Les origines sociales et le QI des inventeurs edit

3 janvier 2018

Qui devient inventeur ? Les individus les plus doués, ou ceux qui sont issus d’un milieu socio-économique privilégié ? En travaillant sur des séries statistiques américaines et finlandaises, nous faisons apparaître des dynamiques sociales significatives. Cette analyse a des implications politiques.

Testons, pour commencer, un premier facteur : le revenu des parents. La figure 1 illustre la relation entre la probabilité d’un individu de devenir inventeur et le revenu de son père. Nous utilisons des données américaines récentes (la Figure 1A est tirée de Bell et al, 2017), des données américaines historiques (la Figure 1B est tirée de Akcigit et al, 2017) et des données finlandaises récentes (Figure 1C).

Dans les trois cas, la probabilité de devenir inventeur augmente avec le revenu du père, et cet effet est non linéaire : il est particulièrement prononcé aux niveaux les plus élevés du revenu du père. La probabilité d’innover, pour un individu dont le père est au sommet de la distribution des revenus, est environ dix fois plus élevée que pour un individu dont le père est au bas de la distribution des revenus. La similitude entre la Finlande et les États-Unis est d’autant plus remarquable que dans les comparaisons internationales, contrairement aux États-Unis, la Finlande affiche de faibles inégalités de revenu et une mobilité sociale élevée ; en outre, et là encore au contraire des Etats-Unis, elle offre une éducation gratuite jusqu’à l’université.

Poursuivons notre enquête, en nous concentrant sur le cas finlandais. Que se cache-t-il derrière la forte relation entre le revenu du père et la probabilité de devenir inventeur ?

La figure 2 présente la probabilité d’inventer par rapport aux percentiles du quotient intellectuel visuo-spatial. Elle montre que la probabilité d’inventer est en association croissante et convexe avec le QI, et que les individus à QI très élevé sont cinq à six fois plus susceptibles d’inventer que ceux qui ont un QI moyen.

Pour explorer plus en détail comment le contexte socio-économique et le QI influent sur la probabilité de devenir inventeur, nous combinons trois ensembles de données : (i) les données individuelles sur le revenu, l’éducation et le statut socioéconomique des parents fournies par Statistics Finland (SF) ; (ii) les données individuelles sur les brevets de l’Office européen des brevets (OEB) ; (iii) les données sur le QI issues des tests conduit par l’armée finlandaise. Étant donné que la conscription ne touche que les hommes en Finlande, nous nous concentrons ici sur la main-d’œuvre masculine.

Notre première constatation est que le revenu des parents a de l’importance pour la probabilité de devenir inventeur, mais que l’impact estimé de ce revenu diminue sensiblement si l’on prend en compte leur situation socioéconomique, leur niveau d’études et le quotient intellectuel de l’individu. La figure 3 résume nos constatations. Premièrement, la relation globale entre le revenu du père et la probabilité de devenir inventeur est représentée par la courbe supérieure (cette courbe reflète la figure 1). Cette courbe reflète-t-elle un effet direct du revenu parental sur la probabilité qu’un  individu devienne inventeur ? La réponse est non.

En effet, si nous contrôlons le statut socioéconomique des parents (par exemple, le fait que le père ou la mère soit cadre supérieur), puis leur niveau d’études, et ensuite le quotient intellectuel de l’individu, nous constatons que la relation entre le revenu des parents et la probabilité de devenir inventeur va en diminuant et devient de plus en plus plate. Cela suggère que la relation apparente entre le revenu parental et la probabilité d’inventer cache des canaux plus complexes, qui n’ont pas été pris en compte ou analysés par d’autres études sur les origines sociales des inventeurs.

Un premier canal est que les parents à revenu élevé jouissent généralement d’un statut socioéconomique plus élevé. Un deuxième canal est que les parents à revenu élevé ont tendance à être plus instruits, et à fournir à leur tour à leurs enfants une éducation de qualité, qui les aidera à devenir des inventeurs. Une troisième voie possible est que les parents à revenu élevé ont des enfants dont le QI est plus élevé et que les enfants dont le QI est plus élevé sont plus susceptibles d’innover.

Notre deuxième constatation est que le quotient intellectuel visuo-spatial (la mesure du quotient intellectuel qui reflète le mieux la capacité innée) a un effet positif sur la probabilité d’inventer - un effet presque cinq fois plus grand que celui d’avoir un père gagnant de hauts revenus. Pour examiner l’endogénéité potentielle du quotient intellectuel, nous concentrons notre analyse sur les inventeurs potentiels dont l’âge est proche de celui d’un frère, ce qui nous permet de contrôler les caractéristiques variables temporelles propres à la famille. L’effet du quotient intellectuel sur la probabilité d’inventer est robuste, si l’on ajoute ces contrôles.

