Pour une gouvernance partagée du Grand Paris: des communes aux communs - 2 edit
2e partie : Comment mettre en œuvre la métropole plateforme
C’est cette vision d’une Métropole qui fonctionne à la fois comme un réseau, une plateforme et une alliance qu’il faut avoir à l’esprit si l’on veut construire une gouvernance adaptée aux enjeux du XXIe siècle. Le découpage administratif de territoires comme la distribution de compétences politiques exclusives sont des obstacles majeurs à la gouvernance partagée et à la coopération. Ils suscitent des guerres de tranchées et fabriquent du dissensus. Le débat interminable et stérile sur le « bon » périmètre du Grand Paris – la petite couronne, la zone INSEE, ou la Région – en est une illustration parmi d’autres.
La conférence métropolitaine des parties prenantes
C’est pourquoi il faut commencer par admettre que pour renouer le dialogue, il faut mobiliser toutes les parties prenantes et pas seulement les élus et les hauts fonctionnaires, il faut aussi que la conversation soit globale et qu’elle débouche sur des orientations claires et partagées. La conférence des parties organisée annuellement par l’ONU sur le climat (COP) est un bon exemple de l’efficacité de ce modèle. Le plus important dans la phase initiale est de créer les conditions d’une discussion permanente et institutionnalisée entre territoires qui pourra forger une métropole inclusive et bien reliée à son hinterland.
Cette conversation permanente doit avoir lieu au sein de la zone dense, comme sur des périmètres élargis, en créant des lieux qui associent toutes les parties prenantes. Il faut inventer des forums où les maires aient leurs places mais aussi les autres organisations publiques, les acteurs privés et la société civile. Ces forums doivent être conçus comme des séquences limitées dans le temps qui permettent d’ouvrir un débat sur ce que sont les biens communs métropolitains et comment les gérer. Ces Conférences des Parties prenantes peuvent indifféremment mobiliser la zone dense, les deux zones ou même au-delà. Cela veut dire notamment que la question du périmètre de la Métropole ne se pose plus puisque les conférences des parties peuvent associer différents territoires selon les sujets abordés, y compris des territoires situés hors de l’Ile de France (par exemple Rouen et Le Havre si le sujet est l’axe Seine ou la logistique) dans le cadre d’une procédure d’accréditation des parties prenantes. Les séquences de la conférence des parties doivent être des moments de mobilisation sur les enjeux métropolitains qui ne se restreignent pas aux seuls politiques. La société civile, les partenaires sociaux et les entreprises, les associations et les collectifs de citoyens pourront organiser des événements et débats associant les collectivités pendant cette période. Les agents des collectivités pourront être encouragés à y participer, notamment dans le cadre de leur droit à la formation, de manière à favoriser un partage des enjeux et des problématiques. Des pactes ou des chartes permettant la signature commune de collectivités et d’acteurs de la société civile, de partenaires sociaux et d’entreprises pourront être signés à cette occasion. La clôture de chaque Conférence sera l’occasion de mettre en lumière à travers une déclaration commune le consensus obtenu qui devra être le plus large possible pour faire valoir un succès de la Conférence.
La Conférence est donc un espace de débats sur l’intérêt métropolitain qui débouchent sur des orientations stratégiques et des propositions d’actions. Ouverte à toutes les parties prenantes, elle est organisée périodiquement sur des séquences limitées, par exemple sur une dizaine de jours tous les ans, sur des thématiques spécifiques à la zone dense, comme sur des enjeux qui concernent un territoire élargi. Elle associe sur des périodes limitées les collectivités territoriales, les acteurs publics et privés, la société civile et l’Etat dans un cycle de débats, de séminaires et de manifestations qui peuvent se dérouler à plusieurs endroits du Grand Paris. Elle est donc radicalement différente des Conseils économiques sociaux et environnementaux qui sont des institutions séparées, permanentes dont les membres sont nommés et non pas accrédités.
Une première conférence des parties pourrait être organisée dès 2019 et porterait sur la discussion du projet de loi de réforme. Pourront notamment être débattus lors de cette conférence tous les sujets « qui fâchent » : quels territoires, quelles fusions, quels financements, quelle gouvernance.
