Imposer la mixité sociale: une vieille idée – mais a-t-elle fait ses preuves? edit
Depuis 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), dite loi Gayssot, impose un quota de 20% de logements sociaux à la plupart des communes de France au-delà d’une certaine taille. Ce quota a été porté à 25% par la récente loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Duflot puis Pinel. Cette loi a aussi fortement augmenté les pénalités pour les communes qui ne satisfont pas à ces quotas. La disparition de cet « apartheid territorial, social, et ethnique » a donc été actée de longue date, sans grand succès.
La question est de savoir si l’échec vient d’une application détournée de la loi qui appelle à son renforcement sous forme de quota de logements sociaux encore plus élevés et de pénalités prohibitives en cas de non-respect de la loi ou, au contraire, d’une confusion entre causes et conséquences : l’apartheid à la française ne serait-il qu’une manifestation du problème et non sa cause ?
Pour y voir plus clair, il est important de noter que la France n’est pas seule à imposer des quotas de logement « sociaux » dans l’immobilier neuf. Le « zonage inclusif », tel qu’il est appelé dans les pays anglo-saxons, était un des points saillants du programme électoral de Bill de Blasio à la mairie de New York à l’automne dernier. Ce type de mesure a été par le passé adopté par de nombreuses municipalités et comtés américains dans lesquels les prix à la propriété sont élevés, mais aussi dans de grandes villes européennes comme Londres ou Barcelone.
Quels en sont les coûts et bénéfices ? L’une des raisons de la popularité de ce type de politique est qu’elles semblent ne rien coûter. Il suffit au législateur de rendre obligatoire une part de logements sociaux dans toute nouvelle construction. Toutefois, imposer aux constructeurs de céder à perte une partie de ce qu’ils construisent a deux conséquences néfastes. La première est de renchérir le coût des logements non-sociaux. Ainsi, on force certains résidents à subventionner les autres. La seconde est que de nombreux projets deviennent non rentables pour les constructeurs, ce qui raréfie l’offre de logements neufs et entraîne une augmentation du prix du logement pour tous. Ainsi, les dispositifs contribuent à alimenter la rareté et donc à faire monter les prix… ce qui renforce les effets de ségrégation territoriale.
Pour autant, les gains pour les bénéficiaires de logements sociaux sont indéniables. Ainsi, bien que le jeu soit à somme négative, il permet toutefois une certaine redistribution. D’après l’INSEE, un logement social en région parisienne permet au ménage bénéficiaire d’augmenter sa « consommation de logement » de manière très marginale mais il s’agit d’un logement mieux situé et l’économie de loyer représente l’équivalent de 400 euros par mois.
Considérons un modeste appartement de 60 m2 loué en logement social à 900 euros par mois dans un bon arrondissement parisien. Le loyer de marché pour un tel logement est d’environ deux fois cette somme. Si le bénéficiaire en retire un avantage de 400 euros, le coût pour la société est donc de 500 euros. Il serait en principe possible de taxer le loyer libre de 1800 euros de 50% et de reverser 900 euros à un autre ménage.
Pour justifier cette politique plutôt qu’une redistribution directe, il faut donc un gain important qui n’apparaisse pas directement dans la consommation des bénéficiaires. On peut penser à un meilleur environnement, de meilleures écoles pour les enfants, une moindre exposition au crime, ou une plus grande facilité à trouver un emploi. Estimer ces effets externes est très difficile car les comparaisons sont difficiles entre, disons, un ménage bénéficiant d’un logement social dans un bon arrondissement parisien et un autre bénéficiant d’un logement social dans une banlieue pauvre.
Les résultats les plus fiables pour ce type de comparaison viennent de programmes de relocalisation de ménages pauvres aux Etats-Unis et au Canada. Ces programmes avaient pour particularité d’allouer les nouveaux logements par un système de loterie. Les plus chanceux ont pu, pour le même loyer, habiter dans un quartier bien meilleur alors que le gain pour les moins chanceux était beaucoup plus limité.
Vingt ans après, quelles sont les conclusions ? Les chercheurs ont examiné toute une batterie de résultats allant de l’éducation des enfants aux condamnations pour délinquance, en passant pour la santé, les salaires, ou encore le taux de chômage. Les différences sont malheureusement très faibles. Le seul résultat statistiquement significatif concerne une meilleure santé mentale pour les jeunes filles dont les parents ont eu la chance de pouvoir déménager dans un bien meilleur quartier. C’est un résultat d’autant plus décourageant qu’il faut se souvenir que si on regarde 20 variables différentes, il y en aura toujours une qui statistiquement va ressortir.
Même s’il faut rester prudent quand on extrapole des résultats nord-américains, il n’y a rien dans la recherche existante qui laisse à penser qu’en essayant des disperser des populations à problèmes on pourra faire disparaître ces mêmes problèmes. Vouloir le faire, c’est malheureusement prendre ses désirs pour des réalités. Même si le logement social dans les beaux quartiers permet une certaine redistribution, il s’agit d’une forme de redistribution très inefficace qui coute très cher à la société par rapport au gain pour ses bénéficiaires. Ouvrir le marché du travail aux populations défavorisées semble être une bien meilleure voie pour améliorer leur intégration.
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