Coronavirus: il faut assumer le coût à court terme de la prévention edit
L’épidémie du coronavirus SARS-CoV-2 est devenue une pandémie. Alors qu’elle semble être contenue en Chine, elle se développe rapidement au Japon, en Iran, en Italie et ailleurs en Europe, y compris la France. Aux États-Unis, le CDCP, en charge de la prévention et du contrôle des maladies, a prévenu les autorités que le pays ne serait pas épargné, ce qui a provoqué une lourde chute des marchés financiers, toujours en cours. Comme vient de l’illustrer le match de football entre la Juventus de Turin et l’Olympique Lyonnais, la question du coût économique des mesures à prendre pour enrayer l’épidémie est entrée dans le débat politique. Bien que les informations en provenance de Chine soient partielles, il serait irresponsable de les ignorer. Leur leçon : en la matière, la procrastination est la pire des politiques et le coût élevé des mesures radicales nécessaires pour endiguer l’épidémie en vaut la chandelle. Parallèlement, penser que des mesures économiques de stimulation budgétaire ou monétaire pourraient effacer le choc est une illusion.
La mort du Dr Li a causé un virage à 180° des autorités chinoises
Courant décembre 2019, les premiers cas d’infection par une nouvelle variante de coronavirus avaient été détectés dans la ville de Wuhan, mais les autorités avaient vite imposé un blackout, que ce soit par crainte d’une réaction de panique de la population ou, plus probablement, par crainte de déplaire en haut lieu. La mort du Docteur Li, l’un des premiers à avoir alerté de la menace tout en se dévouant au traitement des premiers malades mais qui fut arrêté par la milice, a immédiatement enflammé les réseaux sociaux chinois. La toute puissante censure numérique dut aller jusqu’à bannir le premier vers de l’hymne national chinois, « Debout ! Les gens ne veulent plus être des esclaves ! », utilisé sur les réseaux comme référence à celui qui était devenu en quelques jours un héros national. Comme de plus l’épidémie se développait de façon fulgurante dans la province de Hubei, les dirigeants chinois changèrent radicalement d’attitude à la mi-janvier, reconnaissant la gravité de la situation, mobilisant leurs équipes de recherche épidémiologiques de pointe, et, surtout, assignant à résidence la population d’un grand nombre de villes. Selon une enquête des correspondants du New York Times du 16 février, 700 millions de Chinois étaient plus ou moins astreints à rester chez eux.
Le coût du confinement pourrait coûter 5 points de croissance à la Chine
Le coût économique d’une politique de quarantaine aussi radicale est énorme. Il est certain que le PIB chinois s’est contracté au 1er trimestre : la production et les ventes d’automobiles se sont pratiquement arrêtées, et la production d’électricité des centrales à charbon a chuté de 25% à 30% selon Carbon Project. Les transports aériens, ferroviaires ou routiers sont pratiquement paralysés, et les magasins en grande partie désertés. À ce stade, une baisse de 5% du PIB par rapport au dernier trimestre de 2019 paraît une hypothèse conservatrice. Et, même si les dirigeants chinois encouragent dorénavant un redémarrage prudent de l’activité économique, il est probable que la reprise, tirée par la demande non satisfaite et restée latente, n’accélèrera véritablement qu’au second semestre. Dans ces conditions, il est possible que la croissance chinoise, déjà en ralentissement structurel mais qui atteignait encore 6% l’an dernier, tombe à 1% cette année – une perte de cinq points de croissance – avant de ré-accélérer fortement en 2021.
Même si l’épidémie était restée circonscrite à la Chine, l’impact mondial serait considérable, par l’importance du marché chinois pour les pays exportateurs, mais aussi celle de l’industrie chinoise dans les chaînes de valeur mondiales, comme l’illustre l’exemple d’Apple, dont la production d’iPhone 11 à Shenzhen s’est arrêtée. Le seul effet Chine pourrait ainsi réduire la croissance mondiale d’un bon point de pourcentage.
L’avertissement de la Banque mondiale en 2012 a-t-il été entendu ?
Au cas où la pandémie se propagerait sans contrôle dans le reste du monde, l’impact en vies humaines et le coût économique seraient bien plus élevés. La Banque mondiale avait publié en 2012 un rapport détaillé (‘The Economics of One Health’) sur l’impact économique des zoonoses et situait le bilan d’une pandémie de type grippe mal contrôlée à 70 millions de vie humaines et un coût économique de près de 5% du PIB mondial. L’exercice était théorique, dans la mesure où il supposait une certaine inaction des autorités sanitaires. Il cherchait à attirer l’attention des décideurs sur le fait qu’il faut être préparé, et qu’une politique de contrôle par confinement mise en œuvre dès les premières manifestations de l’épidémie était la plus efficace en terme de coût. Si le ralentissement de l’épidémie Covid-19 en Chine s’avérait dans les semaines à venir, ce serait une confirmation de la justesse du diagnostic de la Banque mondiale.