Il est intéressant de comparer l’impact des revenus parentaux et du QI sur la probabilité de devenir inventeur avec leur impact sur la probabilité de devenir avocat ou médecin. Tout d’abord, nous constatons que si tous les individus appartenaient au décile de QI le plus élevé, la probabilité d’inventer augmenterait de 183% alors que la probabilité de devenir avocat resterait inchangée et que la probabilité de devenir médecin augmenterait de (seulement) 86%. D’autre part, si tous les individus avaient un père dans le décile de revenu supérieur, la probabilité de devenir inventeur augmenterait d’environ 30%, alors que la probabilité de devenir avocat et médecin augmenterait beaucoup plus (respectivement de 78% et 72%). Dans l’ensemble, le QI compte davantage et le revenu et l’éducation des parents compte moins pour devenir inventeur que pour devenir avocat ou médecin.

Cela signifie-t-il que le milieu familial n’a pas d’importance pour devenir inventeur? Ici encore, notre réponse est négative. Nous montrons l’importance de la structure familiale en comparant des individus avec un parent biologique disparu ou des individus avec un beau-parent. Nous constatons que le divorce des parents réduit la probabilité de devenir inventeur et que le revenu des parents biologiques n’a d’importance que lorsque l’enfant vit avec eux.

Ensuite, nous explorons la complémentarité entre le QI et les antécédents familiaux. Nous constatons une interaction positive significative entre le quotient intellectuel d’un individu et le revenu de son père. Il s’agit là d’une source potentielle de mauvaise répartition, à savoir qu’une fraction positive de personnes ayant un QI très élevé obtiendra un rendement inférieur à celui des innovateurs potentiels en raison de l’insuffisance des ressources parentales. Pour mieux illustrer ce point, considérons deux personnes A et B dont les pères appartiennent au quintile de revenu le plus faible. L’individu A a un QI moyen alors que l’individu B a un QI supérieur, dans les 4% supérieurs de l’échantillon. La réaffectation de l’individu A vers un père appartenant au quintile de revenu supérieur augmentera la probabilité que A devienne inventeur. Mais la réaffectation de l’individu B vers ce même père augmentera trois fois plus la probabilité que B devienne inventeur. Cela suggère que les personnes ayant un QI élevé sont particulièrement touchées par la mauvaise allocation des ressources : l’insuffisance des ressources parentales nuit de façon disproportionnée aux individus les plus doués, ce qui érode le potentiel d’innovation de l’économie. 

L’une des façons dont le revenu des parents et le QI peuvent interagir, c’est par le biais de l’éducation de la personne elle-même. En utilisant notre échantillon, nous constatons que le fait d’avoir une maîtrise ou un doctorat en sciences a un effet beaucoup plus important sur la probabilité d’inventer que toute autre variable. De plus, quand l’on tient compte de l’éducation de la personne, les effets de toutes les autres variables, sauf le QI, sont grandement réduits. Mais qu’est-ce qui détermine l’éducation d’un individu? En fait nous constatons que le QI représente 40% de la variation expliquée dans l’éducation individuelle des individus, suivi du niveau d’études des parents (27%), le revenu parental contribuant pour moins de 5%. Dans l’ensemble, nos résultats suggèrent donc un rôle prépondérant du niveau d’études des parents et du QI dans la probabilité qu’un individu devienne inventeur.

Cette analyse a des implications politiques intéressantes. Premièrement, elle suggère qu’en investissant massivement dans l’éducation jusqu’au niveau du doctorat (STEM), un pays devrait accroître considérablement son potentiel global d’innovation tout en rendant l’innovation plus inclusive. Deuxièmement, bien que le QI soit d’une importance capitale pour déterminer le niveau d’éducation, les antécédents familiaux et l’éducation des parents, en particulier, jouent également un rôle important, même dans un État providence équitable comme la Finlande, où l’éducation est gratuite jusqu’à l’enseignement universitaire.

Une version anglaise de cet article est publiée par notre partenaire VoxEU. 

Références

Aghion, P., Akcigit, U., Hyytinen, A., and Toivanen, O. (2017), “The Social Origins of Inventors”, NBER Working Paper 24110 and CEPR DP12496.

Akcigit, U., Grigsby, J., and Nicholas, T. (2017), "The Rise of American Ingenuity: Innovation and Inventors of the Golden Age", NBER Working Paper 23137 and CEPR DP11755.

Bell, A., Chetty, R., Jaravel, X., Petkova, N., and Van Reenen, J. (2017), "Who Becomes an Inventor in America? The Importance of Exposure to Innovation”, NBER Working Paper 24062.