La conférence métropolitaine doit être la clé de voûte de la métropole plateforme. C’est elle qui donne les idées et les impulsions. Les autres institutions doivent être attentives aux signaux envoyés par la Conférence.
La gouvernance politique
À partir de ce débat fondateur et dans un horizon plus lointain, la question du meilleur outil de gouvernance devra être posée. Le débat devrait porter sur un choix fondamental entre gouvernance de surplomb (une institution comme la Région et/ou la Métropole du Grand Paris surplombe les territoires et les commande) et gouvernance partagée (les territoires coalisés forment la métropole et gouvernent ensemble). Le mélange de ces deux formes de gouvernance semble difficile, voire impossible, il faut choisir l’une ou l’autre. Et la gouvernance partagée semble préférable à bien des égards.
Ni la Métropole du Grand Paris, ni le Conseil Régional d’Ile de France dans leur format actuel ne sont adaptés au défi métropolitain. A peine née, la MGP est entrée en conflit avec la Région, et cette conflictualité systémique ne peut que croître et paralyser l’ensemble des acteurs. Et il est naïf de croire qu’en supprimant l’un ou en affaiblissant l’autre on aura résolu le problème. Si l’on supprime la MGP, on revient au statu quo ante, or depuis plus de trente ans la Région Ile de France n’a ressemblé ni de près ni de loin à une gouvernance métropolitaine. Comme partout ailleurs dans le monde, elle a forgé son identité en s’opposant à la ville-centre. Et si l’on renforce les pouvoirs de la MGP, en affaiblissant ceux de la Région, on court le risque d’une cassure entre territoires qui est le contraire du projet métropolitain.
Pour résoudre cette équation impossible il faut penser hors de la boîte et accepter l’idée que ce sont ces deux institutions qui forment système, qui sont inadaptées et qu’il faut remplacer par un dispositif unique plus agile et plus moderne, en les fusionnant et en les transformant en Collège des territoires. Telle est la vraie révolution dont la Métropole comme la Région ont un besoin urgent. Le nouveau dispositif part donc des territoires. Que ces territoires soient des EPT (Etablissements Publics Territoriaux), des EPCI (Etablissements Publics de Coopération Intercommunale), ou des départements, ou de nouvelles structures définies par la loi, importe peu à ce stade, pourvu que les élections soient au suffrage universel direct et les enjeux compréhensibles par les électeurs. Une simplification du millefeuille pourrait à terme passer par la fusion des compétences EPT/EPCI et des compétences départementales dans des collectivités uniques sur le modèle de la Ville de Paris en visant des périmètres qui réunissent pour chaque territoire une population d’une taille significative, si possible supérieure au million d’habitants. Cette réforme du millefeuille administratif ne doit pas être menée avant les prochaines municipales car la concertation doit être approfondie et de longue durée, et passer par la conférence des parties. Un système transitoire peut être élaboré pour permettre de reporter ce nouveau big bang territorial sans ralentir la construction métropolitaine. A court terme, une réforme de l’élection des présidents des EPT serait alors nécessaire pour leur donner une plus grande légitimité démocratique sur le modèle des élections communautaires au suffrage universel direct.
Notre proposition est d’asseoir la gouvernance du Grand Paris sur trois piliers : le Collège des Territoires, la Conférence des Parties, la Haute Autorité Métropolitaine. Et de la centrer sur une mission : la gestion et la préservation des communs métropolitains.
Le Collège des territoires du Grand Paris deviendrait le pouvoir exécutif du Grand Paris. Il a vocation à remplacer à terme à la fois la Métropole du Grand Paris et la Région Ile de France. La création de ce Collège des Territoires fait le pari que responsabiliser les territoires sur la solidarité métropolitaine est plus efficace que les encadrer par une autorité politique qui les surplombe. Pour cela, il délibère à la majorité qualifiée suivant des périmètres qui pourront varier en fonction des thématiques. Il s’appuie sur une administration qui met en œuvre ses décisions, principalement composée d’agences compétentes pour l’organisation de politiques à l’échelle régionale et métropolitaine. Il élit son ou sa président(e).
