COP21: peut-on parler de droits de l'humanité? edit
Dans une indifférence quasi générale, Corinne Lepage, missionnée en juin par le Président de la République, a remis en septembre son rapport et sa proposition de déclaration universelle des droits de l'humanité. Cette proposition s'inscrit dans le cadre de la COP21 et vise à développer une nouvelle génération de droits que la résolution des questions environnementales imposerait.
L'immensité des problèmes posés par le principe même d'une telle déclaration suggérerait de prudemment éviter un commentaire tant il est délicat d'aborder le sujet. Les termes du débat posent des questions inextricables entre la place de l'homme dans la nature, la notion d'humanité au regard de l'individu ou encore ce qu’il convient d’entendre par environnement. Il est facile d'ironiser sur une telle ambition ou au contraire de se réfugier dans des discours lénifiants très éloignés des questions juridiques. Pourtant, la démarche permet au moins de mettre en évidence des enjeux juridiques et, au delà des réponses apportées, devrait susciter le débat.
Écartons d'emblée les objections qui pourraient venir du caractère peu opérationnel à court terme d'une déclaration des droits de l'humanité. Il ne s'agit pas à ce stade de proposer des mécanismes directement juridictionnels. On ne niera pas que cette absence de perspectives ôte beaucoup de force à la proposition. Cependant, on peut, comme le fait le rapport Lepage, considérer qu'il s'agit d'une première étape et que, même si le chemin à parcourir reste long, un premier pas n'est pas inutile.
Mais, si on se place dans le champ du droit, on ne peut pas se contenter d'un texte de portée purement philosophique, d'un texte poétique ou encore d'une vision politique. Il faut examiner si une telle déclaration, en ouvrant des voies nouvelles, peut présenter un intérêt pour le juriste.
Il faut d'abord souligner que l'humanité n'est pas absente du domaine juridique et n'est pas même une innovation puisque la notion de patrimoine commun à l'humanité, présente dans le droit de la mer, s'est imposée aux juristes dès le Mare Liberum de Grotius au dix-septième siècle. Ce patrimoine comprend aujourd'hui des biens culturels et naturels identifiés par l'UNESCO. La reconnaissance au vingtième siècle du concept de crimes contre l'humanité ne limite plus au droit de propriété l'humanité juridique mais créée un lien entre certaines atteintes aux individus et une atteinte à la dignité de l'homme pris dans son abstraction.
Pour autant, l'humanité comme concept juridique reste peu précise et source d'interprétations multiples et divergentes. Les rares apparitions du terme dans le droit n'en font pas un concept autonome dont l'interaction avec la notion d'individu et d'Etat est claire. Ce n'est pas en soi une difficulté insurmontable pour le juriste puisque la cohérence d'un système juridique, si elle est un idéal, n'est pas une condition indispensable à sa mise en œuvre. On peut en effet s'accommoder d'une terminologie approximative, à la réserve cependant que cette terminologie puisse fournir des instruments utiles à la résolution de problèmes juridiques.
Le contexte du problème ne fait guère débat. Le changement climatique et plus généralement la dégradation de l'environnement posent des problèmes planétaires dont la résolution ne peut résulter que de l'engagement de l'ensemble des États. Nous sommes donc confrontés à la nécessité d'une coopération internationale poussée. Au-delà de l'individu et de l'Etat faut-il développer un nouveau concept juridique pour mieux prendre en compte cette exigence ? On observera que le concept juridique d'humanité est précisément apparu afin de limiter la souveraineté des Etats. Que ce soit pour éviter une appropriation dommageable ou pour éviter l'impunité, c'est bien pour opposer à l'Etat une souveraineté d'un autre type que l'humanité juridique apparaît. En ce sens, le concept est bien pertinent au regard des menaces environnementales. Une déclaration des droits de l'humanité permet alors de poser l'humanité comme sujet de droit, au moins face aux Etats.
On peut être sceptique sur l'intérêt que les Etats auraient à promouvoir l'humanité comme limite à leur souveraineté. Mais cet obstacle apparent n’en est pas un, au moins du point de vue théorique puisqu’une telle situation n'a rien d'exceptionnel. Cela a déjà été le cas comme nous l'avons vu pour le droit de la mer, mais plus encore, c'est bien l'Etat qui protège les droits individuels.
La difficulté la plus sérieuse est d’identifier les intérêts qui doivent être préservés par l’émergence de l’humanité comme sujet de droit. Il est difficile de ne pas - comme dans le cas du crime contre l’humanité - partir d’une violation des droits individuels pour n’utiliser l’humanité juridique que comme un artefact permettant de s’opposer à la souveraineté étatique. Mais alors faut-il que tous les droits individuels, s’ils sont bafoués, entrent dans le champ des droits de l’humanité ? C’est un peu l’impression que l’on a à la lecture de la proposition de déclaration, par exemple pour le droit à la paix.
L'analyse détaillée du projet de déclaration soulèverait d'autres questions, notamment celle de savoir si le concept d'humanité permet de prendre en compte implicitement tous les intérêts de la nature. En d'autres termes une approche anthropocentrée, même étendue aux générations à venir, suffit-t-elle ? La préservation des intérêts des générations futures est également source de perplexité dès qu’on essaye de donner un peu de contenu précis à cette notion. Mais de telles questions ne méritent-elles pas un peu plus qu’un silence poli ?
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