La valse des patrons edit
Depuis 18 mois c’est la valse des patrons. Patrons démis nuitamment comme Christian Streiff, sans même un communiqué d’éloges, patrons victimes de « board coups » au cœur du capitalisme de connivence comme Thierry Morin, patrons démis par l’État au nom de la crise et du principe de responsabilité comme Rick Wagoner de GM aux États-Unis, le phénomène est suffisamment massif et rare pour qu’on s’y arrête. S’agit-il d’une accélération justifiée par temps de crise ? Ou au contraire d’un phénomène générationnel, d’un passage de témoin classique ? S’agit-il enfin d’une évolution dans la corporate governance favorisée par l’arrivée des fonds activistes ?
Une revue des mouvements patronaux à la tête des grandes entreprises françaises laisse en effet perplexe : sont concernées par ces mouvements patronaux des entreprises contrôlées comme des entreprises non contrôlées, des firmes en crise ou préservés de celle-ci, des conseils d’administration avec actionnaires activistes comme des conseils plus classiques.
En fait on observe trois tendances autonomes qui produisent des effets agrégés significatifs dans le contexte présent.
Lafarge, Total, Schneider, SocGen, Aventis aujourd’hui comme L’Oréal, Saint-Gobain ou la BNP hier obéissent à un modèle de renouvellement générationnel organisé de longue date et mis en œuvre très progressivement. Dans ce modèle, le PDG coopte son successeur, fait entériner son choix par le Conseil et au passage éclate la fonction de PDG entre un président maintenu (Bouton à SocGen) et un jeune DG (Oudea à SocGen). Ces cas témoignent parfois de traditions gestionnaires solides et d’une préparation très en amont de la succession. Ils témoignent aussi de la pérennité de conseils bien tenus en main par le PDG qui organise sa succession. N’y a-t-il pas en effet dans cette dissociation de fonctions la volonté du PDG de durer même après l’atteinte de l’âge légal de la retraite et de préserver un pouvoir ou une influence d’autant plus notables que le CA a été façonné par le président maintenu ? En d’autres termes le renouveau générationnel masque souvent le dur désir de durer de PDG emblématiques de la mondialisation des firmes françaises des vingt dernières années, qui ont mené à bien la privatisation et l’expansion globale de leurs firmes et qui n’entendent pas se retirer pleinement une fois leur mandat achevé.
Carrefour, PSA, Atos, Wendel, Valeo représentent des cas plus intéressants car des familles en position de quasi-contrôle, des actionnaires activistes issus de fonds d’investissement ne s’embarrassent guère d’un formalisme excessif pour mettre un terme au mandat du PDG, quand des divergences stratégiques émergent, que la performance est insuffisante ou que le management tarde a valoriser l’investissement de l’actionnaire. En bonne gouvernance, un actionnaire qui entend exercer la plénitude des fonctions de contrôle doit prendre la majorité, au besoin par l’OPA, et démettre un management failli. Dans les cas évoqués plus haut des groupes familiaux ou des fonds d’investissement minoritaires en capital, exercent un pouvoir de fait. À la faveur de la crise, de l’effondrement boursier et de l’atonie des actionnaires minoritaires, des groupes d’investisseurs activistes parviennent à établir un nouveau rapport de force et s’emparent du contrôle sans avoir à en payer le prix. Les conséquences risquent de n'apparaître que tardivement lorsqu’on se rendra compte que des groupes, naguère prospères, ont été affaiblis en cédant des actifs, en bas de cycle, pour servir des intérêts minoritaires. La crise sans fin d’Atos avec l’irruption de fonds activistes, les guerres entre groupes d’actionnaires et managers, illustrent cette tendance récente
Les Caisses d’épargne, les Banques populaires, Dexia enfin illustrent la nouvelle stratégie d’un État pourvoyeur de capitaux et de garanties publiques à des banques en crise et qui offre aux opinions publiques excédées la tête des dirigeants. Ces mouvements soulèvent trois types d’interrogations. Va-t-on voir revenir à la faveur de la crise un capitalisme d’État politiquement orienté ? On peut le craindre lorsqu’on voit Nicolas Sarkozy nommer de proches collaborateurs ou des fidèles politiques a la tête d’entreprises assistées prises dans la tourmente financière. On croyait à jamais bannies des pratiques de nomination à la tête des entreprises publiques fondées sur l’allégeance politique ou la répartition des dépouilles entre inspecteurs des finances ayant appartenu à des cabinets de gauche lors des nationalisations ou à des cabinets de droite lors des privatisations. Le pouvoir politique peut nommer des commis et leur abandonner le pouvoir au nom de l’autonomie stratégique et de gestion des entreprises publiques. Plus inquiétant serait le choix, à la faveur de la crise, de voir l’État intervenir plus directement dans la gestion, favoriser telle ou telle activité, et par exemple gérer le crédit en fonction de considérations sociales locales ou politiques. Certes on peut imaginer un dispositif vertueux dans lequel l’État intervient, recapitalise des banques en difficulté, les redresse et les cède rapidement à de nouveaux actionnaires. Mais pourquoi alors nommer un dirigeant en situation d'allégeance personnelle envers le président s’il s’agit de gérer, en investisseur avisé, une participation publique provisoire ?
Que conclure de ces évolutions? Pendant qu’on annonce sur les tréteaux une refondation du capitalisme, des évolutions plus inquiétantes sont à l’œuvre : maintien de dirigeants par contrôle de conseils d’administration au recrutement endogamique, arrivée d’actionnaires activistes qui ne paient pas le prix du contrôle, et risque de rechute de l’État appelé à secourir des entreprises et appliqué à favoriser les fidèles du chef de l’État.
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