La Haute Autorité Métropolitaine arbitre les conflits entre territoires ou entre le Collège des territoires et les autres parties prenantes. Elle est composée d’un conseil restreint. Le préfet de Région y est représenté en qualité de commissaire du gouvernement.
L’objectif de cette gouvernance est de trouver le difficile équilibre entre recherche de consensus et dépassement des égoïsmes territoriaux qui menacent de paralyser le projet métropolitain. Pour cela, les Conférences des Parties se concentrent sur la négociation de l’intérêt métropolitain par toutes les parties prenantes qui doivent, à la fin de la séquence, se retrouver devant les médias et l’opinion publique pour acter des points de convergence et des projets à mener ensemble. La Haute Autorité joue parallèlement un rôle d’arbitre dans les conflits potentiels entre acteurs, en appuyant ses décisions sur une définition partagée de l’intérêt métropolitain. Cette définition pourra s’affiner au fil du temps en intégrant les règles des différents biens communs qui composent la métropole.
La composition et les règles de fonctionnement des différentes instances devront être discutées lors de la première Conférence des Parties, sur la base de principes simples.
Le Collège des territoires du Grand Paris rassemble les présidents/Maires de chaque territoire de la Région. Le périmètre des territoires associés pourra varier en fonction des enjeux avec principalement un périmètre de la zone dense, un périmètre à l’échelle de la région Ile-de-France qui garantit la prise en compte des intérêts des collectivités rurales et périurbaines, voire aussi des périmètres qui dépassent l’Ile-de-France lorsque les enjeux débattus concernent d’autres régions. Un bureau du Collège préparera les délibérations et proposera le périmètre ciblé.
Dans ce modèle, les communes et mairies d’arrondissement conservent des compétences locales dans une logique de subsidiarité. Si certaines délibérations nécessitent leur coopération, l’Etat pourra intervenir pour appuyer les décisions du Collège des territoires afin de veiller à leur application par les communes concernées.
Les administrations du Conseil Régional et de la MGP seront réaffectées au Collège des Territoires et réorganisées pour l’essentiel en grandes agences chargées de la gestion des biens communs : mobilité et logistique, transition énergétique, économie circulaire, transformation numérique, etc. Les agences piloteront des projets métropolitains qui s’imposent aux territoires parties prenantes des délibérations votées par le Collège. Les syndicats de gestion des grands services urbains s’intégreront dans ce système d’agences métropolitaines.
Le Collège supervisera et nommera les dirigeants des agences. La gouvernance resserrée autour du Collège doit garantir une pleine coopération des agences entre elles de manière à éviter les effets de silos qui se reconstituent spontanément entre structures administratives concurrentes.
Le Collège gérera un budget conséquent composé de la fiscalité économique locale (CFE, CVAE, DMTO), du budget actuel de la Région et de la partie francilienne du budget NPNRU.
Le Collège des territoires joue un rôle particulier dans les conférences métropolitaines : il propose des textes soumis à discussion lors des conférences et prend acte à l’issue des débats des réorientations et actions qui doivent être mises en œuvre et soumises au vote des membres du Collège.
La Haute Autorité Métropolitaine arbitre tous les conflits qui peuvent surgir entre les territoires (par exemple lorsqu’un conseil de territoire refuse d’adopter une délibération votée par le Collège et actée par la Conférence). Le préfet de Région participe aux travaux de la Haute Autorité en qualité de commissaire du gouvernement. Le Président de la Haute Autorité est élu pour six ans, non renouvelables. Sa composition restreinte (six à neuf membres) doit refléter la diversité des territoires du Grand Paris. La Haute Autorité pourra être saisie par des collectivités mais aussi des collectifs de citoyens, d’associations ou d’entreprises, selon des règles à définir. Elle s’appuiera sur la définition de l’intérêt métropolitain tel qu’il se construira au fil du temps à travers les délibérations du Collège mais aussi dans le cadre des déclarations, pactes et chartes adoptées à l’issue des Conférences des Parties. L’arbitrage rendu s’imposera au Collège des territoires qui devra le prendre en compte dans ses délibérations.
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