Affaire Vincent Lambert: la preuve par l’image? edit
L’affaire Vincent Lambert aura-t-elle un dénouement? Les controverses juridico-politiques suscitées par la situation de ce patient, traumatisé crânien, se succèdent sans interruption. Bien que la Cour Européenne des Droits de l’Homme ait récemment confirmé la décision du Conseil d’État en faveur de l’arrêt des soins, les saisines successives des plus hautes instances judiciaires et éthiques nationales et européennes ne semblent pas pour autant marquer un coup d’arrêt à « l’obstination juridique déraisonnable » liée à ce drame humain. Le dernier rebondissement en date concerne le dépôt d’une demande en révision de la décision de l’arrêt des soins à la Cour Européenne par les parents de Vincent Lambert à la fin du mois de juin. Si nous apprenons son rejet à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’affaire n’est pas terminée car l’avocat des parents n’exclut pas la possibilité de saisir à nouveau la justice française sur d’autres motifs. Comment peut-on expliquer l’inscription de cette affaire médicale dans la longue durée? L’indétermination médicale du niveau de conscience de Vincent Lambert n’est pas sans rapport avec l’indécision politique liée à la poursuite ou non du traitement de ce patient.
L’actualité médicale française et internationale est de plus en plus souvent jalonnée de controverses s’inscrivant dans le champ du « neuro-droit ». Ce domaine rassemble les préoccupations liées à l’interprétation politique et juridique des données issues des neurosciences. En particulier, les débats des experts autour du diagnostic des états de conscience, notamment pauci-relationnel, constituent depuis ces deux dernières décennies un fort enjeu politique comme le révèlent les débats relatifs à la prise en charge de patients souffrant de graves traumatismes crâniens qui sont souvent intenses. Il n’est pas rare d’assister à une forte médiatisation de leur situation clinique en raison du fait que leurs capacités relationnelles et fonctionnelles sont très lourdement entravées, sans que le pronostic vital n’apparaisse comme étant nécessairement engagé. Aux yeux du personnel médical, le diagnostic médical des niveaux d’altération de la conscience demeure complexe et implique de suivre le patient sur la longue durée compte tenu du fait qu’il peut manifester des niveaux fluctuants de conscience. L’actualité française sur la fin de vie a été maillée de controverses ayant trait au diagnostic et à la prise en charge de ce type de patients qui sont plus de mille cinq cents en France. L’affaire Vincent Humbert en 2002 est à l’origine de la loi Léonetti 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. L’horreur de sa situation marqua durablement l’opinion publique car ce patient se présentait comme emmuré dans un corps ne répondant plus à ses tentatives de communication. Cet état de locked-in syndrome fut popularisé par l’écrivain Jean-Dominique Bauby qui utilisa le clignement de son œil gauche pour transmettre des mots, puis des phrases à un interprète. Il fit publier Le Scaphandre et le Papillon, un ouvrage autobiographique relatant son vécu dans ce syndrome d’enfermement. Il s’en suivit une adaptation cinématographique en 2007. Aujourd’hui, la liste des grands traumatisés crâniens est allongée par Vincent Lambert, qui présente une lourde altération de la conscience suite à un accident de la route sept ans plus tôt. Outre sa longueur, le traitement juridico-politique de sa prise en charge est particulièrement agité. Elle est indissociable de deux cultures médicales antagoniques : celle de la fin de vie et celle du grand handicap.
Cette situation mobilise deux registres contradictoires de normes d’accompagnement des patients. Cette tension normative, l’une conduisant à maintenir le traitement, l’autre à l’arrêter, explique en grande partie la récurrence des débats autour de ces situations extrêmement sensibles. D’un côté, la loi Kouchner relative aux droits des malades s’applique à toute personne hospitalisée. En tant que grand traumatisé crânien, Vincent Lambert relève de centres de rééducation adaptée à sa situation, visant à stabiliser son état de santé et à questionner la possibilité d’une réinsertion relationnelle, même très limitée, auprès de ses proches. La nutrition et l’hydratation par voie artificielle apparaissent comme des soins fondamentaux indispensables dont l’arrêt correspond à un homicide. À ce référentiel de normes, s’ajoute un deuxième contradictoire du premier. Outre la gravité des lésions cérébrales, ce patient est marqué par leur caractère irréversible, ce qui l’inscrit dans le cadre de la loi Léonetti sur l’accompagnement en fin de vie. Dans cette optique, Vincent Lambert relève plutôt des unités de soins palliatifs. La nutrition et l’hydratation par voie artificielle sont considérées comme des traitements susceptibles d’être arrêtés et non pas des soins puisqu’ils peuvent placer le patient dans une situation d’obstination déraisonnable. Le Conseil d’État se réfère à ce dernier sillage après l’expertise médicale ordonnée en février 2014 ayant conclu à une dégradation de l’état de conscience de Vincent Lambert.
La difficulté à déterminer le niveau d’atteinte cérébrale du patient déplace le débat opposant les partisans du laisser-mourir à ceux qui réclame sa reconnaissance comme grand handicapé sur le terrain de l’image. Aussi, la demande en révision de la décision de la Cour Européenne est associée à la diffusion sur internet d’une vidéo-choc de quelques minutes exposant les « réactions » de Vincent Lambert dans sa chambre du CHU de Reims en réponse à des stimulations de ses proches. La caméra se concentre notamment sur les mouvements du visage et des yeux de Vincent Lambert. Bien que le Conseil supérieur de l’audiovisuel considère que cette diffusion sans consentement préalable et sans brouillage du visage du patient constitue une atteinte à sa vie privée et à sa dignité, l’objectif des partisans de la poursuite des soins, qui associe quelques membres de la famille Lambert et des militants catholiques, est de prouver que le patient a encore une vie relationnelle et qu’il est capable de réagir à son environnement. En d’autres termes, l’image est là pour démontrer qu’il s’agit d’un patient handicapé et non pas d’une personne en fin de vie. À cette vidéo, s’opposent les clichés obtenus à partir des nouvelles technologies d’imagerie cérébrale et qui, selon les experts du Conseil d’État, ne révèlent pas un état de conscience, même minimal. Pour les partisans du maintien en vie de Vincent Lambert, l’absence de preuve d’éléments de conscience ne constitue pas la preuve de leur absence…
L’affaire Vincent Lambert nous enseigne que les controverses autour du grand handicap vont impliquer de plus en plus des techniques de neuro-imagerie. Les difficultés liées à l’interprétation de ces données et la fluctuation des états cliniques de ces types de patients font dire à certains scientifiques que l’entrée de la neuro-imagerie dans le droit est prématurée. C’est pourquoi la situation de ce jeune patient présente une plus grande complexité décisionnelle en raison de désaccords relatifs à son niveau d’altération de conscience. La lutte par l’image traduit la double exigence des acteurs impliqués : la vidéo de la famille Lambert renvoie à l’appréciation subjective de la qualité de vie du patient et les données obtenues à partir des techniques d’évaluation objective des fonctions cérébrales se concentrent à préciser toujours davantage l’état de conscience du patient. Ce trouble ontologique en fait une personne dont il faut tantôt encadrer le devenir de grand handicapé, tantôt gérer les limbes du dernier souffle.
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