation de l’Espagne, bon gré (centres catholiques, presse catholique, Association Nationale des Propagandistes) mal gré. Cette « re-catholicisation » atteignit les élites dirigeantes à travers l’Opus Dei qui incorpora au catholicisme les valeurs protestantes modernes.
Au début du XXe siècle les équilibres qui avaient soutenu le modèle libéral du XIXe se sont rompus et les positions politiques se sont nettement radicalisées, ce qui a donné naissance au national-catholicisme. C’est pour cela que ce dernier était non seulement réactionnaire, anti-libéral et antimoderne mais aussi qu’il a constitué une véritable idéologie qui a servi l’expansion capitaliste du pays, en contournant les dangers révolutionnaires et laïcisants qu’une modernisation capitaliste aurait pu comporter. Pour cette raison l’apogée de l’influence de l’Église espagnole s’est produite pendant le franquisme : financement d’État, privilèges fiscaux maximums, contrôle du système éducatif et traduction législative de ses préceptes moraux.
La droite radicale espagnole a été et est toujours « accidentaliste »*. Les systèmes de gouvernement peuvent changer, mais l’essentiel doit perdurer, comme aimait à le rappeler Manuel Fraga Iribarne, ancien ministre de Franco qui fut l’un des fondateurs en 1989 du Partido Popular. Ceci explique que l’idée de l’Espagne de Cánovas, unitariste et essentialiste, a été pratiquement la même que celle du général Franco et de José María Aznar, Pablo Casado (PP) et Santiago Abascal (Vox) lorsque l’on fait une analyse rigoureuse de leurs idées maitresses. Une idée de l’Espagne qui fait de tout nationalisme périphérique un super-ennemi à détruire et avec lequel il n’y a rien à discuter et encore moins à négocier.
Vox suppose cependant un certain changement de doctrine à la fois par sa continuité et sa discontinuité avec le Partido Popular: Il se présente comme un parti strictement néolibéral. Son modèle consiste en une économie de marché et une société sans réglementation : liberté, éducation privée, système de santé privé, justice privée... et même sécurité privée : vente libre d’armes (avec le soutien enthousiaste du lobby des armes espagnol). Comme l’affirme José-María Llanos, leader de Vox à Valence, « nous ne sommes pas Podemos, nous ne voulons pas un grand État. Moins on a d’État, plus on a de liberté pour les citoyens ». Ou dans l’opuscule C’est quoi Vox où nous pouvons lire : « Nous parions sur les Valeurs, la Famille et la Vie (...) nous croyons en un système basé sur la liberté, où les impôts soient le plus réduits possible et même éliminés. Moins d’impôts, plus d’emplois ; moins d’État, plus de liberté ».
Au départ, le Partido Popular utilisait comme référence doctrinale en matière socio-économique la doctrine sociale de l’Église en essayant de la combiner avec les idéaux émergents néolibéraux. Puis vint Aznar qui a initié un changement culturel et idéologique significatif à travers les gouvernements qu’il a présidé puis, ensuite, avec sa fondation Faes, Abascal qui croit que l’Espagne aujourd’hui ne se porte pas bien. Mais comme l’affirme avec sagesse un tango argentin (Nostalgia) : « il n’y a pas pire nostalgie que celle de ce qui n’a jamais existé ».
* Note de la traductrice : la droite conservatrice dite accidentaliste pendant la Seconde République espagnole (1931/1939) voulait prendre le pouvoir sans pour autant changer de régime (république ou monarchie) car elle pensait que la forme de régime n’avait pas d’incidence sur la politique.
Cet article, traduit par Isabel Serrano, est publié en espagnol par notre partenaire Agenda Publica.
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