Si le virus est bien plus virulent que la grippe, les mesures de confinement sont justifiées
Même si le coût économique à court terme de l’endiguement de l’épidémie est bien supérieur à ce peut entraîner une sévère récession économique du type 2008-2009, il reste bien inférieur à celui que causeraient des atermoiements politiques et des demi-décisions prises tardivement, dont le résultat serait un lourd bilan en termes de vies humaines. L’économiste Jérôme Adda avait montré à partir des données historiques que les mesures de confinement comme la fermeture d’écoles ou de transports publics entraînent des coûts importants pour l’économie, y compris à long terme (les fermetures d’école réduisent le capital humain futur, par exemple), mais qu’elles sont justifiées si le taux de mortalité d’un nouveau virus est deux à trois fois plus élevé que celui des grippes saisonnières (« Economic activity and the spread of viral diseases: evidence from high frequency data », Quarterly Journal of Economics, 2016). Avec le nouveau coronavirus, nous sommes clairement dans ce cas, puisque son taux de mortalité est supérieur à 2%, contre environ 0,1% pour les grippes saisonnières. Adda ajoute dans une vidéo de l’Université Bocconi du 27 février que contenir la propagation du virus par des mesures vigoureuses est d’autant plus justifié s’il paraît être de type saisonnier.
Ne pas céder aux lobbies sous prétexte d’éviter la panique
Il est souvent avancé à juste titre qu’une vague de panique au sein d’une population mal informée causerait de sérieux dégâts économiques. Mais c’est précisément une raison pour informer scrupuleusement la population du développement de l’épidémie. Et cela ne doit surtout pas servir de prétexte à céder aux pressions – inévitables et compréhensibles – des acteurs économiques, inquiets des répercussions, par exemple, d’une politique de quarantaine.
Stimuler la demande serait une grave erreur…
La politique économique peut-elle amortir le choc d’une politique d’endiguement de la maladie menée à grande échelle ? Dans la mesure où le choc est avant tout un choc d’offre – les capacités de production inemployées le sont parce qu’on ne peut pas travailler, ou qu’on ne peut le faire dans des conditions normales—ni la politique budgétaire ni la politique monétaire ne sont adaptées, puisque qu’elles agissent essentiellement sur la demande. Stimuler la demande alors que la production est contrainte est évidemment futile.
… mais il faut limiter les dégâts pour l’offre
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien à faire du côté de la politique économique. D’une part, la baisse de production et de consommation entraîne inévitablement une chute des recettes fiscales et donc une augmentation du déficit budgétaire. Tenter de s’y opposer reviendrait à tirer sur l’ambulance. Il faut donc laisser jouer les stabilisateurs automatiques, sans contrainte, et ne pas hésiter à dépenser pour mettre en œuvre une politique active de prévention, de confinement et de soins. Les autorités italiennes en ont d’ailleurs déjà fait la demande à la Commission européenne, et elles ont raison. Ensuite, les fermetures d’entreprises, même temporaires, peuvent rapidement conduire à la faillite, déclenchant un cercle vicieux par la dégradation du bilan des banques. Si les banques centrales ne peuvent évidemment pas produire de médicaments, elles doivent en revanche assurer que la liquidité ne vienne pas à manquer, tandis que les autorités de contrôle des banques peuvent autoriser temporairement une augmentation du risque dans les bilans bancaires. Que les États viennent au secours des entreprises mises en difficulté par leurs liens commerciaux avec la Chine ou en conséquence de mesures locales, par des facilités de crédit par exemple, est également justifié, puisque des faillites causées par un choc externe et non pas par un manque de compétitivité endommageraient durablement le potentiel économique du pays. C’est la voie que l’Allemagne a décidé d’emprunter. Il faut néanmoins anticiper que les mesures de soutien de l’offre de ce type peuvent également avoir des conséquences indésirables à long terme, si, par exemple, elles permettent à des entreprises non rentables de rester à flot. Dans toute mesure générale, aussi justifiée soit-elle, il y a des effets d’aubaine. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas les entreprendre.
On ne peut évidemment que souhaiter que l’épidémie qui se développe aujourd’hui en Europe soit enrayée le plus rapidement possible. Il est même possible qu’un printemps précoce se révèle être le meilleur barrage au coronavirus. Mais si l’épidémie continue à s’étendre aussi rapidement qu’elle l’a fait au cours des derniers jours, en Italie notamment, les autorités ne devront pas hésiter à prendre des mesures de confinement sévères, sans être dissuadé par leur coût économique à court terme, et sans céder aux lobbies économiques.
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