La police est-elle vraiment plus efficace ? edit
Les responsables de la police nous assurent qu’elle serait aujourd’hui plus efficace. Le nombre des délits diminuerait grâce à la hausse du taux d’élucidation. Mais les délits qui ont régressé en nombre sont parmi les plus mal élucidés et le sont de moins en moins. Il est donc improbable que ces infractions aient vu leur nombre s’effondrer sous la pression policière.
Il y a d’abord certains petits arrangements statistiques avec la délinquance ou la procédure, qui tiennent à l’introduction d’une culture du chiffre. On mentionnera ainsi la curieuse augmentation des taux d’élucidation au-delà de 100% car les policiers ont de plus en plus tendance à compter plusieurs fois l’élucidation d’un même délit, ce qui améliore artificiellement les chiffres. On notera que les personnels affectés à la prise de plainte soient moins nombreux, augmentant ainsi le temps d’attente et décourageant la plainte pour les petits délits. On relèvera enfin que ce sont les policiers qui décident de considérer un délit comme élucidé et utilisent cette marge de manœuvre en fonction des pressions de la hiérarchie. Comment s’étonner alors si les magistrats se plaignent dans un rapport interne de la chancellerie que « les services d'enquête méconnaissent les éléments utiles à l'analyse et au débat judiciaire, comme si le sens des enquêtes n'était plus maîtrisé » ?
Regardons les chiffres disponibles. Quels sont les délits qui ont le plus diminué ou augmenté ? Entre 2002 et 2006, les violences progressent nettement (coups et blessures : + 30 000), l’usage de stupéfiants (+23 000), les menaces et chantages (+10 000), les incendies de biens privés, notamment dans le cadre des émeutes ou violences urbaines (+ 7000). Dans le même temps, la baisse se concentre sur les atteintes liés à la possession d’un véhicule : vols de voiture –73 000, vols dans les voitures –87 000, vols d’accessoires –43 000) et les faux chèques (-38 000).
Il suffit maintenant de regarder si les types de délits qui baissent sont plus souvent élucidés, et inversement. La délinquance s’aggrave… là où les élucidations augmentent : coups et blessures, violences urbaines, chantage, et surtout l’usage de stupéfiants (+ 37 000 élucidations). Enfin, les élucidations au « séjour des étrangers » s’élèvent fortement (+ 29 000). Pour avoir de bons résultats, rien d’aussi efficace que d’interpeller un usager ou un étranger en situation irrégulière : aussitôt vue, l’infraction est élucidée, ce qui permet d’afficher un taux de 100%. Rien de tel pour améliorer « l’efficacité policière ».
Dans le même temps, les délits qui diminuent sont non seulement ceux dont les taux sont parmi les plus faibles (7%), mais ceux dont l’élucidation régresse ou ne progresse pas. Le nombre d’élucidation est stable pour les vols liés à l’automobile (objets et d’accessoires), et décline pour le reste (-5000 pour les vols de voiture et la tendance ne date pas d’hier, -17 000 depuis 1996), tout comme celle des faux chèques (-9000).
On l’a compris, il faut une bonne dose d’humour pour trouver dans la statistique de police la preuve de l’efficacité policière. Le taux d’élucidation est le résultat d’une division. Au numérateur on trouve le nombre de faits élucidés par la police et au dénominateur le nombre de faits constatés. Le taux d’élucidation peut donc baisser soit parce qu’on enregistre moins de délits, soit parce que la police élucide plus de délits. L’amélioration des taux d’élucidation s’explique ainsi surtout par la baisse de la délinquance, qui elle-même découle des efforts des constructeurs d’automobile, des fabricants d’autoradios et des banques.
Le fait de raisonner en « taux d’élucidation » plutôt qu’en nombre permet d’attribuer à la police des « résultats » qui sont ceux des industriels. Comme les banques nous ont amenés à abandonner le chèque au profit de la carte de crédit sécurisée, elles font fondre les délits de fraude. Comme les constructeurs automobiles mettent des alarmes, des coupe-circuit et des serrures anti-crochetages, les voleurs sont à la peine. Grâce à l’industrie, la sécurité de nos biens progresse. Et, avantage collatéral, le dénominateur du taux d’élucidation policier diminuant fortement permet d’afficher une « performance » incomparable. Dans le même temps, la police constate plus de petites infractions à la législation, par définition aussitôt élucidées. Tels sont les ressorts bien triviaux de l’actuel miracle du « bon bilan » policier.
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