Droits de l'Homme dans l’UE : merci la Douma ! edit
En approuvant le 15 janvier 2010 la ratification du protocole 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Douma lève le dernier obstacle à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Ce protocole permet principalement de simplifier les procédures de la Cour, ce à quoi s'opposait la Russie, dernier État à ratifier le texte parmi les 47 que compte le Conseil de l'Europe. Mais il permet aussi à l’UE de ratifier ce texte alors que, jusqu'à présent, seuls des États pouvaient adhérer. Cela n'est pas sans conséquence pour l'architecture juridique européenne.
Le Traité de Lisbonne a, quant à lui, ouvert la porte à une ratification par l'Union puisque l'article 6 du Traité sur l'Union européenne stipule que « L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. ». Tous les ingrédients sont disponibles pour que l'architecture juridictionnelle de l'Union soit modifiée de façon très substantielle. En effet, à l'issue du processus de ratification, la Cour de Justice pourra voir ses arrêts contestés devant la Cour de Strasbourg. On arrive donc au terme d'un débat initié depuis la fin des années 70 marqué notamment par l'avis de la Cour de Justice du 28 mars 1996 estimant alors que le Traité ne permettait pas une adhésion directe de l'Union.
Qu'est-ce que cela change pour le droit de l'Union ? L'adhésion à la Convention s'inscrit dans une évolution majeure de la place des droits fondamentaux dans le droit de l'Union. Ceux-ci ont été introduits dès 1969 par la Cour de Justice – en absence de toute référence dans les Traités – qui a ensuite précisé en 1974 que la source principale de ces droits est à la fois le droit constitutionnel des États membres et la Convention. Formulation de la Cour reprise ensuite dans le Traité de Maastricht. On peut remarquer que l'article 6 du Traité de Lisbonne intègre les droits fondamentaux au droit de l'Union d'une façon plus directe alors que la formulation prévalant jusqu'alors précisait seulement que l'Union respectait les droit fondamentaux résultant à la fois la Convention et des principes constitutionnels des États membres. Le Traité de Lisbonne donne de plus à la Charte des Droits fondamentaux une valeur contraignante. Il y a donc incontestablement une modification de perspective qui fait passer les droits fondamentaux d'une situation de droits extérieurs au droit de l'Union - intervenant en tant que principes généraux - à une situation de droits inscrits dans des textes, la Charte et la Convention.
Nous sommes donc face à trois sources potentielles pour les droits fondamentaux : des principes généraux, la Charte et la Convention. Est-ce que cela ne fait pas un peu trop de sources pour ces droits ?
En absence de droit fondamentaux écrits, la Cour a fait usage de principes généraux : ceux-ci ont donc joué jusqu'à présent le premier rôle quand il s'agit pour le juge d'arbitrer entre les exigences du Traité et des principes supérieurs, situation dont il faut souligner la fréquence. C'est bien le rôle d'un juge de trouver l'équilibre entre des principes et le juge européen ne pouvait ignorer les droits fondamentaux.
La situation change avec des droits inscrits dans le texte même des Traités. Le Président de la Cour a pu souligné en 2005 devant le Parlement européen que le juge, entre une source écrite et des principes généraux, ferait probablement pencher la balance en faveur des textes et qu'il serait donc amené à n'utiliser les principes généraux qu'à titre subsidiaire. Cependant, il serait prématuré d'annoncer la disparition de la référence à ces principes généraux car l'usage de la Charte par le juge est difficile du fait des réserves du Royaume-Uni et de la Pologne : développer de la jurisprudence à partir du texte de la Charte impliquerait une Europe juridique à deux vitesses difficile à concevoir.
C'est donc bien l'adhésion à la Convention qui fait la différence car la Convention ne peut être considérée comme une source parmi d'autres : tous les États membres ont accepté d'inscrire leur droit – y compris constitutionnel – dans le cadre de la Convention et sont soumis à l'interprétation de la Cour de Strasbourg. La Charte elle-même est pour une large part inspirée par la Convention et, à défaut de se référer à ses articles pour préserver l'unité du droit européen, il sera possible de faire appel à la jurisprudence de Strasbourg. Enfin, la Cour de Justice pourra voir ses arrêts infirmés par la Cour de Strasbourg si ceux-ci ne sont pas conformes à l'interprétation des droits garantis par la Convention. Le juge européen sera donc amené à s'y référer sans réserve. En définitive, la Convention est bien aujourd'hui la source principale des droits fondamentaux pour le droit de l'Union.
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